Les libéraux n'ont eu de cesse de le répéter : il y a les bons et les mauvais pauvres, les méritants et les déméritants, les invalides et les valides, les inutiles au monde victimes d'une infirmité ou de l'âge, et les autres, intempérants, paresseux, profiteurs, qui se complaisent dans les bas fonds, ceux qui doivent bénéficier de la charité privée, voire publique, et les autres que l'on se doit de châtier sévèrement et de renvoyer sur le droit chemin du salariat. Il y a une aile droite, dure avec les gueux et moraliste en diable, dont une des têtes de gondole serait Herbert Spencer. Il y a une aile gauche qui pourrait avoir les traits du baron de Livois, président de l'Oeuvre de l'hospitalité de nuit parisienne qui sans nier qu'il faille séparer le bon grain de l'ivraie, prend en compte « les infortunes réelles et involontaires (conséquences de) de temps de chômage forcé, où les outils de l'ouvrier deviennent inutiles et sans emploi. » Comme l'écrit Léonce de la Rallaye en 1881, « Il ne faudrait pas croire que les hôtes de l'asile de nuit sortent tous des bas-fonds de la société. Plusieurs appartiennent à des professions libérales ; l'inconduite, l'imprévoyance, des accidents fâcheux, les soubresauts de la politique les ont fait échouer sur cette plage heureusement hospitalière. » Il faut donc tendre la main à cette « population flottante », tous ces honnêtes travailleurs sans-emploi, paupérisés afin d'éviter qu'ils ne soient contaminés par les vagabonds indignes d'intérêt ; tendre la main et les remettre dans le droit chemin : « la population flottante doit être fixée, comptée, contrôlée, surtout, elle doit être décontaminée moralement et physiquement. »

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Dans l'asile de nuit, l'encadrement est paternaliste et ferme. Grâce à la tenue stricte d'un registre, on prend bien soin de veiller à ce que les profiteurs ne passent d'asile de nuit en asile de nuit, s'épargnant ainsi le coût de quelques nuits d'hôtel. On ne badine avec le règlement. L'oisiveté est proscrite, de même que le laisser-aller. On se lève à 5h du matin, on effectue quelques corvées ; parfois même on trouve à s'y employer, histoire d'amasser un petit pécule dont une part reviendra à l'asile de nuit. Le lessivage corporel et vestimentaire est obligatoire. Si la prière n'est pas obligatoire, aucun journal politique n'a droit de citer entre les murs de l'asile ; le lecteur pourra en revanche se plonger dans les « ouvrages d'éducation à la prévoyance et à la tempérance » et dans les récits de voyages.

L'asile est donc une « école de correction », non du système mais de ceux qui peinent à s'y faire une place. Comme le souligne en conclusion l'auteur, l'avènement des asiles de nuit « a participé au compromis républicain et à la cohésion sociale (…) ces refuges deviennent la conséquence logique d'une tentative de pacte républicain fondé sur la paix sociale. » ; une République qui n'est pas celle de la justice et du pain, celle de la Commune, mais celle des républicains modérés, opportunistes, celles des Ferry et Gambetta, celle de l'enseignement moral et civique à l'école et de la mission civilisatrice de la colonisation. Une république bourgeoise en somme, pour laquelle la question sociale est avant tout une question de police.