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Pour Andrew Nikiforuk, « sans trop nous en rendre compte, nous avons remplacé l'ancienne énergie des esclaves humains par une nouvelle forme de servitude, alimentée par les combustibles fossiles ». Avec talent et érudition, et après deux courts chapitres sur la place des esclaves dans l'Antiquité mais aussi à l'époque contemporaine, Nikiforuk nous glisse dans les pas de ceux qui firent fortune avec cette huile visqueuse et ses promesses de félicité. C'est grâce à l'or noir que de grandes fortunes se firent ou se consolidèrent outre-Atlantique, que l'agriculture fut plus productive, que les villes devinrent des mégalopoles traversées et entourées par des autoroutes et des périphériques surchargés de véhicules peuplés de travailleurs et de touristes. Sans ce pétrole coulant à flot et si bon marché, notre monde serait-il aussi fringant et désirable ?
Fringant et désirable ? Notre monde ne le fut jamais hormis sur les placards publicitaires et dans les magazines. Andrew Nikiforuk a raison de nous rappeler que chaque médaille a un revers... ou plusieurs. Politiquement, comment oublier le poids des multinationales pétrolières, ces faiseuses de princes, dans le destin et le quotidien de certaines démocraties, le poids de Standard Oil aux Etats-Unis comme celui d'Elf en France, au point que certains auteurs ne voient dans le pétrole non un atout mais une malédiction pour les pays producteurs ? Comment passer sous silence les conséquences dramatiques pour les éco-systèmes et la santé humaine de l'agro-business et de ses herbicides et autres saloperies produites grâce au pétrole ? Comment ne pas s'inquiéter de la pollution atmosphérique, de la congestion des villes, de la disparition des poissons, du gaspillage insensé des énergies fossiles, du culte de la croissance ? Comment oublier que le pétrole ne coulera bientôt plus à flot et à cesser d'être depuis longtemps une source d'énergie bon marché ?

Car il nous faudra bien passer à autre chose ; un autre chose qui ne serait être, pour Nikiforuk, un capitalisme « vert », vertueux, économe ou durable, voire hyper-technologique. Pour Andrew Nikiforuk, « notre soumission débilitante aux forces attractives des combustibles fossiles n'a qu'un remède : une décentralisation et une relocalisation radicales de nos dépenses en énergie, combinées à une réduction systématique du nombre d'esclaves inanimés dans nos foyers et nos lieux de travail. » Les « esclaves inanimés » de Nikiforuk ne sont rien d'autre que toutes ces choses qui fonctionnent grâce aux énergies fossiles, toutes ces choses qui nous rendent la vie plus facile… mais jusqu'à quand ? Car il y a urgence, si l'on considère à quelle vitesse le capitalisme ruine « jusqu'aux conditions permettant la vie sur terre »…

« A force de pourchasser le bonheur à grand renfort d'énergie, nous avons fini par le perdre », nous dit l'auteur. Qu'importe si cela déplaît à celles et ceux qui pensent que le bonheur peut se trouver dans les rayons des supermarchés, l'air conditionné, l'obsolescence programmée des prothèses numériques ou la consommation d'une fraise en janvier. Nikiforuk nous invite tout simplement à penser un autre monde, une autre façon de vivre, de travailler et de coopérer.