Matthieu Guigo, Coq en stock (chronique d’un intérimaire à l’usine), Compagnie des deux rives, 2021.

Après un an de chômage, Matthieu Guigo a poussé la porte d’une boîte d’intérim. Il en est ressorti avec un tee-shirt promotionnel et un voyage pour l’enfer ; un enfer (à ne pas prendre au premier degré !), sis en Vendée, qui n’est autre qu’un abattoir pour gallinacés.

COQenSTOCK_1121.jpg

Ne faisons pas de ce court récit ce qu’il n’est pas. L’auteur a fait des études de lettres, pas d’histoire ni de sociologie. Il a lu et apprécié le travail de Christophe Guilluy sur la fameuse « France périphérique » au point d’écrire que ce travail a bénéficié d’un « large consensus »… ce qui est tout sauf le cas, le livre ayant au contraire été fortement critiqué par la communauté scientifique des géographes comme des sociologues, à défaut de l’être par certains acteurs médiatiques que cette défense du « petit blanc » oublié de tous ne laissaient (politiquement) pas indifférents1 en ces temps de querelles identitaires.

En moins de quarante pages, Matthieu Guigo ne propose pas un portrait de cette Vendée conservatrice (qui m’a vu naître… et la fuir !), avec son capitalisme familial, cette terre de peu de chômage et de bas salaires, où la misère est présente mais discrète, car rurale et si loin des attentions médiatiques2. Il ne décrit pas en détail, tel un ergonome, les postes de travail et les façons de travailler, ni n’en appelle à la révolte contre l’ordre usinier.
« Coq en stock »3 est une chronique. Celle d’un homme plongé dans un univers inédit pour lui4, et qu’il découvre avec un regard parfois (faussement) candide, et avec tout son corps. Car le corps souffre, une fois qu’il est avalé par le « ventre froid de (cette) baleine gigantesque » où règnent le bruit et le métal, une fois qu’il est soumis à la chaîne et à ses cadences, chargé de remplir les barquettes de « matière » sans barguigner. La volaille n’est plus volaille : la main du prolétaire aux ordres l’a transformée en matière, de la même façon que l’ordre usinier, déshumanisant, a fait de l’être humain un facteur de production qui n’attend du labeur aucune satisfaction autre que le salaire et, en bout de chaîne, une pension de retraite. Et Dieu qu’elles sont longues ces heures du lundi quand on sait qu’il faudra tenir la semaine. Matthieu Guigo éprouve alors « la fatigue du temps qui ne passe pas », cet « ennui difficile à vaincre ». Et dire que certains sont là depuis tant et tant d’années.
Le 24 décembre, l’auteur a quitté l’enfer. La boîte d’intérim lui avait offert un tee-shirt en guise de bienvenue, l’entreprise lui a offert de la « matière » à rôtir avant le 26, DLC oblige. Joyeux noël…


Notes
1 N’ayant pas lu le travail de Guilluy, je me garderais bien d’en faire une critique.
2 Lire le remarquable travail de Benoît Coquard : Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin (La Découverte, 2019).
3 Ce livre est disponible à l’adresse suivante : coq en stock.
4 Je recommande le documentaire audiovisuel Saigneurs de Vincent Gaullier et Raphaël Girardot (2017).