Le bien commun
Par Patsy le mercredi, mars 5 2014, 07:31 - Notes de lecture - Lien permanent
Noam Chomsky
Le bien commun – Entretiens avec David Barsamian
Ecosociété, 2013
Dans les années 1990 débuta ce que j'appellerais une sorte de Chomskymania. Noam Chomsky, intellectuel américain de premier plan mais jusque là connu que d'une minorité de militants français1, devînt l'une des incarnations de la gauche radicale anti-globalisation, grâce notamment au Monde diplomatique. Certains s'employèrent à publier conférences et autres recueils d'articles, au point d'en faire perdre son latin au lecteur qui, pensant avoir affaire à des articles inédits se retrouvaient avec des articles déjà vus et déjà lus. Puis, me semble-t-il, la situation se calma quelque peu, ou plutôt, la Chomskymania reflua comme le mouvement altermondialiste.
Je n'intenterai pas un procès en « opportunisme éditorial » aux Editions Ecosociété car celles-ci, avec Agone, furent plutôt pionnières dans la diffusion de la pensée de Noam Chomsky2.
Avec « Le bien commun », les éditions Ecosociété proposent un « condensé de la pensée politique de Chomsky » sous la forme d'un long interview entre l'intellectuel américain et son vieux complice, le journaliste David Barsamian.
On trouvera dans ces 190 pages une critique de la démocratie américaine (comme pouvoir de l'oligarchie), de l'imbrication des pouvoirs économique et politique (l'Etat au service de la « libre entreprise » et des « tyrannies privées », autrement dit des multinationales), de l'individualisme contemporain ; une critique également des médias (comme instance corsetant le débat public), de la politique impériale américaine ou encore de la gauche américaine, si faible et divisée.
Un petit livre intéressant donc, mais qui souffre d'un défaut : ces entretiens se sont tenus dans les années 1990 (l'édition américaine date de 1998). On ne saura donc rien de ce que Noam Chomsky, octogénaire aujourd'hui, a pensé et pense du mouvement zapatiste, des expériences gouvernementales de la gauche latino-américaine, du 11-Septembre et de Al-Qaida, du printemps arabe ou encore du mouvement Occupy et du monde tel qu'il va depuis la crise de 20083. Car Noam Chomsky, malgré son âge avancé, parle et écrit beaucoup, et parfois trop vite, au risque de la polémique. Mais peut-être le projet est-il en gestation ?
En attendant, s'il ne fallait retenir qu'une phrase de Chomsky, qui s'est toujours efforcé de parler au plus grand nombre, j'opterai pour celle-ci : « Dire la vérité au pouvoir n'a aucun sens (…) : il la connaît déjà. C'est aux démunis qu'il faut la dire – ou mieux, avec eux. » (p. 189)
Notes
1. Au début des années 1970, Chomsky était connu des cercles intellectuels pour sa critique radicale de l'impérialisme américain. Sa défense non du négationnisme mais du droit des négationnistes à défendre leurs thèses absurdes (l'affaire Faurisson) le renvoya dans la « clandestinité » éditoriale.
2. Citons entres autres pour Ecosociété Les dessous de la politique de l'Oncle Sam (1996) et L'an 501, la conquête continue (1995), et pour Agone, Responsabilités des intellectuels (1998) et De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis (2001).
3. Un site met en ligne écrits, conférences et autres de et sur Noam Chomsky : http://www.noam-chomsky.fr/