Cette figure est celle d'Emile Pouget1. Orphelin de père très tôt, élevé par un beau-père républicain farouche, le jeune Pouget s’éveille à la politique sur les cendres de la Commune de Paris. Il quitte son Aveyron natal en 1876 et monte à Paris. Il a seize ans et va devenir bien vite un militant inlassable de la cause révolutionnaire. Piètre orateur, il met sa plume au service des « bons bougres » : une plume vitriolée qui s’attaquent aux « singes », « bouffe-galettes » et « ratichons », autrement dit aux patrons, aux politciens et aux cléricaux ; une plume nourrie d’argot et d’humour qui fera de son journal, le Père Peinard, l’une des publications les plus appréciées des milieux radicaux, colportées dans les coins les plus reculés par une flopée de trimardeurs que la répression n’effraie pas. Mille fois poursuivi, plusieurs fois embastillé, Emile Pouget ne rompra jamais. Gagné au Dreyfusisme, ami de Fernand Pelloutier, l'animateur des bourses du travail, il s’investit pleinement dans le combat syndical, notamment dans l’organe de la CGT, La Voix du peuple. Il y défend le sabotage (le « tirage à cul conscient »), l’action directe, la grève générale mais aussi, ce qui était plus rare, l’organisation des paysans, ces « campluchards » que de nombreux révolutionnaires méprisent.

Le Pouget qui s'exprime dans ce recueil intitulé L'action directe et autres écrits syndicalistes, n'est pas le pamphlétaire gouailleur du Père Peinard, maniant l'argot comme d'autres la rhétorique, mais le propagandiste infatigable de l'autonomie syndicale et ouvrière, le défenseur, au nom du droit à la révolte, des minorités agissantes. Grâce à Miguel Chueca, à qui l'on doit récemment « Déposséder les possédants », un recueil de textes sur la grève générale2, et aux éditions Agone, vous avez maintenant l'opportunité de découvrir quatre textes importants d'Emile Pouget (Les bases du syndicalisme, Le syndicat, Le parti du travail, L'action directe), essentiels pour celles et ceux qui veulent se familiariser avec les idées défendues par le syndicalisme révolutionnaire français d'avant 1914. La plume précise et énergique, mais sans jargon ni argot, Pouget se fait pédagogue.

Parce qu'il sait que « l'enfer du salariat est une géhenne lugubre », Emile Pouget refuse que la « veulerie démocratique, qui se satisfait des moutonniers et des suiveurs » corrompe le syndicalisme. Pour lui « le droit syndical n'a rien en commun avec le droit démocratique » : « S'il plaît aux foules, écrit-il, de courber l'échine sous le joug, de lécher les pieds de leurs maîtres, qu'importe ! L'homme qui abhorre ces platitudes et qui, ne voulant pas les subir, se redresse et se révolte, celui-là a raison contre tous ! (…) » A la servitude, il oppose l'action directe, c'est-à-dire la prise en main par les travailleurs eux-mêmes de leur émancipation individuelle et collective. Pour lui, la classe ouvrière ne doit rien attendre « des hommes, des puissances ou des forces extérieures à elle » ; elle doit « créer ses propres conditions de lutte et puiser en elle ses moyens d'action. » Il n'y a pas de partenaires sociaux « responsables » chez Pouget, seulement des ennemis irréductibles qui s'affrontent et font valoir leur Force, idée que l'on retrouve de façon centrale chez Proudhon3. Dans sa célèbre brochure sur le sabotage, il écrivait dans son style inimitable : « Non, c'est pas l'estomac qui fixe le taux des salaires : c'est notre biceps. Si nous sommes énergiques, le patron file doux et n'ose pas rogner les salaires et allonger les heures de turbin. Au contraire, plus nous serrons les fesses, plus nous bissons le caquet, plus l'exploiteur le prend de haut, et moins il s'épate pour nous mener au bâton. »

Révolutionnaire, il l'est. Partisan « du tout ou rien » ? Il s'en défend. Pour lui, seules les réformes que l'on arrache par la lutte acquièrent un sens véritable : parce qu'elles ont une valeur éducative pour le prolétariat, parce qu'elles lui redonnent confiance dans sa capacité à faire vaciller les possédants et leur pouvoir.
À l’heure où les classes dominantes s’appliquent à revenir méthodiquement sur un siècle de conquêtes sociales, à l'heure où les bureaucraties syndicales se préoccupent essentiellement de leur survie4, il faut lire ou relire les écrits de cette figure majeure du mouvement ouvrier, celui des temps héroïques.

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Emile Pouget, L'Action directe et autres écrits syndicalistes (1903-1910) – Textes rassemblés et présentés par Miguel Chueca, Agone, Marseille, 2010, 296 p., 18 €.

Notes 1. ULLA QUIBEN Xose, Emile Pouget – La plume rouge et noire du Père Peinard, Editions libertaires, 2006, 398 p.
2. Miguel Chueca (Textes rassemblés et présentés par), Déposséder les possédants – La grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906), Agone, 2008, 267 p.
3. Edouard Jourdain, Proudhon, un socialisme libertaire, Michalon, 2009.
4. Et cela fait des décennies que cela dure...

Cette note a été publiée dans le numéro de décembre 2010 de Courant alternatif. Une version très raccourcie a été publiée dans la livraison de janvier du Monde diplomatique