Ignacio Diaz, Asturies 1934. Une révolution sans chefs, Smolny…, 2021.

La grève insurrectionnelle déclenchée en octobre 1934 par les mineurs asturiens fut inévitablement occultée par la guerre d’Espagne de l’été 1936. D’où l’importance du travail d’Ignacio Diaz, Asturies 1934. Une révolution sans chefs, publié par les éditions Smolny1

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En octobre 1934, les Espagnols portent au pouvoir une coalition de droite, rassemblement hétéroclite de chrétiens démocrates, monarchistes, fascistes, soutenu par le patronat, les grands propriétaires terriens et l’inévitable clergé. Cette coalition appelée CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes) ne peut qu’inquiéter le mouvement ouvrier, socialiste ou révolutionnaire. Jusqu’en 1930, l’Espagne monarchiste lui fit la guerre. Si la seconde République, proclamée en 1931, ne lui apporta pas l’émancipation tant espérée, la victoire électorale de la droite en 1933 lui fait craindre le pire. Le Parti socialiste (et son bras syndical : l’UGT) avait promis de ne pas se laisser faire, mais il n’y a qu’en Asturies, au nord-ouest de l’Espagne, qu’il tînt promesse.

Dans les Asturies, le mouvement ouvrier a une longue tradition de luttes. Depuis près d’un demi-siècle, il s’est battu, a lutté, formé des syndicats, notamment chez les mineurs ; des mineurs combatifs, rugueux, radicaux et soucieux d’indépendance, d’où des relations régulièrement conflictuelles avec les directions syndicales réformistes. C’est là, sur une terre habituée aux révoltes populaires, qu’éclate une grève insurrectionnelle, portée par une alliance ouvrière entre les deux forces syndicales d’alors, la socialiste UGT et la CNT, d’obédience anarchiste2 ; alliance dont l’objectif n’est pas la révolution mais la défense préventive d’une République fragile menacée par la droite réactionnaire et fascisante.

Cette insurrection, nous dit Ignacio Diaz, tourne rapidement à la tragédie. Les leaders politiques et syndicaux en charge de la planification sont dépassés par les événements, la coordination des actions est inexistante, l’armement est insuffisant. Alors qu’ils sont persuadés que l’étincelle asturienne va mettre le feu à la plaine espagnole, puisque les leaders de l’alliance leur ont promis que ce serait le cas, les prolétaires asturiens se retrouvent bien vite isolés. Ailleurs, ils ne se passent rien ou les rares velléités révolutionnaires sont étouffées dans l’oeuf. Abandonnés par leurs « chefs », les mineurs créent alors leur propres comités révolutionnaires, symbolisant « l’immense rage d’un peuple en masse qui voulait définitivement rompre ses chaînes », un peuple en armes, révolutionnaire, qui sait que la reddition signifie la mort.
A cette rage répond celle d’un pouvoir et de sa soldatesque bien décidés à châtier les indociles. La répression est en effet d’une férocité rare : on torture et on fusille, comme on le fera deux ans plus tard3 ; et déjà, la presse réactionnaire se répand en calomnies sur ces ouvriers sanguinaires assassins de curés. La pacification ne fut rien d’autre qu’un nettoyage, une purification sociale et idéologique, une « orgie sanglante » qui fit des milliers de morts, de blessés, d’exilés et de prisonniers.

Notes
1. Burnett Bolloten, dans son célèbre La guerre d’Espagne. Révolution et contre-révolution, 1934-1939 (Agone, 2014), ne consacre que trois pages (pp. 39-41) à cette révolte. José Peirats est plus généreux (pp. 127-135) dans Une révolution pour horizon. Les anarcho-syndicalistes espagnols, 1869-1939 (Ed. CNT-RP/Libertalia, 2013). Lire également Claudio Venza (L’anarchisme espagnol entre pouvoir et révolution, ACL, 2011, pp. 52-54) et Cesar M. Lorenzo (
Le mouvement anarchiste en Espagne. Pouvoir et révolution sociale, Editions libertaires, 2006, pp. 127-130).
2. La CNT asturienne était très influencée par le courant dit trentiste, plus modéré que la majorité confédérale. Dans ses mémoires, Garcia Oliver écrit ceci : « C’était le propre d’une région comme les Asturies, ignorant pratiquement le reste de la confédération, de produire ce type de militant confédéral plus proche des socialistes et de l’UGT que de l’anarcho-syndicalisme. » (L’Echo des pas, Le Coquelicot, 2014, p. 179).
3. Paul Preston, Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945, Texto, 2019. J’avoue avoir arrêté la lecture de ce livre à la 300e page (sur 900), tant la lecture des exactions franquistes est éprouvante.