Deltombe.GIF

Quarante ans plus tôt, le Cameroun fut le théâtre de massacres de masse et ce, dans l'indifférence quasi-générale, tous les regards hexagonaux étant tournés vers l'Algérie et sa « pacification ». C'est cette histoire méconnue qui tord le cou à cette vieille idée d'une paisible décolonisation de l'Afrique noire francophone, que nous racontent Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa dans « La guerre au Cameroun – L'invention de la Françafrique » publié par les éditions La Découverte.

Dans les années 1950, les maigres élites africaines de l'empire colonial français se divisent sur la stratégie à suivre. Comment s'émanciper, parvenir à l'Indépendance ou, à défaut, à une plus grande autonomie ? Comment y parvenir sans courroucer la France ? Comment y parvenir par le dialogue, la concertation et le compromis ? Ils savent l'adversaire coriace car la Françafrique tient à son far-west, à ses richesses potentielles autant qu'à ce qu'il permet : exister sur la scène internationale comme grande puissance. La France de la Quatrième République, de droite comme de gauche, est d'autant plus coriace qu'elle a la main sur tout et qu'elle peut tout acheter y compris et surtout les « amitiés ». Rares furent ceux qui refusèrent de se plier au desiderata de Paris. Il y eut Sekou Touré le Guinéen et, à contre-coeur, les fondateurs de l'Union des populations du Cameroun (UPC).

Les auteurs montrent bien comment la répression féroce et la manipulation médiatique orchestrés par l’État français poussent ce parti politique à se radicaliser politiquement et à finir par se doter d'un maigre appareil militaire afin de cesser d'être tué sans pouvoir se défendre. Ils montrent surtout comment l'élite camerounaise au pouvoir applique sans état d'âme la politique répressive mise au point à Paris. Armées et épaulées par la France, les troupes camerounaises font régner la terreur dans les territoires favorables à l'UPC. Massacres, exécutions sommaires, rafles de populations, tortures… Au nom de la lutte contre le communisme, sont appliquées au Cameroun les principes de la guerre contre-révolutionnaire, anti-subversive : châtier les populations insoumises ou les forcer à choisir leur camp, isoler les maquisards. En 1961, l'affaire est réglée. L'UPC défaite, le nouveau pouvoir camerounais continua sur la voie tracée, « les dispositifs répressifs (devenant) des techniques de gouvernement ». Les présidents se succédèrent sans remettre en question les piliers du système né dans les années 1950 : autoritarisme politique, clientélisme, gestion kleptocratique des ressources du pays et négociation au mieux de leurs intérêts (personnels) de la dépendance du pays à l'égard de l'ancienne puissance coloniale.
De cette guerre, on sait finalement peu de choses, tant Paris que Douala avaient intérêt, et ont toujours, à n'en point parler. Mais dans ces pays-là, quelques dizaines de milliers de morts, ce n'est pas trop important, n'est-ce pas ?