Violette et Juanito Marcos, Itinéraire d’un anarchiste. Alphonse Tricheux (1880-1957), Editions Loubatières, 2021.


Le nom d’Alphonse Tricheux ne vous dira rien. C’est à ce libertaire toulousain inconnu que se sont attaché Violette et Juanito Marcos dans Itinéraire d’un anarchiste. Alphonse Tricheux (1880-1957) publié par les éditions Loubatières.

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La recherche historique est souvent aventure et pari. A partir d’une source, d’un mince filet d’informations, on embarque pour un voyage dont on ne sait s’il nous mènera jusqu’à l’Océan. C’est une simple lettre de 1924 qui a mis les auteurs sur la piste d’Alphonse Tricheux. Et à travers la vie de cet ouvrier né en terre viticole du côté de Corbières, c’est une beau portrait d’homme et une histoire de l’anarchisme toulousain qui nous est ici proposée.
Tricheux s’installe en famille dans la ville rose en 1920. L’ouvrier métallurgiste a alors quarante ans dont une quinzaine d’années passée de l’autre côté de l’Atlantique, à Cuba. De sa jeunesse et de son séjour là-bas, on ne sait pas grand-chose. Est-ce en terre occitane, terre de rudes conflits sociaux, ou à Cuba qu’il s’est forgé un esprit sans Dieu ni maître ? Les archives ne le disent pas. Ce que les auteurs savent en revanche, c’est que la famille Tricheux abandonne Cuba pour Toulouse et qu’Alphonse rejoint sans tarder le groupe anarchiste local. A partir de ce moment, les sources deviennent abondantes et nous rappellent que sans le sens du devoir de la police politique, d’histoire sociale, il n’y aurait pas !

Grâce aux rapports de la police, les auteurs peuvent enfin se mettre dans les pas d’Alphonse Tricheux et de sa famille, car ce sont également femme et enfants qui s’investissent dans le combat émancipateur dans une période marquée par l’émergence d’un concurrent non encore hégémonique : le communisme aux couleurs de Moscou.
Alphonse Tricheux n’est pas un braillard exalté ni un tribun, ni un doctrinaire. C’est un homme d’âge mûr, posé, intègre, moraliste à ses heures, un militant de tous les instants aux convictions solidement ancrées pour qui l’engagement est un choix de vie. Des convictions antimilitaristes et pacifistes qui l’amènent à goûter aux geôles de la République en 1926 ; quelques mois de réclusion qui le poussent à composer un livre destiné à son petit-fils, livre singulier puisqu’uniquement composé de coupures de presse qui sont autant d’invitations à penser et à s’insurger. Des convictions anarchistes, syndicalistes-révolutionnaires et internationalistes qui lui font franchir, en famille, la frontière lorsque l’Espagne s’embrase en 1936 ; les Tricheux en seront chassés au printemps 1937 lorsque le pouvoir républicain s’engagera à mettre au pas les communistes libertaires récalcitrants. Des convictions antifascistes qui mènent régulièrement ce sexagénaire en prison pendant la seconde guerre mondiale ; des Tricheux qui sont impliqués dans le petit réseau des résistants anarchistes français.
La guerre terminée, Alphonse Tricheux et son épouse, Paule, dont les convictions étaient tout aussi solides, suivent avec attention et affection la reconstruction du mouvement libertaire toulousain où se mêlent jeunes pousses et vieux militants, français comme espagnols. L’histoire s’écrit désormais sans eux, mais ils en sont la mémoire.