Tamara Boussac, L’affaire de Newburgh. Aux origines du nouveau conservatisme américain, Presses de SciencesPo, 2023.

Lorsque Joseph McDowell Mitchell apparaît à la télévision un jour de janvier 1962, il ne sait pas encore que ses mots vont provoquer un séisme politique d’ampleur nationale. Tamara Boussac nous en dit plus dans L’Affaire de Newburgh. Aux origines du nouveau conservatisme américain (Presses de SciencesPo).

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Qui est Joseph McDowell Mitchell ? Un fonctionnaire chargé de réformer l’aide sociale d’une petite ville du nord-est des Etats-Unis appelée Newburgh, une ville en déclin depuis quelques années, une ville qui cherche à se réinventer et qui considère que les parasites sociaux sont la cause de son malheur ; des parasites sociaux dont le portrait robot serait celui du migrant noir du sud aux mœurs relâchées et vivant des aides sociales versées sans contrepartie et sans véritable contrôle. Evidemment, tout cela n’est pas dit avec une telle franchise, mais cela ne trompe personne : c’est bien cette population d’implantation récente qui est visée par la municipalité républicaine, puisque la population noire a doublé en une décennie, bouleversant le visage de la ville.
Depuis six mois, McDowell Mitchell a donc en charge l’application de 13 nouvelles règles dont le but est bien de faire des économies en limitant le nombre d’allocataires. J’en relèverai trois : l’obligation de travailler 40 heures par semaine pour la ville quand on est chômeur en bonne santé ; la radiation de « toutes les mères d’enfants illégitimes (…) si elles donnent à nouveau naissance en dehors du mariage » ; tout nouvel allocataire doit prouver qu’il est venu « à Newburgh pour répondre à une offre d’emploi concrète » et non pour toucher les aides sociales.

Qu’importe si les journalistes soulignent que l’Afro-américain fainéant, fornicateur, vampirisant l’aide sociale n’existe pas à Newburgh, la rhétorique réactionnaire fonctionne : l’État-providence, c’est du socialisme déguisé qui déresponsabilise l’individu d’un côté et renforce le pouvoir de l’État fédéral de l’autre ; confier sa gestion aux autorités locales, c’est l’assurance d’en finir avec les abus, les paresseux, les tricheurs, en somme avec le laxisme et le sentimentalisme portés par la gauche, les syndicats mais aussi l’aile libérale du parti républicain. Seule une réforme profonde de l’aide sociale pourra convaincre le contribuable américain, honnête et travailleur, qu’il n’est pas victime du « racket de l’assistance », qu’il ne paie pas pour engraisser des fainéants, lubriques de surcroît !

Pour Tamara Boussac, nous ne faisons pas face à une révolte antifiscale car ces réformateurs acceptent de payer l’impôt mais ils veulent en avoir pour leur argent. Aider les pauvres est un investissement, d’où leurs appels répétés à une responsabilisation des pauvres qui a les traits d’une réhabilitation morale : contrôle social et mise au pas culturel font toujours bon ménage.
Cette offensive conservatrice portera ses fruits puisqu’elle influencera profondément la réforme de l’aide sociale proposée par le gouvernement démocrate de John Fitzgerald Kennedy. Et depuis, la pénalisation de la misère1 et le contrôle des assistés2 sont au coeur de toutes les réformes sociales.