Ania Szczepanska, Une histoire visuelle de Solidarnosc, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2021.


Historienne et spécialiste du cinéma est-européen, Ania Szczepanska nous invite à revisiter la Pologne insurgée dans un livre intitulé Une histoire visuelle de Solidarnosc, publié par la Maison des sciences de l’homme.

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Il a été beaucoup écrit sur les mouvements sociaux polonais depuis les grèves de 1970, où le peuple travailleur affronta le parti censé l’incarner, jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 1990, de Lech Walesa, le syndicaliste bonhomme et bravache devenu une figure du conservatisme1. Vingt années durant lesquelles le peuple polonais incarna tout autant l’aspiration à la démocratie, le désir d’un socialisme à visage humain porté par les classes populaires, que l’incapacité du socialisme de caserne à se réformer. L’autrice s’est quant à elle focalisée sur la période allant de la grève de la faim d’une poignée de dissidents en 1977 à 1986, date à laquelle le pouvoir polonais envisagea une façon moins militaire de perpétuer son hégémonie sur la société2.

J’imaginais un recueil de photographies. Il n’en est rien. En exhumant des images photographiques ou issues de films, l’autrice propose une nouvelle approche d’une décennie de luttes qui vît une dissidence ouvrière se faire nationale et marquer les esprits au-delà des frontières, notamment en France où la CFDT et l’extrême-gauche jouèrent un rôle moteur dans la diffusion de ses thèses  ; des images donc, car, nous dit-elle, elle a fait le « constat des limites des capacités des sources écrites et orales à rendre compte de tous les liens humains qui se tissent dans les mouvements de mobilisation et de contestation. »

Derrière chaque image subjectivement choisie par l’autrice, il y a une histoire et des affects : image d’un colis humanitaire posé au sol prêt à soulager la détresse d’un peuple sous état de siège ; images d’ouvriers à genoux, se confessant en public dans les chantiers navals occupés, clichés soulignant la puissance de l’église, quitte à surestimer son emprise sur la dissidence polonaise ; image d’un Lech Walesa remontant la Seine en bateau-mouche, héros prolétaire dans la France socialiste de 1981 ; images de militants incarcérés partageant un repas ou de l’anarchiste Babar, militant belge sous les verrous pour avoir tenté de livrer à Solidarnosc du matériel radio ; images de photojournalistes polonais officiels, plus soucieux de rendre compte de la situation que de rendre des comptes à leur employeur.

Images donc qui, en dialogue avec d’autres sources, aident à redessiner « les contours de l’idée même de solidarité ». Car tel est l’enjeu que se fixe l’autrice : «  revenir par la richesse des images à la face digne et inspirante d’un mouvement oublié qui bouleversa la gauche occidentale et bien au-delà, ranima l’idéal socialiste et humaniste. » Ania Szczepanska rappelle ainsi la force et la grandeur de cette révolte pacifique qui impliqua des millions d’individus, ici et là-bas, militants de premier plan et anonymes.
De Berlin-Est 1953 à Solidarnosc 1981, en passant par les conseils ouvriers hongrois de 1956 et le Printemps de Prague de 1968, la dissidence était portée par des intellectuels et un peuple ouvrier socialistes pour lesquels l’émancipation politique et sociale fondait l’engagement. Comme le souligne le sociologue Michel Wievorka dans sa préface, « nous pouvons prendre non sans effroi la mesure de ce qui sépare les temps présents des espoirs et des joies de 1980 et 1981. » Mélancolique Ania Szczepanska ? Sans doute.


Notes
1. Je pense aux livres de Jean-Yves Potel (Scènes de grèves en Pologne, 1981 ; Gdansk, la mémoire ouvrière 1970-1980, 1982), de Grazia Ardissone (Classes sociales et lutte politique en Pologne, 1978), sans oublier ceux de Pomiam, Michnik, Zlotkowski, Kowalewski, les ouvrages collectifs portés notamment par des intellectuels proches de la CFDT et ceux des groupes trotskystes ou conseillistes et des comités de soutien.
2. En 1987, le général Jaruzelski proposera un référendum sur les réformes politiques et économiques.