Peter Cole, « Black and white together ». Le syndicat IWW interracial du port de Philadelphie (montée et déclin – 1913-1922), Les Nuits rouges, 2021.

Dans l’Amérique réactionnaire et raciste du premier quart du 20e siècle, des dockers allèrent à contre-courant. Peter Cole1 nous en conte l’histoire avec « Black and white together ». Le syndicat IWW interracial du port de Philadelphie, publié par les éditions Les Nuits rouges.
L’histoire sociale américaine me semble mal connue. Cow-boys, Indiens et conquête de l’Ouest nous ont fait oublier que les racines du 1er Mai se trouvaient à Chicago et que la côte Est vit apparaître, dès le mitan du 19e siècle, les toutes premières organisations ouvrières2.

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Philadelphie est une ville multiraciale3, un centre industriel important doté d’un port qui ne l’est pas moins. Sur ce port s’activent des milliers de dockers se livrant une rude concurrence au quotidien pour être recrutés par les contremaîtres des entreprises de déchargement. Ceux-ci ont leurs têtes et savent très bien utiliser les rivalités ouvrières pour fragmenter un prolétariat qui n’est bien évidemment pas imperméables au racisme irriguant la société nord-américaine4 ; pour preuve, le peu d’intérêt des syndicats réformistes pour les travailleurs noirs et les travailleurs non-qualifiés, dont les dockers sont une des incarnations. Irlandais, Noirs du nord et du sud, immigrants de fraîche date, tous sont exploités et instrumentalisés par le patronat local.
On mesure peu le courage et la pugnacité qu’il fallut aux dockers philadelphiens révolutionnaires pour s’imposer dans un tel univers. Nous étions en mai 1913, et ce sont les dockers eux-mêmes qui s’en allèrent trouver les syndicalistes-révolutionnaires des IWW5 pour les aider à défendre leurs revendications, de meilleures rémunérations et conditions de travail mais aussi le monopole d’embauche pour les travailleurs syndiqués afin de sécuriser l’emploi dans un secteur marqué par l’intermittence et l’incertitude puisque l’activité des dockers dépend du rythme du trafic maritime. Quinze jours plus tard, grâce à un soutien populaire important, les IWW sortent vainqueurs du conflit, prouvant que l’unité, sans distinction de race ou de religion, est non seulement possible, mais indispensable. Pour la première fois sur les quais de Philadelphie, on voit des dockers noirs, polonais, irlandais travailler ensemble et non les uns à côté des autres, échappant ainsi à l’arbitraire des contremaîtres composant les équipes…

Durant une décennie, les IWW contrôlent le port de Philadelphie. Ils ont pour eux une conjoncture économique très favorable puisqu’à partir de 1916 l’activité portuaire locale est boostée par les exportations en direction de l’Europe en guerre. Mais ils ont contre eux des montagnes qui finissent par avoir leur tête en 1922 : une conjoncture économique qui se fait moins porteuse ; un racisme omniprésent que ses pratiques n’ont pas fait disparaître de toutes les têtes prolétaires ; un anticommunisme d’État d’une violence rare qui fait des milliers de victimes6 ; un patronat faisant bloc contre eux, sans oublier un syndicalisme réformiste désireux de prendre sa revanche. S’y ajoutent les inévitables conflits internes portant sur la nature du syndicalisme, conflits relancés par la Révolution russe et la naissance des partis communistes7.
De ce travail de Peter Cole en ressort l’image d’un syndicat plus pragmatique que doctrinaire, et « réformiste au meilleur sens du terme » comme l’écrit le préfacier puisqu’il parvînt à obtenir des résultats, ne serait-ce qu’un temps.

Notes
1 Peter Cole a également dirigé, avec David Struthers et Kenyon Zimmer de Solidarité forever. Histoire globale du syndicat Industriel Workers of the World (Hors d’atteinte, 2021). 2 Je pense notamment aux Molly Maguires, société secrète de mineurs d’ascendance irlandaise installés en Pennsylvanie. Martin Ritt en a fait un film : Traître sur commande (1970) 3 Sur Philadelphie, signalons la réédition récente de l’étude sociologique de WEB Du Bois : Les Noirs de Philadelphie. Une étude sociale, La Découverte, 2019.
4 David R. Roediger, Le salaire du blanc. La formation de la classe ouvrière américaine et la question raciale, Syllepse, 2018.
5 Sur les IWW : Larry Portis, IWW. Le syndicalisme révolutionnaire aux Etats-Unis, Spartacus, 2003 ; Louis Adamic, 1830-1930. Un siècle de violence de classe en Amérique, Sao Maï, 2010.
6 Durant la « Red scare », les militants révolutionnaires sont liquidés (Franck Little), emprisonnés (Big Bill Haywood, Eugene Debs) ou poussés à l’exil (comme Emma Goldman). Ce fut le cas de Ben Flechter, dirigeant du syndicat des dockers philadelphiens, condamné à 25 ans de prison.
7 Aux Etats-Unis comme ailleurs, syndicalistes révolutionnaires, anarchistes et communistes s’affrontèrent pour le contrôle du syndicat.