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Rassembler en un volume de deux cents pages ces dizaines d'articles est une initiative judicieuse tant nous vivons aujourd'hui, pour reprendre leurs mots, un « tarissement des luttes majeures » concernant les immigrés, avec ou sans papier. Mais ne nous y trompons pas : ce livre n'a pas l'ambition de nous présenter l'histoire des luttes menées par les immigrés pour leur émancipation et leur dignité. Il se cantonne d'en exposer succinctement un certain nombre, des plus connues comme la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 ou la grève des loyers dans les foyers Sonacotra lors de la décennie précédente, aux plus obscures comme celles des ouvrières notamment italiennes de Marseille dans les années 1920.

Les luttes des années 1970 représentent le tiers des contributions. Rien d'étonnant à cela, car pour les militants révolutionnaires de cette France chahutée par Mai 1968, le travailleur immigré incarne le Prolétaire avec une majuscule, l'exploité, l'humilié, celui que l'on fait taire et celui que l'on n'écoute pas, y compris dans les organisations ouvrières. La sociologue Laure Pitti nous entraîne ainsi dans la banlieue lyonnaise auprès des ouvriers maghrébins de la société Pennaroya en lutte pour, littéralement, ne pas perdre leur vie à travailler. Sa collègue Mireille Galano nous conte la longue lutte menée par les résidents étrangers des foyers Sonacotra contre les loyers exorbitants et l'atmosphère de caserne y régnant ; il faut dire que 90 % des responsables des dits foyers étaient d'anciens militaires, rompus donc au maintien de la discipline ! Abdellali Hajjat m'a fait découvrir le Mouvement des travailleurs arabes, structure militante radicale liée à la Gauche prolétarienne, à l'initiative d'une grève générale contre le racisme en septembre 1973 alors que dans le sud de la France, l'atmosphère était à la ratonnade.

Dans les années 1980, marquées par l'arrivée de la gauche au pouvoir, les combats se poursuivent et ne se résument pas à la marche de 1983. Même si le prolétariat immigré est le premier à subir les licenciements dans l'industrie, on continue à se battre dans l'automobile comme à Talbot-Poissy où le racisme est omniprésent, dans le secteur des services où la main-d'oeuvre, plutôt féminine, est surexploitée. Mais on se bat aussi contre la double-peine, les atteintes au droit d'asile ou pour en finir avec les cités de transit. On perd, on gagne, qu'importe ! Car « ceux qui (livraient ces combats) partaient avec l'idée qu'ils pouvaient (être victorieux), que le rapport de force n'était pas forcément défavorable. » nous dit le GISTI, avant de glisser : « Lorsque c'est la gauche qui gouverne et qu'elle pratique la même politique que la droite, il faudrait un mouvement social infiniment plus puissant qu'il ne l'est aujourd'hui pour avoir une chance d'infléchir la politique gouvernementale. » Pessimiste le GISTI ? A lire leur conclusion, cela ne fait aucun doute. Mais comment ne pas l'être dans une France gangrenée par le racisme qui ne voit dans l'immigré (et sa progéniture) qu'un importun à canaliser ou à maintenir à distance ?

Nouvelle donne, vieilles rengaines (émission n°4, novembre 2015)