Du gueux à moudre
Par Patsy le mardi, septembre 30 2014, 21:33 - Question sociale - Lien permanent
Chronique (septembre 2014)
Avec un taux de chômage supérieur à 10 %, une croissance en berne et un moral dans les chaussettes, la patrie des droits de l'Homme et du citoyen va mal, très mal. Les recettes des politiciens ne fonctionnent pas. Normal, les politiciens ne se mettent point les mains dans le cambouis. Ils pérorent, échafaudent des plans, ménagent la chèvre et le chou alors qu'il leur faudrait, au contraire, prendre des décisions fortes, radicales. En revanche, les patrons, ces conquérants du monde moderne, ces aigles que l'on prend trop souvent pour des pigeons, savent ce qui leur faut pour remettre de la croissance dans l'atonie, du bonheur sur les visages et de la sueur sur les fronts. Car c'est dans l'effort que la Nation trouve un supplément d'âme. C'est dans l'effort qu'elle se forgera un destin à la hauteur de son passé. Oui, je sais, j'en fais trop, mais j'essaie de mettre du Malraux dans le Gattaz afin de captiver votre attention.
Pierre Gattaz, apôtre ou pénitent ?
Dans les années 1960 et 1970, de jeunes écervelés brandissaient, sourire aux lèvres et larme à l'oeil, le petit livre rouge, recueil de citations bouleversifiantes du Grand timonier Mao Zedong, qu'il était conseillé de lire et de commenter collectivement, autour d'un bol de riz blanc, of course, because la viande et les légumes, c'était pour les bureaucrates du parti.
Le petit livre jaune du Medef connaîtra-t-il le même destin ? Rigolo d'ailleurs d'avoir choisi le jaune comme couleur, car tous ceux qui s'intéressent à l'histoire ouvrière savent que le jaune est la couleur des non-grévistes, des larbins du patronat, des lâches, faux-derches, opportunistes... et of course celle du Vatican qui, en matière d'alliance avec les exploiteurs, n'a de leçons à recevoir de personne !
Autant vous l'avouer, je n'ai pas eu le courage de chercher sur le Net ce pensum libéral. J'ai juste mis la main sur un document recensant les propositions les plus importantes, et susceptibles de faire de la France à nouveau une puissance respectée, dynamique, forte, et non plus ce musée à ciel ouvert parcouru de touristes en short. Je l'ai parcouru et je vous avoue qu'il m'est tombé des mains.
Pierre Gattaz, mon cher Pierre, toi le Prince des apôtres du marché libre, tu m'as déçu. J'espérais trouver dans ton dernier bréviaire quelque idée nouvelle, un souffle révolutionnaire, le cri du manager blessé. Et rien, nada, sinon les éternelles recettes à la papa : primauté aux accords d'entreprise sur la loi, durée du travail assoupli en fonction du carnet de commandes, remise en question de la généralisation des 35 heures, généralisation du contrat de projet (ce que certains appellent des CDI à durée déterminée), réforme du marché du travail, de l'assurance-chômage et des régimes des retraites, allègement des charges patronales et baisse des impôts et taxes diverses sur les sociétés, révision des seuils sociaux et simplification de la représentation du personnel des entreprises, suppression d'un ou deux jours fériés…
Le moins-disant social comme solution à la crise, franchement, Pierrot, est-ce bien sérieux ? Cela doit faire trois décennies qu'on détricote, qu'on aménage, qu'on réforme, avec quel résultat ? Aucun ! Alors certes, me diras-tu, c'est que nous ne sommes pas allés assez loin ! Ok, mais si nous allons plus loin, n'y a-t-il pas un risque que nos concurrents entament eux-aussi des réformes destinées à reprendre de l'avance sur nous ? Peut-être, me diras-tu, mais le monde est ainsi fait et de monde, nous n'en avons qu'un !
Mon cher Pierre, les gens de ton espèce me font penser à politicien du 19e siècle, Casimir Périer, qui déclara un jour de 1831 alors que les canuts lyonnais se battait pour survivre : « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation. » Lorsque Casimir Périer est mort, on prêta au roi Louis-Philippe cette déclaration : « C'était une âme de banquier scellée dans un coffre-fort. » Heureusement, les coffre-forts, ça se fait sauter.