Maurice Rajsfus, La Police de Vichy, Editions du Détour, 2021

Maurice Rajsfus est décédé en 2020 après des décennies consacrées à la défense de la dignité humaine, contre toutes les formes de racisme et de mépris de classe. Les Editions du Détour ont décidé de rééditer ses livres les plus importants. La Police de Vichy est de ceux-là. Un livre sorti initialement en 1995, l’année même où le Président de la République, Jacques Chirac, reconnaissait publiquement, pour la première fois, la responsabilité de l'Etat français dans la déportation et l'extermination de juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Ce que la France mitterrandienne n’avait pas fait, c’est la droite se réclamant du gaullisme qui le réalisait...

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Pour comprendre la colère qui traverse ce livre, il faut lire la dédicace d’un autre de ses écrits consacré à l’attitude des élites juives pendant la guerre : « A la mémoire de mon père et de ma mère, livrés aux assassins nazis, en 1943, par la police française ».
Maurice Rajsfus était un rescapé de la rafle du Vel’ d’hiv’. Adolescent, il a vu ses parents être arrêtés par ladite police et disparaître dans les camps de la mort. Dix ans plus tard, il a vu la manière avec laquelle ces mêmes policiers matraquaient et tuaient les immigrés algériens. Toute sa vie, il a lutté contre l’impunité dont jouissait cette institution si prompte à obéir à n’importe quelle injonction…
La Police de Vichy est donc l’écrit d’un homme en colère, un journaliste militant, passionné d’histoire et d’archives. Rajsfus n’était pas un historien professionnel, et cela se sent car sa parole est plus libre, moins académique.

En un peu moins de 400 pages, Maurice Rajsfus s’en prend à un mythe tenace, car soigneusement entretenu pendant des décennies : celui d’une Police massivement résistante, n’accomplissant qu’à contre-coeur les ordres de la Gestapo. Pour preuve, son formidable soulèvement d’août 1944 à Paris. Pour preuve, le faible nombre de brebis galeuses épurées à la Libération.
S’immergeant dans les archives, Maurice Rajsfus découvre une bien plus triviale réalité : fonctionnaires d’une institution purgée par Pétain de ses éléments les moins sûrs, les policiers furent obéissants dès le premier jour ou, pour le dire avec les mots de l’auteur, « la police française s’est toujours montrée à la hauteur de la confiance que les hommes d’ordre (mettaient) en elle. ». Massivement réactionnaires et antisémites, les policiers de base accomplirent les basses œuvres sans barguigner, certains même avec un zèle admirable, notamment quand il s’est agi de mettre la main sur les opposants à la Révolution nationale ou de comptabiliser, localiser puis rafler les Juifs de tous âges. Au service de l’Occupant ? Pas seulement ! Au service également de la politique sécuritaire et antisémite du pouvoir vichyste, bien décidé à imposer aux nazis une certaine autonomie d’action. C’était une question d’honneur : si le pouvoir établi dans la cité thermale n’était pas une fiction, alors il devait avoir les mains libres pour gérer à sa guise la sécurité publique, notamment la « question juive » puisque Pétain avait promis d’épargner les Juifs nationaux et de sacrifier les Juifs apatrides.

Des policiers résistants ? Il y en eut, mais peu, très peu. L’immense majorité des képis participa à ce que Rajsfus appelle une « dérive collaborationniste ». Comme beaucoup de Français, c’est l’imminence de la défaite allemande qui les poussa dans la résistance, ni plus ni moins. Et si à la Libération, les autorités avaient dû sanctionner toutes les « brebis galeuses », bien maigre alors aurait été le troupeau...