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Nos pirates sont enfants de la guerre, de la misère et de la violence des rapports de production. Longtemps, ils furent marins et soldats, parfois mercenaires et corsaires. Quand les conflits armés cessèrent, ils se retrouvèrent à quai, mendiant, errant à la recherche d'un embarquement dont ils n'attendaient rien sinon un salaire de misère, une nourriture infecte, des coups de fouet et bien souvent la mort. Car le marin de ce temps-là était d'obsolescence programmée : on faisait rarement carrière dans ce métier…
Les pirates sont des révoltés et des déserteurs. On ne naît pas pirate, on le devient à force d'être traité pire qu'un chien. Alors on se mutine, on choisit la liberté et on jure de se venger : si le commandant d'un bateau arraisonné est un honnête homme, il aura la vie sauve ; si ses marins le décrivent comme brutal, alors son sort est scellé… Mais cette liberté, on la sait éphémère, car on ne fait pas plus carrière sous le drapeau noir à tête de mort. Cette liberté a des accents égalitaires : le commandant, élu par ses pairs, peut être révoqué ; son pouvoir est contre-balancé par ses seconds, notamment par l'incontournable quartier-maître ; chaque décision est prise après une longue concertation et soumise au vote ; les butins sont partagés selon des règles strictes et aussitôt dépensés, car le pirate entend jouir de la vie, non accumuler.

Les pirates se veulent hommes libres. Bien souvent issus des bas-fonds, ils n'ont connu que misère et humiliation. Alors, vivre égaux et libres même fugitivement leur paraît cent fois préférable à un quotidien servile ponctué de vexations ; et à la reddition, on préfère le suicide : « Damné soit celui qui n'a vécu que pour avoir une corde au cou ! » (dixit Black Bart Roberts, célèbre pirate gallois). Ils sont Anglais, Français, Hollandais mais aussi Africains, esclaves sortis des entrailles des navires négriers ou fuyant les plantations : les pirates n'ont pas de patrie et pas plus de couleur de peau. Le pirate est un homme et très rarement une femme, mais une Mary Read ou une Anne Bonny valent bien mille forbans !
Le pirate n'est pas un enfant de coeur : il ne croît plus en Dieu. Sa violence ? Il s'y adonne parfois, plus par nécessité (gare à ceux qui résistent !) que par goût, hormis dans les années 1720 quand l'étau se resserre autour des derniers réfractaires. Car l'étau s'est resserré quand l'activité de rapine des pirates est devenue trop nuisible au développement de l'économie trans-atlantique1. Leur courage, leur mépris de la mort ne leur furent alors d'aucun secours face aux armadas internationales lancées à leur trousse pour « nettoyer la mer ».

Finir au bout d'une corde et être exposé, pour l'exemple, aux yeux de tous : tel fut le destin de ces bandits sociaux qui osèrent défier l'Ordre politique et social, insulter Dieu et perturber le saint Commerce maritime. Merci à Marcus Rediker, historien militant et conteur formidable d'avoir rendu, sans angélisme, un si bel hommage à ces Robin des bois des mers.

Note

1. La traite négrière est alors en pleine expansion et la propension des pirates à libérer les esclaves des bateaux qu'ils capturent fait craindre le pire aux Etats européens. Aux Antilles, la présence des pirates stimule également les volontés d'émancipation des esclaves.