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Publié initialement en Espagne en 1978, L'Echo des pas se présente aujourd'hui sous la forme d'un pavé de près de 700 pages écrites serrées. Il faut donc s'armer de courage pour affronter un tel document, d'autant plus que le travail éditorial a été... raté. Cela me coûte de l'écrire mais je le dois. Je ne parle pas ici de l'orthographe, plutôt satisfaisante1, mais notamment de l'effroyable gestion des dialogues et des paragraphes qui rend la lecture plus que pénible ; à croire que personne n'a eu le courage de relire les épreuves avant impression ! Je vous avoue avoir eu envie de refermer le livre plus d'une fois mais voilà, il y avait l'essentiel : la parole de Garcia Oliver.

Du courage, il en faut également car ce Catalan austère ne se révèle pas particulièrement sympathique et montre à quel point le temps n'a pas apaisé les rancoeurs. Pour lui, ce n'est pas la CNT qui a fait faillite en 1936 mais plus précisément sa direction. Il n'a que mépris pour les « possibilistes » (la tendance réformiste au sein de la CNT) et les anarchistes « puristes » et doctrinaires de la FAI qui, les uns comme les autres, ne furent pas à la hauteur des événements2. En fait, pas grand monde ne trouve grâce à ses yeux : ni Federica Montseny et la famille Urales (des « libéraux-radicaux sous étiquette anarchiste »), ni Horacio Prieto (neurasthénique et inconsistant), ni Diego Abad de Santillan (« professionnel en rien »), même pas son ancien compagnon, Durruti, qu'il jugeait peu sérieux, indécis, manipulable, incapable de penser sans la présence de Francisco Ascaso à ses côtés3. Il en va de même pour le camp « républicain » pour qui il ne montre pas grand respect : des bourgeois, des arrivistes, des manipulateurs mais peu de personnalités vertueuses. En revanche, il ne rate jamais une occasion de faire dire par d'autres, qu'ils soient ministre, militant de base ou ambassadeur soviétique, à quel point lui, Garcia Oliver, était un adversaire de valeur, un polémiste redouté, quelqu'un qu'on ne pouvait berner facilement. Orgueilleux, Garcia Oliver ? A lire L'Echo des pas, on mesure à quel point l'autocritique n'est pas son fort. C'est un plaidoyer pro-domo qu'il nous délivre là, et il faut le lire comme tel.

Avec l'aide de sa mémoire et de quelques documents, Garcia Oliver règle donc ses comptes et explique pourquoi lui, l'intransigeant, s'est retrouvé ministre : par discipline. Depuis quelques années, il ne cessait de réclamer que la CNT prenne au sérieux la question de la Révolution, cesse d'être en somme romantique : sans succès4. Minoritaire dans l'organisation, il était de surcroît accusé d'avoir des penchants « bolcheviks », autrement dit dictatoriaux5. En juillet 1936, il proposa que la CNT instaure « sa » dictature du prolétariat en Catalogne, arguant qu'elle avait été la principale force à s'être opposée victorieusement au coup d’État fasciste. Il ne fut pas suivi, et ce fut pour l'anarcho-syndicalisme ibérique, le début de la fin. Mais Garcia Oliver était un militant discipliné et il le restera: il ira donc là où son organisation lui dira d'aller, il acceptera d'avaler nombre de couleuvres sans jamais renier ses convictions et avec pour seul espoir qu'une nouvelle occasion se présente pour mettre la CNT en capacité de diriger la lutte, et non plus de rester à la remorque des partis bourgeois ou pseudo-révolutionnaires. Ce fils du lumpen-prolétariat espagnol, qui vécut tant d'années dans les geôles et qui proclamait en juillet 1936 que le moment était venu de faire la Révolution et de prendre tout le pouvoir, quitta la direction du Comité central des milices antifascistes pour devenir ministre de la Justice d'un gouvernement d'unité déchiré par les rivalités entre républicains, socialistes et communistes...

De ce témoignage d'une grande richesse6, il se dégage le portrait d'un homme dur, cassant, marginal dans son propre camp, d'un anarcho-syndicaliste défenseur de la « gymnastique révolutionnaire » pour hâter la venue de la Révolution, d'un révolutionnaire qui n'a jamais cessé de l'être, capable d'écrire à soixante-dix ans passé : « Depuis le jour où j'ai proposé de prendre tout le pouvoir, je n'ai jamais cessé d'attendre que se présente une autre opportunité de pouvoir le faire. »

Notes
1. Peu de fautes d'orthographe donc, mais des erreurs assez incompréhensibles : l'antifasciste italien Rosselli, se fait prénommer Cario puis Carlos, mais jamais par son vrai prénom : Carlo.
2. Concernant les leaders de la FAI, Il les accuse de ne pas être descendus dans la rue à la mi-juillet 1936 pour s'opposer physiquement au coup d’État : « Ils se prenaient pour l'état-major de l'intellect, ce qui semblait leur épargner de devoir se battre dans la rue. Je pus m'apercevoir par la suite qu'intellectuellement non plus, ils ne valaient pas grand-chose. » Il leur opposent ceux qu'ils appellent « les hommes d'action », des militants ouvriers avec l'arme à la ceinture, pas des phraseurs.
3. Pour Garcia Oliver, le leadership de la CNT-FAI était tenu par lui-même, Durruti et Ascaso. Ascaso tué le 20 juillet à Barcelone, il ne reste que lui et Durruti. Mais Durruti étant selon lui trop faible de caractère, on comprend dès lors que Garcia Oliver se pose indirectement comme le seul représentant de la « vraie CNT ».
4. Garcia Oliver ne croit pas à la capacité du « peuple en armes » de sauver la Révolution. Il était favorable à l'instauration d'une armée révolutionnaire mais ne dit rien, il me semble, de la « militarisation des milices ».
5. Il était pourtant viscéralement antistalinien. C'est pour cette raison qu'il se méfiait des brigades internationales dont la présence donnait de la consistance à l'insignifiant communisme espagnol.
6. Si l'essentiel du récit concerne la période 1936-1939, ce témoignage nous renseigne cependant beaucoup sur l'agitation révolutionnaire des années 1920 et 1930, l'autodéfense ouvrière (les groupes Los Solidarios et Nosotros) et les conflits qui agitèrent le mouvement libertaire en exil.