Florent Gabarron-Garcia, Histoire populaire de la psychanalyse, La Fabrique, 2021.

C’est à une certaine conception de la psychanalyse que s’attaque Florent Gabarron-Garcia dans Histoire populaire de la psychanalyse, livre publié par La Fabrique éditions. Ce faisant, il nous fait découvrir ou redécouvrir tout un pan de l’histoire de sa discipline.
Pour l’auteur, le basculement intervient en 1930 lorsque Sigmund Freud publie un livre appelé à faire date : Malaise dans la civilisation. Jusqu’alors Freud s’était montré intéressé par les approches et dynamiques portées par des psychanalystes révolutionnaires, leur souci de la santé mentale des classes populaires, leur critique radicale de l’éducation et du conformisme ; il suivait avec attention les travaux de Vera Schmidt sur la prime enfance, la création des jardins d’enfants, mais aussi les recherches menées par Wilhelm Reich, auteur prolifique et praticien audacieux, marxiste critique, pourfendeur du moralisme, du conservatisme politique et culturel, qui refusait d’expliquer les névroses sans prendre en compte les conditions d’existence du patient, à rebours donc de ceux qui expliquent ces troubles par la structure du psychisme humain qui primerait sur toute autre considération.

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Avec Malaise dans la civilisation, c’est un autre Freud que l’on découvre ; un Freud septuagénaire bousculé par ce Reich, de quarante ans son cadet  ; un Freud, pessimiste et conservateur, qui affirme de façon beaucoup plus catégorique qu’auparavant, comme le souligne l’auteur, que « la psychanalyse en tant que science n’a pas à prendre parti politiquement ».
Le mouvement psychanalytique international entre alors dans une crise profonde. Les épigones du maître viennois s’en prennent à ceux de leurs confrères pour lesquels analyse des troubles et névroses, et critique de toute forme de domination doivent aller de pair. Reich est exclu de l’association psychanalytique internationale en 1934, et lorsque le parti nazi s’empare du pouvoir, de nombreux psychanalystes, juifs et souvent communistes, sont poussés à l’exil tandis que d’autres s’emploient à trouver un modus vivendi avec les nouveaux maîtres. Nous verrons ainsi l’« apolitique » Société allemande de psychanalyse, une fois débarrassée de ses juifs et de ses communistes, intégrer l’Institut allemand de science des âmes et de psychothérapie du psychiatre Matthias Göring, cousin d’Hermann et tout aussi nazi.

Marginalisés, les psychanalystes indociles se battent là où ils le peuvent pour défendre une discipline devenue au fil du temps un outil de maintien de l’ordre social inégalitaire. L’auteur nous met ainsi dans les pas de Marie Langer qui a fui l’Allemagne nazie, a rejoint les Brigades internationales pendant la Guerre d’Espagne puis s’est exilée en Amérique du sud où bien vite elle fut confrontée aux dictatures militaires. On suit également le Catalan François Tosquelles, engagé comme thérapeute aussi bien dans l’Espagne de la guerre civile que dans la France occupée ; un Tosquelles révolutionnaire et résistant qui aura une influence majeure sur les fondateurs en 1953 de la Clinique de La borde qui bouleversèrent le monde psychiatrique en rompant avec les pratiques conventionnelles et en mettant l’autogestion au pouvoir. On suit également une nouvelle génération de psychanalystes allemands renouant avec les travaux de Reich et s’en prenant avec virulence à la place de la médecine dans le capitalisme contemporain.

Rappeler ces différentes initiatives est utile nous dit l’auteur parce qu’elle nous rappelle que la coupure des années 1930 dont Wilhelm Reich fut la victime la plus connue n’avait pas pour motif principal des désaccords professionnels mais bien son engagement politique révolutionnaire. Rappeler ces expériences, c’est faire ré-entendre des voix dissidentes à l’heure où, nous dit l’auteur, « la psychanalyse est devenue, pour une large part, profondément et ouvertement réactionnaire ».