Les journalistes cultivés, car il en reste, remarquèrent aussitôt qu'Emmanuel Macron avaient attribué à Mao Tsé-Toung ce qui revenait à Deng Xiaoping ; et oui, Macron a attribué au Grand Timonier ce qui concernait le Petit Timonier. Car c'est bien Deng Xiaoping qui déclara en 1962 : « Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, s'il attrape la souris, c'est un bon chat. »Mais bon, comme l'on dit au Café du commerce, les Chinois se ressemblent tous !
Rendons donc à Deng ce qui appartient à Deng.

Emmanuel Macron est un ancien banquier d'affaires et, croyez-moi, il n'y faisait pas de l'entrisme pour favoriser les desseins séditieux des ennemis du marché libre. Pour lui, l'économie n'est ni de gauche, ni de droite. Il pense comme Tony Blair, qu'il y a des choses qui marchent et d'autres qui ne marchent pas. Alors, pragmatique et se revendiquant comme tel, il met en place des dispositifs favorables au rendement du capital, parce que c'est ça qui marche et il fait la risette aux patrons parce que c'est ça qui marche. Dans notre bas monde, si on n'est pas business friendly, le business se venge et on meurt d'inanition ; en revanche, si on est business friendly, le business nous récompense en nous abreuvant au goutte-à-goutte. Choisissez votre camp !

Cela n'est pas surprenant. Cela fait belle lurette que les socialistes de gouvernement ont troqué le couteau entre les dents pour la rose. Cela fait belle lurette que le socialisme de gouvernement nous adapte au monde du travail avec vaseline au chausse-pied. L'entreprise de destruction du code du travail tourne à plein régime, sans parler de la criminalisation des maigres réactions ouvrières.

Bref, pour montrer au monde libre à quel point le socialisme français était moderne, business friendly, pragmatique et parfaitement bilingue, Emmanuel Macron a donc convoqué Mao Zedong. Ce qui est très rigolo. Car s'il y a bien un penseur marxiste qui, en économie, est bien plus volontariste que pragmatique, c'est bien le Grand Timonier. C'est en effet à Mao Zedong que nous devons le funeste Grand bond en avant qui, à partir du milieu des années 1950 devait permettre à la Chine de rivaliser avec l'URSS « déstalinisée » en matière d'industrialisation. C'est beau l'enthousiasme et le romantisme révolutionnaire, mais ce n'est pas ça qui met du riz dans la gamelle. En clair, pour une foultitude de raisons, dont l'incompétence et les rivalités entre bureaucrates ne furent pas les moindres, le bilan fut catastrophique aussi bien économiquement que humainement. La déjà peu productive agriculture nationale le fut encore moins, et des dizaines de millions de paysans chinois payèrent de leur vie la conception de la voie chinoise menant au socialisme sauce Mao.

Dans un univers où il est difficile de savoir ce qui tient du désaccord idéologique ou de la rivalité personnelle, que fit Deng Xiaoping ? Il prit ses distances avec un Mao Zedong malmené par une partie des cadres communistes, sans trop s'exposer afin de ne pas se faire traiter de droitier et de finir dans un goulag local à faire son autocritique.
Mao écarté de la politique économique, c'est Deng le pragmatique qui se charge de mettre sur pied une politique économique plus efficace. Mais en lançant et instrumentalisant la grande Révolution culturelle quelques années plus tard, Mao reprend la main et se venge de ceux qui l'ont écarté du pouvoir et transformé en simple étendard pour l'adulation des masses. Deng le paie de quelques années de relégation avant de réintégrer les hautes sphères du parti au milieu des années 1970 après avoir fait repentance.
A la mort de Mao Zedong, les différents clans composant la bureaucratie politico-économique chinoise lavent leur linge sale en famille, et finalement le combat fratricide entre Hua Guofeng et Deng Xiaoping tourne en faveur de ce dernier, la majorité du parti préférant confier le sort du pays à un pragmatique favorable à la direction collégiale des affaires nationales. C'est donc Deng Xiaoping le pragmatique qui lance le grand mouvement de modernisation de l'appareil productif chinois, son insertion dans la division internationale du travail à la place d'atelier du monde… et c'est aussi Deng qui est aux manettes lorsqu'il faut réprimer dans le sang la révolte de la place Tian'anmen au printemps 1989.

Afin de nous faire entrer de plain-pied dans le 21e siècle, Emmanuel Macron essaie de nous vendre des vessies néolibérales pour des lanternes socialistes modernes. Son ambition est aussi forte que louable. C'est pourquoi, pour l'encourager dans sa mission d'édification des masses, empruntons au président Mao ces mots : « La rééducation idéologique est une affaire de longue haleine, qu'il faut mener patiemment et minutieusement. »