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Il en fait partie parce qu'en moins de 100 pages, il s'amuse de tous ces analystes qui ne voient dans la Chine qu'un pays étrange aux mœurs singulières, incompréhensible pour nos esprits cartésiens puisqu'il y plane l'ombre de Confucius, avant de nous livrer cinq focus, dont certains passionnants, sur cette Chine qui bouge et surtout, sur la façon dont le parti unique gère et digère le dissensus et sur la façon dont les « dissidents » se positionnent face à l'Etat.

« Nous raisonnons dans un monde où ce sont des idées platoniciennes, et non des pratiques et des intérêts qui s'affrontent ou qui devraient s'affronter », nous rappelle judicieusement Jean-Louis Rocca en introduction. Le pouvoir chinois, comme tout pouvoir, ne travaille qu'à sa propre perpétuation, jouant de la carotte et du bâton, la carte de l'ouverture et celle de la censure, recherchant des alliés au-delà des rangs du parti pour préserver son hégémonie. C'est le cas de certains journalistes d'investigation courageux qui, en dénonçant la corruption ou l'incompétence de certains bureaucrates, permettent à l'Etat central de faire le ménage dans ses rangs tout en répondant à l'attente de Justice des populations. Et ces journalistes ont pleinement conscience que leur travail peut être utile à la survie du régime.

Dans les usines également, le pouvoir a dû réagir devant l'indiscipline de la classe ouvrière et l'incapacité totale du syndicat unique à contrôler ces dizaines de millions de prolétaires. Des prolétaires qui n'exigent plus seulement du patronat qu'il respecte les lois relatives aux salaires et conditions de travail, mais qui exigent les salaires qu'ils estiment « justes » et le droit de s'organiser collectivement. Des « Solidarnosc », le pouvoir n'en veut pas. A la place il essaie de marier élections « libres » de délégués ouvriers et cooptation de ceux-ci dans l'appareil bureaucratique syndical avec un succès pour l'heure plus que mitigé...

Il agit de même avec les ONG qui existent en nombre sur le territoire et sont très hétérogènes. Certaines sont reconnues, certifiées et financées par l’État, d'autres sont totalement autonomes, d'autres encore sont dans une sorte d'entre deux. Et là encore, la présence de nombreuses ONG dans des secteurs sensibles (qualité de l'environnement, questions alimentaires...) est importante pour l’État chinois parce qu'elles sont pour lui comme des lanceurs d'alerte.

Prendre le pouls de la société chinoise et savoir ce qui l'agite ou peut la faire s'agiter. Le pouvoir chinois a conscience qu'avec internet et les réseaux sociaux, il ne lui est plus guère possible d'imposer totalement le silence, notamment à ces centaines de millions de jeunes Chinois urbains. Mais là encore, on aurait tort de considérer que ces e-contestataires, comme ces militants qui agissent dans les syndicats et les ONG, ne rêvent que d'une chose : transformer la Chine communiste en démocratie bourgeoise, autrement dit représentative. L’État est peut-être autoritaire et les libertés surveillées, mais pour ces classes moyennes, il est aussi un rempart nécessaire aux mauvaises passions populaires, celles des campagnes notamment : « la peur du populisme et de l'irrationalité des masses convainc une grande partie des élites et des internautes appartenant aux classes moyennes de la nécessité d'une certaine retenue et d'un contrôle de l'expression en ligne »2. Et ce n'est pas seulement parce que le fantôme de la Révolution culturelle plane toujours au-dessus de la société chinoise. C'est aussi parce que les classes moyennes chinoises se posent la même question que jadis les élites européennes et américaines : « comment faire pour que la démocratie représentative ne soit pas dévoyée par la mauvaise qualité des électeurs ». En d'autres termes, « la réforme, oui ! La chienlit, non ! »

Notes
1. Vous trouverez dans une de mes anciennes chroniques quelques références bibliographiques indispensables.
2. Han Dongfang développe un point de vue similaire dans son livre chroniqué ici.

Je vous signale que l'excellente revue Politique africaine consacre son n°134 à la Chine en Afrique (China, ltd. Un business africain)