Joe Jacobs, Nouvelles du ghetto. Combattre le fascisme à Londres (1925-1939), Syllepse, 2022.

Avec Nouvelles du ghetto. Combattre le fascisme à Londres (1925-1939), Joe Jacobs nous entraîne dans les quartiers pauvres de la capitale où le prolétariat juif résista du mieux qu’il put à la montée du fascisme ; un fascisme qui avait les trait de Sir Oswald Mosley, un riche aristocrate passé en une décennie du conservatisme au socialisme, puis du socialisme à l’extrême-droite férocement antisémite.
une-nouvelles-du-ghetto_tbn.jpg Qui était Joe Jacobs ? Laissons lui la parole : « J’étais timide. J’étais gros. Je n’avais qu’un œil1. Je ne savais pas danser. (…) A cette époque, je ne connaissais pas grand-chose aux complexes d’infériorité, mais je savais très bien ce que signifiait se sentir inférieur » ; auto-portrait peu flatteur d’un jeune homme qui, parallèlement, s’investit pleinement dans la vie politique et syndicale de son quartier, l’East End, où s’entassent et se bousculent des milliers de petites mains prolétaires oeuvrant dans le textile, la confection. Des petites mains juives pour l’essentiel, dont celles de Joe Jacobs, juif russo-polonais né en 1913. Jacobs est un nom d’emprunt car comme il l’écrit : les « immigrants ne comprenaient pas ce qu’on leur demandait et les fonctionnaires ne savaient pas retranscrire ce qu’ils entendaient. C’est pourquoi tant de juifs s’appellent Cohen ou Lévy (…). On adoptait le nom de sa propre tribu ».

Jacobs nous plonge, non sans humour, dans son quotidien de jeune ouvrier. Il fait partie de ces personnes pour lesquelles vivre et militer sont une seule et même chose. Il n’est pas le seul car il n’est guère difficile d’être en colère quand, pour gagner son pain, on est contraint de vendre ses bras dans les sweatshops (ateliers de la sueur) de l’East End. Pour supporter l’insupportable ou se battre contre lui, jeunes et moins jeunes s’investissent dans toutes les structures associatives, politiques, syndicales parsemant ce territoire éminemment populaire. Jacobs choisit d’adhérer au Parti communiste, dont la discipline de fer lui semble indispensable pour faire la révolution. Sous la férule du charismatique Nat Cohen, Joe Jacobs est de tous les combats, et notamment, au début des années 1930 contre la montée en puissance du fasciste Mosley et la prétention de ses troupes de choc à s’implanter dans l’East End. L’antisémitisme viscéral de Mosley pousse les juifs, dont beaucoup ont migré pour échapper aux pogroms et aux discriminations, à faire front.

En s’appuyant à la fois sur ses souvenirs et sur le Daily Worker, le journal du parti communiste, Joe Jacobs témoigne des mille-et-une mobilisations populaires, sociales ou antifascistes, à laquelle il participa, mais aussi des tensions qui agitèrent le parti communiste. Alors que celui-ci considère primordial le travail syndical d’organisation des travailleurs et l’alliance avec le Parti travailliste, Jacobs insiste sur la nécessité d’occuper la rue et de rester en lien fort avec les non-syndiqués pour lutter efficacement contre le fascisme. Jacobs n’est ni trotskyste, ni libertaire : il est communiste, stalinien, mais le parti, ici comme ailleurs, ne connaît qu’une ligne : celle qui est « juste ». Il réclame un débat sur la tactique, il ne récoltera qu’une exclusion. Cela nous le savons grâce à sa fille qui a pris la plume pour suppléer Joe Jacobs, décédé en mars 1977 alors qu’il rédigeait ses mémoires et achevait un chapitre sur l’année 1936. Chassé du parti en 1939 sans avoir pu s’expliquer, Joe Jacobs demeura un militant ouvrier, un animateur de grève réputé. Il demanda et obtint sa réintégration dans le parti au début des années 1950… mais la lune de miel ne dura pas : il fut exclu une seconde fois car on lui reprochait d’accorder trop d’importance au travail syndical...

1. Un trachome mal soigné dans sa prime jeunesse l’a rendu borgne.