La malédiction a bon dos, et c'est ce que nous explique l'universitaire Justin Podur dans La nouvelle dictature d'Haïti, un livre qui nous apporte un éclairage intéressant sur l'histoire d'Haïti dans la première décennie du présent siècle ; une histoire terriblement chaotique dans laquelle les Etats-Unis jouent un rôle central. La décennie qui suit le départ précipité de la dynastie sanguinaire des Duvalier, met aux prises un ancien prêtre partisan de la théologie de la libération, Jean-Bertrand Aristide, et la petite nomemklatura haïtienne que l'auteut appelle « le gang des onze », avec la Maison blanche comme arbitre. Le monde communiste n'étant plus, l'heure est à la promotion de la démocratie. Les Etats-Unis apprécient donc peu le recours au coup d’État dans son pré-carré. Elles préfèrent des présidents légitimes et responsables, c'est-à-dire libéraux. Malheureusement, Jean-Bertrand Aristide ne l'était pas assez à ses yeux. Il fallait donc trouver le moyen de s'en débarrasser sans que cela n'apparaisse comme un retour aux méthodes d'antan, incomptabile avec la doxa néoconservatrice. Et d'une certaine façon, ils y sont parvenus.

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En 2004, le départ précipité d'Aristide sous bonne garde américaine est l'aboutissement de quatre ans de propagande acharnée visant à faire du président légal un dictateur mégalomane, s'appuyant sur une milice privée pour faire taire ses opposants. Les Duvalier avaient leurs Tonton Macoute, Aristide a ses gangs de rue, les fameux Chimères ; chasser Aristide doit permettre le retour au calme.
En fait de retour au calme, nous raconte Justin Podur, c'est à une mise au pas de la population à laquelle s'est livré le nouveau régime, soutenu par les gouvernements américain, français, canadien, sans oublier les ONG, omniprésentes sur le territoires. Qu'Aristide ait commis des erreurs, que ses partisans n'aient pas été irréprochables, cela ne fait de doute pour personne, même si l'auteur n'en dit presque rien ; il aurait été difficile qu'il en fut autrement si l'on considère l'état de misère du pays, l'un des plus pauvres de la planète. Mais ce n'est pas à un retour au calme auquel nous avons assisté mais à une liquidation violente des mouvements populaires favorables à l'ancien président. Une liquidation perpétrée autant par des groupes para-militaires ou mafieux que par Les forces armées de la MINUSTA, autrement dit Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti. Exécutions sommaires d'opposants, répression violente de manifestations populaires, saccage des bidonvilles, « criminalisation et incarcération de jeunes issus de milieux défavorisés » : la pacification d'Haïti s'est payée de nouveau par du sang et des larmes ; pour le seul mois de mars 2004, un observateur évalue à 1000 le nombre des assassinats politiques perpétrés par le nouveau régime avec le soutien des grandes puissances. Pour Justin Podur, « sous une façade démocratique, c'est une dictature internationale (qui) s'est fermement implantée. »

Fouillez votre mémoire, essayez de vous souvenir de la façon dont les médias occidentaux parlaient de Jean-Bertrand Aristide : il fut un temps « Titid », la voix des sans voix, un homme généreux attaché au bonheur de son peuple puis dépassé par la tâche et grisé par le pouvoir, il est devenu un chef d’État mégalomane et autoritaire. C'est contre ce discours bien rôdé qui sous-entend que les peuples n'ont rien à attendre de ceux qui leur promettent un changement radical de leurs conditions d'existence que s'élève Justin Podur. Sans doute peut-on lui reprocher de le faire davantage en partisan qu'en historien, mais sa voix mérite d'être entendue.