Répression, disais-je. De 1905 à 1918, nos syndicalistes, laïcs ardents, n'ont connu que cela. Jusqu'en 1914, l’État, refusant par principe que le droit syndical soit reconnu aux fonctionnaires, tente de faire peur à ces éducateurs qui le défient ouvertement puisqu'ils refusent de dissoudre leurs organisations. Mutations autoritaires, blâmes, pressions, révocation même, rien n'y fait. Les syndicats tiennent bons et l’État finit par les tolérer. Avec l'éclatement du premier conflit mondial, la situation se tend à nouveau, d'autant plus que les syndicalistes de la Fédération nationale des syndicats d'instituteurs et d'institutrices (FNSI) sont à la pointe du combat contre la guerre, le nationalisme et l'Union sacrée. Pourtant la FNSI n'est pas totalement hermétique à l'atmosphère guerrière de 1914, et elle compte dans ses rangs quelques partisans de la majorité confédérale de la CGT, celle-la même qui, par la voix de Léon Jouhaux en appela sur la tombe de Jaurès au rassemblement de tous face au péril incarné par le militarisme prussien, incarnation du Mal et de la bestialité.

Comment faire entendre une voix discordante dans le tumulte revanchard et chauvin de l'année 1914 ? Comment faire, alors que la censure s'abat sans retenue sur tout écrit public ? Les syndicalistes enseignants apprennent vite à leurs dépens qu'il leur sera difficile de faire vivre leur revue syndicale en clamant haut et fort leur attachement à l'internationalisme prolétarien ! L'Ecole émancipée est suspendu dès le mois d'octobre. Son successeur, L'Ecole de la fédération, perdure tout au long de la guerre, s'efforçant, par l'auto-censure, de ne pas donner prétexte à interdiction, mais sans rien renier de ses convictions laïques, pacifistes et féministes ; elle est ainsi au premier rang pour défendre la féministe Hélène Brion, institutrice incarcérée pour propagande défaitiste, qui sera condamnée et révoquée.

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Malgré la répression, entre deux perquisitions, ces militants s'investissent pleinement dans la constitution et le renforcement d'un pôle opposé à l'Union sacrée au sein de la CGT et du Parti socialiste. Les voici à Zimmerwald, à Kienthal, à Stockholm, là où lentement mais sûrement, contre vents et marées, des socialistes, des syndicalistes, des révolutionnaires d'Europe se regroupent et affirment leur refus de la guerre impérialiste. Au sein de la CGT, la FNSI se bat avec force contre Léon Jouhaux aux côtés des métallos dont le leader, Alphonse Merrheim, est resté fidèle à ses principes syndicalistes révolutionnaires… du moins jusqu'à l'été 1918 et son ralliement à la majorité confédérale. Un renégat de plus, effrayé non par le Prussien mais par le Bolchevik...

En s'appuyant notamment sur la correspondance de Louis et Gabrielle Boüet, enseignants dans le Maine-et-Loire, inlassables animateurs de la FNSI, Loïc Le Bars rend un bel hommage à cette poignée de valeureuses et valeureux qui, contre vents et marées, avec courage, a résisté à la vague nationaliste et xénophobe, et incarné quatre ans durant l'internationalisme prolétarien si cher au syndicalisme révolutionnaire qu'ils professaient.