Comment exister encore ?
Par Patsy le lundi, novembre 9 2015, 15:24 - Notes de lecture - Lien permanent
Louis Marion
Comment exister encore ? Capital, techno-science et domination
Ecosociété, 2015
Nouvelle donne, vieilles rengaines (émission n°3, novembre 2015)
Comment exister encore ? Tel est le titre du dernier livre du philosophe québécois Louis Marion publié par les éditions Ecosociété. Livre court mais dense, livre réquisitoire contre le monde tel qu'il est.
Louis Marion est objecteur de croissance. Sa critique de la croissance, de cette indispensable croissance dont on doit tout attendre, ne l'amène pas à faire de l'Homme (avec un h majuscule) le responsable d'un tel désastre humain et écosystémique. Non, l'Homme n'est pas un loup pour son semblable, un prédateur insatiable. L'Homme n'existe pas. Il n'y a que des hommes sans majuscule, aux prises dorénavant avec un système qu'ils ont créé et dont la logique mortifère les dépasse de plus en plus.
Pour appuyer sa thèse, Louis Marion convoque des penseurs incontournables comme Karl Marx ou Jacques Ellul, et des auteurs plus confidentiels, hormis dans quelques cercles intellectuels d'extrême gauche, comme Moishe Postone ou Anselm Jappe. Mais son auteur de référence demeure le philosophe allemand Günther Anders dont il est devenu l'un des spécialistes.
En moins de deux cents pages, Louis Marion propose une critique radicale du capitalisme, nous rappelant qu'il n'est pas une façon de produire des richesses mais une volonté de transformer tout en marchandises, autrement dit en valeur d'échange, y compris le travail humain : c'est pourquoi, nous dit-il, « sortir du capitalisme signifie supprimer la marchandise. » Critique également du libéralisme politique et de l'individualisme sur lequel il repose, et qui se conjugue aujourd'hui sur le mode du coaching tout azimuths, de l'atomisation et du mal-être : l'individu n'est-il pas maître de sa vie et de sa destinée, entrepreneur de lui-même et de ses capitaux ? Critique également de la technophilie et de la doxa néolibérale, de la mainmise sur nos vies des machines, des manipulations langagières et de la propagande télévisuelle.
Critique aussi radicale qu'argumentée, parfois exigeante, et placée sous le signe de l'urgence. Car urgence il y a : comme il le souligne en introduction, « l'urgence est de sauvegarder ce qui peut l'être encore (…) ce qui reste de la nature contre la puissance de l'être humain ». L'auteur nous appelle « à mieux penser l'engagement politique à incarner face à la dévastation à grande échelle opérée par l'économie capitaliste, néolibérale, productiviste, spectaculaire et marchande. » Contre le « sectarisme des tribus survivalistes individualistes impuissantes », il plaide pour le développement de mouvement sociaux remettant en cause radicalement les fondements de nos sociétés modernes avec son fétichisme de la marchandise, son culte de la bagnole, son éloge de la croissance et de développement. Contre les rêves de capitalisme vert, les fausses alternatives, Louis Marion nous rappelle que « combattre les effets du capitalisme ne suffit pas, il faut combattre le capitalisme lui-même, car ce dernier est capable de se nourrir de ses propres effets dommageables, de ses propres contradictions. » Circuits courts, reterritorialisation des activités productives, décentralisation des modes de production d'énergie, développement des monnaies locales, baisse du temps de travail, développement de la permaculture urbaine… les idées ne manquent pas, l'important étant qu'on apprenne à « s'épanouir sans le capital ». Louis Marion ne nous dit pas si, pour nous sauver de la catastrophe annoncée, il nous faudra prendre d'assaut le Palais d'hiver ; si, en d'autres termes, l'abolition du capitalisme et du monde qui va avec se fera avec les armes de la critique ou nécessitera la critique des armes. Qui vivra verra...
Commentaires
Autant je suis d'accord avec les conclusions des deux premiers articles de Patsy (politique israélienne, pari d'Erdogan en Turquie) autant je me demande si la conclusion de ce dernier article, gentiment tatillonne, ne s'apparente pas à une pirouette.
Sans pouvoir soutenir un grand débat théorique à ce sujet, je ne pense pas que le capitalisme ne soit qu'une "volonté de transformer tout en marchandises". Il me semble que la discussion peut commencer à ce stade. Pour moi, le capitalisme est un système de production et d'échanges sans que l'on puisse séparer ces deux aspects. Ce qu'il change, part rapport aux systèmes qui l'ont précédé c'est que le capital s'empare de tout ce qui est susceptible de produire du profit (y compris aujourd'hui "le vivant") en exploitant le travail humain. La marchandisation de toutes choses n'en est une des conséquences et elle reste à évaluer dans la globalité du système.
Pour mieux faire comprendre ma proposition, je dirais que je suis naturellement pour les Circuits courts et la décentralisation des modes de production d'énergie mais je pense que l'étape du "développement des monnaies locales" ne peut se faire sans une analyse de la valeur, fondamentale dans la critique de Marx. Les calculs liés à l'échange ne sont pas solubles dans la seule volonté de coopérer. C'est simple lorsqu'il s'agit d'échanger des légumes : je propose que l'on calcule le temps mis pour les produire; ca peut être une base de discussion simple. Mais échanger des légumes contre l'électricité produite par une pile solaire, cela devient une opération beaucoup plus complexe...
Où l'on s'aperçoit que l'échange de produits (marchandises) est un aspect d'une économie qui implique de prendre en compte l'ensemble des processus de production. Et cela nécessite des phénomènes de régulation qui émaneraient de décisions, certes librement consenties mais qui restent impossibles si l'on s'en tient au stade de la coopération de voisinage. C'est là qu'à mon avis, interviendrait l'inévitable affrontement avec l'autorité de l' Etat à laquelle nous sommes actuellement soumis. Inévitable, à mon sens, mais imprévisible : je placerais là le "qui vivra verra"! de Patsy.
J'espère avoir été clair, je n'en suis pas certain : je ne suis qu'un militant qui cherche...