Marlène Benquet et Théo Bourgeron, La finance autoritaire. Vers la fin du néolibéralisme, Raisons d’agir, 2021.

C’est à une nouvelle lecture du brexit que nous invitent Marlène Benquet et Théo Bourgeron dans La finance autoritaire. Vers la fin du néolibéralisme, publié par les éditions Raisons d’agir.

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La cause est entendue. Des populations, peu cultivées et en perte de repères dans un monde en plein bouleversement, ont trouvé dans les discours populistes, xénophobes, conservateurs, grégaires et autoritaires des armes pour exister politiquement aux yeux d’élites insensibles à leur mal-être ; ce qui a fait le bonheur de bonimenteurs forts en gueule tels Trump, Bolsonaro, Orban, sans oublier quelques spécimens hexagonaux. Heureux temps où la démocratie était censitaire, réservant le droit de vote à ceux qui possèdent et donc savent ce dont la masse a besoin. Comme l’a écrit Jacques Rancière : « Le bon gouvernement démocratique est celui qui est capable de maîtriser un mal qui s’appelle tout simplement vie démocratique »1.

David Cameron a voulu jouer et il a perdu, entend-on parfois. Il a fait un mauvais calcul, pensant que le camp europhile l’emporterait, même petitement. N’avait-il pas tous les milieux d’affaires avec lui face à une plèbe hargneuse persuadée que sa misère serait moins grande hors de l’Union ?
En s’intéressant à la façon dont les deux camps ont financé leur campagnes pour ou contre le brexit, les auteurs ont découvert une autre réalité. Si les acteurs traditionnels de la City n’avaient aucun intérêt à voir la Grande-Bretagne quitter une Union européenne qui ne fut jamais pour eux un ennemi, il n’en allait pas de même pour ceux qui gèrent les hegde-funds et autres fonds d’investissement ; eux soutinrent massivement le camp des brexiters.



« En quittant l’Union, écrivent les auteurs, ils espèrent retrouver les coudées franches pour investir comme bon leur semble, affranchis d’une surveillance bruxelloise jugée trop contraignante. » En bons libertariens, ils veulent faire du business quoiqu’il en coûte, pour l’environnement évidemment mais aussi pour les classes populaires et moyennes qui vont devoir se « responsabiliser » pour survivre. Quitter l’Union sans accord ne serait en rien dramatique puisque, qui dit accord dit régulations, compromis donc freins à la toute-puissance du marché. Faire imploser le Royaume-Uni ne les effraie pas plus puisque l’Ecosse europhile coûte plus qu’elle ne rapporte. Ils rêvent de faire de Londres une « Singapour mondiale (…) une vaste terre d’asile fiscale » ouverte au monde. Et d’ailleurs, le régime autoritaire singapourien n’est pas pour leur déplaire puisque, disent les auteurs, il y a un lien inévitable « entre dérégulation économique et autoritarisme politique », les troubles sociaux provoqués par la première ne pouvant entraîner qu’une réponse policière et des atteintes aux libertés... autres que celle évidemment de faire du business sans entraves.

Les relations tumultueuses qu’entretiennent l’Union européenne et le Royaume-Uni ne sont donc pas à analyser sous le seul angle des relations internationales, mais aussi comme un conflit entre différentes fractions du capital désireuses de s’assurer l’hégémonie ou de négocier au mieux leur relative subordination.

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Note 1 : Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005, p. 15.