Julien Chuzeville
Léo Frankel. Communard sans frontières
Libertalia, 2021.


« Mon enterrement doit être aussi simple que celui des derniers crève-la-faim. La seule différence que je demande, c’est d’envelopper mon cercueil dans un drapeau rouge, le drapeau du prolétariat de tous les pays pour l’émancipation duquel j’ai donné la meilleure part de ma vie. » L’homme qui couche ces mots dans son testament se nomme Léo Frankel. L’historien Julien Chuzeville vient de lui consacrer une biographie intitulée Léo Frankel communard sans frontières publiée par Libertalia.

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Issu de la bourgeoisie juive hongroise, Léo Frankel se forme adolescent à l’orfèvrerie d’art. Pour approfondir ses savoir-faire, le jeune homme entame un périple européen qui le mène jusqu’en France. Nous sommes en 1867, Napoléon III règne sur son Empire et se pense encore indétrônable et soutenu par le peuple. Frankel n’a pas 30 ans et son coeur est tout acquis à la cause socialiste ; un socialisme qui ne peut dans son esprit qu’être internationaliste, conviction profonde qui ne le quittera jamais.
Lorsqu’éclate la Commune de Paris, Frankel se jette à corps perdu dans la bataille. Membre de la Première Internationale, il est le seul élu étranger de la Commune proclamée en mars 1871 ; et on le charge de réformer le travail, autrement dit, pour ce socialiste révolutionnaire, d’émanciper les prolétaires du salariat. Tâche dans laquelle il s’implique avec un sérieux et un dévouement qui n’étaient pas si fréquents en ces temps révolutionnaires1.

Frankel le communard était, nous dit Chuzeville, l’un « des éléments les plus avancés du conseil de la Commune » ; un conseil politiquement hétérogène qui parle beaucoup, se chamaille, proclame souvent (et magnifiquement !) mais oublie parfois l’essentiel. Echappant miraculeusement à la Semaine sanglante, Frankel commence une nouvel vie de révolutionnaire polyglotte. A Londres, il se lie d’amitié avec Marx et Engels et s’investit pleinement dans la vie de la Première Internationale à l’heure où socialistes dits scientifiques et anarchistes s’affrontent violemment pour en définir et le rôle et le fonctionnement. Puis, de retour en Hongrie, il fonde le Parti des non-électeurs, autrement dit le parti du peuple exclu du droit de vote, formation qui ne se cantonne pas à réclamer le suffrage universel mais met en avant des revendications démocratiques et sociales comme l’interdiction du travail des enfants, l’instauration d’un salaire minimum ou la liberté de réunion. Parallèlement, il prête sa plume à diverses publications socialistes européennes et s’échine à développer l’internationalisme socialiste. Car Frankel est orphelin de la Première Internationale. Le socialisme n’a de sens à ses yeux que s’il s’inscrit dans une dynamique organisationnelle abolissant les frontières : « l’internationalisme, écrit-il, est la raison primordiale du socialisme ». Il est également un fervent défenseur de l’unité. Quand il retourne vivre à Paris, la ville de ses rêves2, à la fin des années 1880, il se désole de l’éparpillement du socialisme français en une multitude de chapelles et tente, sans succès, d’y remédier, en s’appuyant sur l’expérience historique de la Première Internationale : « Si, du temps de l’Internationale, écrit-il, les différentes chapelles, chacune à sa manière et sur son terrain respectif, pouvaient agir et agissaient ensemble pour la cause commune, pourquoi devrait-il en être autrement aujourd’hui ? » Peine perdue, les socialistes français sont trop divisés idéologiquement pour s’imaginer un destin commun.
Epuisé par la tuberculose, Frankel s’éteint en 1896 à seulement 52 ans. Ses amis en firent le plus beau des portraits, celui d’un homme bon, discret et dévoué à une cause : l’émancipation sociale et politique des travailleurs.

Notes
1. C’est notamment l’avis du communard Jules Andrieu dans ses Notes pour servir à l'histoire de la Commune de Paris (Libertalia, 2016).
2. « Mourir de faim à Paris, c’est encore la belle vie ! » aimait-il à répéter.