Maude Barlow, A qui appartient l’eau ? Faire barrage à la privatisation d’une ressource vitale, Ecosociété, 2021.

Maude Barlow est du genre pugnace. Depuis 1985, cette Canadienne a fait de l’accès universel à l’eau le combat de sa vie. Elle nous livre un revigorant témoignage dans A qui appartient l’eau ? Faire barrage à la privatisation d’une ressource vitale, livre publié par les éditions Ecosociété.

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L’eau, pour les humbles que nous sommes, est ce liquide transparent qui coule à flot dans nos cuisines et salles de bains et nous coûte de plus en plus cher. L’eau, pour d’autres, c’est l’« or bleu », une marchandise dont le contrôle apporte puissance et fortune.

Il fut un temps, jadis, où tout n’était pas marchandise, où des gouvernements considéraient que le contrôle étatique de l’eau était nécessaire et utile au bien commun. Puis la doxa néolibérale s’empara de la planète au tournant des années 1980. L’Angleterre thatchérienne privatisa son service d’eau comme elle liquida ses mineurs et ses dockers. C’est bien connu, le secteur privé est meilleur gestionnaire et on ne défend bien que les choses qui ont une valeur économique défini par le marché. D’autres pays lui emboîtèrent le pas, privatisant totalement ou partiellement la distribution de l’or bleu. comme le Chili du dictateur Pinochet, terrain d’essai préféré des néo-libéraux, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, le Brésil et d’autres encore.

Maude Barlow est alors partie en guerre. En guerre contre la privatisation de l’eau et pour un accès universel à cette ressource dont l’abondance ici nous fait oublier qu’une tiers des habitants de la planète n’y a pas un accès aisé. En guerre contre l’effrayant business de la flotte en plastique qui envahit les étals et pollue les mers. En guerre en somme contre les multinationales, les Nestlé, Suez, Coca-Cola, mais aussi les géants miniers qui exploitent sans retenue les nappes phréatiques, les contaminent, s’abreuvent à peu de compte en asséchant nos porte-monnaie avec la complicité des gouvernements.

De la ténacité il en faut pour faire reculer de tels adversaires dont le globe est le terrain de jeu. Pourtant chacun a pu constater à quel point cette privatisation avait aggravé la situation : une hausse vertigineuse des tarifs, une dégradation continue des installations et une grande opacité dans la gestion de la ressource. Les Boliviens de la ville de Cochabomba sonnèrent la révolte dans les années 1990, en s’opposant à la privatisation du service d’eau municipal que l’État entendait confier à un géant du secteur, Aguas del tunari1. Combat dur, âpre et long, mais aussi formateur puisqu’il nous rappelle que les mobilisations populaires les plus larges possibles sont indispensables.
« Le monde ne sera transformé que de bas en haut, nous dit Maude Barlow, grâce aux efforts des gens au sein de leurs propres communautés, parce que la cause leur tient vraiment à coeur. »
Elle plaide pour que des villes deviennent des communautés bleues, qu’en somme elles s’engagent à protéger et reconnaître le droit à l’eau pour toutes et tous, et à préserver la ressource. Le mouvement est parti du Canada et tend à se répandre en Europe. Communauté bleue est plus qu’un label, c’est un « outil de mobilisation et d’engagement » au service des luttes citoyennes pour sensibiliser les populations, convaincre les élus de la nécessité d’un service public de l’eau, et contraindre ceux qui en douteraient à renoncer à tout projet de privatisation. Assurément, ce combat ne sera pas un long fleuve tranquille...


1. Lire sur cette lutte sociale le texte de Franck Poupeau, « La guerre de l'eau (Bolivie, 1999-2001) » in Agone n°26-27 (Revenir aux luttes, 2002)