Nous étions en plein été et France 3 Grand-Ouest consacrait un reportage à un jeune couple mayennais ou sarthois. Pourquoi ? Parce que celui-ci accédait à la propriété. Comme tant d’autres me direz-vous, certes, mais ces deux jeunes avaient décidé de bâtir leur résidence en transformant une poignée de containers en autant de pièces à vivre. L’intérêt économique était évident : le container, c’est moins cher !, mais il y avait également la certitude de disposer à l’issue des travaux d’un logement assurément atypique, original : bref, une sacrée plus-value esthétique !
C’est d’ailleurs ce que lui fit remarquer le journaliste. N’étaient-ils pas émus à l’idée de passer des années dans des containers ayant fait plusieurs fois le tour du monde ? Et le propriétaire concéda que oui, il y avait un petit goût de liberté qui se nichait entre ces parois métalliques.

Parce que j’ai mauvais esprit, je l’avoue, j’ai trouvé singulier d’associer container et liberté, à moins bien sûr de réduire cette dernière à sa seule dimension mercantile.
En effet, le container, the box en angliche, a une histoire édifiante que le journaliste et économiste Marc Levinson à raconter en son temps1. Si le container a une centaine d’années, ce sont les années 1960 qui l’ont mis sur le devant de la scène, et un entrepreneur audacieux, Malcolm McLean, transporteur routier à la tête d’une conséquente flottille de camions. McLean était audacieux et parfois assez peu scrupuleux, s’inscrivant ainsi dans la grande tradition des businessmen américains2. Il parvînt à convaincre le gouvernement américain de l’intérêt financier qu’il aurait à réorganiser sa façon de concevoir le ravitaillement des troupes engagées dans le conflit vietnamien. Transporter plus, à moindre coût : voilà ce que le fret par conteneurs pouvait offrir à la nation en guerre contre l'expansionnisme. Le gouvernement fut conquis et c’est ce qui fît la fortune de McLean car sa société a très largement profité des largesses du gouvernement américain.

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The box a changé la face de l’économie mondiale, car ce qui coûte cher à un armateur, ce n’est pas le temps passé sur l’eau par sa flotte, mais le temps passé à terre. Avec le container, le docker devient quasiment obsolète et le temps de manutention réduit au maximum : gains de temps et de main-d’œuvre signifient maximisation des profits. L’arrivée du container signe également l’arrêt de mort de tous les ports incapables de s’adapter ou dans l’impossibilité d’accueillir les mastodontes des mers. A Londres, la moitié des 150 quais exploités en 1967 fermèrent leurs portes en moins de quatre ans. Beaucoup de ports sont morts en une poignée d’années et des grands centres maritimes se sont constitués sur leurs décombres.

Evidemment, au début des années 1970, tout le monde s'empressa de moderniser leur flotte. Des centaines de porte-containers performants, autrement dit rapides, furent construits, donnant l’assurance au client que sa marchandise serait transportée vite et bien, et pour un coût modique. La crise pétrolière de 1973-1974 liquida une bonne partie de cette flotte rapide, certes, mais peu économe en carburant. Du coup, on se mit à construire des porte-containers moins rapides mais plus sobres. Problème : quand le prix du baril s’effondra dans les années 1980, ces mastodontes imposants cessèrent d’être attractifs. Fin 1986, McLean l’audacieux fit faillite… Pas de mondialisation capitaliste heureuse, sans containers globe-trotters ! Aujourd’hui, des porte-conteneurs gigantesques sillonnent les mers avec à leur bord non pas en majorité des produits finis, comme on l’imagine, mais des composants industriels permettant la production de marchandises, dont beaucoup sont, vous vous en doutez, indispensables à notre bonheur. Le container est donc au cœur de la machine industrielle capitaliste qui fait de la gestion des stocks un élément-clé de la compétitivité, car qui diminue ses stocks, diminue ses frais immobiliers etc., et donc accroît ses marges bénéficiaires.
Tout cela donne, vous en conviendrez, un goût particulier à la liberté, quand bien même on habite en Sarthe ou en Mayenne…

Note :
1. Marc Levinson, The box - Comment le conteneur a changé le monde, Max Milo, 2011.
2. Cf. Marianne Debouzy, Le capitalisme « sauvage » aux Etats-Unis (1860-1900), Seuil, 1972.