La question peut sembler saugrenue au regard de ce qui se passe sur le terrain : des Palestiniens plus humiliés que jamais, aussi bien dans le mouroir à ciel ouvert de Gaza que dans les territoires occupés ; un Fatah corrompu jusqu'à la moelle et sans force ; un Hamas guère plus vaillant ; une droite israélienne toujours plus radicale et réactionnaire ; un camp de la paix qui peine à se faire entendre ; ces cycles violence/contre-violence qui se succèdent au gré des conjonctures ; et toujours cette colonisation de la Cisjordanie qui se poursuit au mépris des résolutions internationales.

Chomsky_Pappe.jpg

Tous deux partagent une même critique radicale de l’État d'Israël : critique de son socle idéologique, le sionisme, forme particulière de colonialisme ; critique du racisme sur lequel il repose, et de la politique d'apartheid qu'il mène pour confiner les Palestiniens dans des espaces de plus en plus réduits et de moins en moins capables de les faire vivre. Pappé prend soin d'ailleurs de souligner qu'il s'agit « sans doute d'une variante particulière de l'apartheid », précision importante puisque les Noirs sud-africains étaient privés du droit de vote, ce qui n'est pas le cas d'une partie des Palestiniens qui jouit de la citoyenneté israélienne ; cette analogie entre Israël et l'Afrique du sud du temps de l'apartheid déplaît d'ailleurs quelque peu à Chomsky qui considère qu'il ne faut pas la pousser trop loin, qu'elle « prête à confusion ».

Longtemps, rappelle Ilan Pappé, les militants pacifistes ont considéré que la résolution du conflit palestinien passerait par la création, à côté d'Israël, d'un Etat palestinien. Aujourd'hui, cette idée (ou plutôt cette espérance) est en perte de vitesse. Il suffit de regarder une carte des territoires occupés pour se rendre compte à quel point la politique de colonisation de la Cisjordanie a transformé celle-ci en un territoire ingérable, mêlant colonies juives de peuplement et enclaves palestiniennes de misère. C'est pourquoi de plus en plus de militants font leur l'idée d'un Etat commun, israélo-palestinien, laïc et démocratique. C'est sur cette question que les deux hommes divergent quelque peu. Pour Chomsky, « Israël et les Etats-Unis n'accepteront jamais l'idée d'un Etat commun » alors que « la solution à deux Etats (…) a le mérite de bénéficier d'un large soutien international, même si Washington empêche sa mise en œuvre depuis plus de 35 ans. » Pappé considère que « la solution à deux Etats ne peut être mise en œuvre que selon des modalités définies par Israël : « la principale motivation des Israéliens favorables à la solution à deux Etats n'est pas une réconciliation avec les Palestiniens, mais le contrôle de la plus grande partie du territoire possible, où vivraient le moins de Palestiniens possible. » Qu'en d'autres termes, au lieu de se battre pour l'émergence d'un Etat palestinien pauvre et sans pouvoir véritable, il faut se battre pour « la constitution d'un territoire unique dont les habitants formeraient un seul peuple. »

Utopique diront certains. Mais qu'est-ce qui ne l'est pas dans le contexte israélo-palestinien actuel ? Mais ce qu'il y a de sûr pour Chomsky et Pappé, c'est que la résolution de ce conflit dépendra de la capacité de l’État américain à imposer à son partenaire et débiteur israélien qu'il cesse sa politique du fait accompli.