L'Amérique latine : hier et aujourd'hui
Par Patsy le vendredi, janvier 31 2014, 15:37 - Notes de lecture - Lien permanent
Collectif,
Viva la social ! Anarchistes et anarcho-syndicalistes en Amérique latine (1860-1930)
Ed. Libertaires / América libertaria, 2013.
Franck Gaudichaud
Amériques latines : émancipations en construction
Syllepse, 2013.
L'Amérique latine a toujours tenu une place à part dans l'imaginaire contemporain des révolutionnaires occidentaux. Dans les années 1960-1970, ceux-ci n'avaient d'yeux que pour le marxisme-léninisme, parfois teinté de maoïsme, professé par les guérillas nombreuses qui affrontaient l'« impérialisme yankee » et son allié la « bourgeoisie compradore ». On vénérait les figures christiques du Che ou d'un Camilo Torres, on applaudissait aux discours (déjà fort longs) d'un Fidel Castro... Dans les années 1990, la sombre cagoule du Commandant Marcos attira tous les regards, tout comme l'insaisissable « idéologie » de l'EzNL. L'Amérique latine rebelle n'était donc point morte ? On croyait les peuples des Amériques anesthésiés par l'idéal démocratique bourgeois et la doxa néolibérale des Chicago boys, on se trompait. Depuis, du Mexique au Chili, en passant par le Brésil ou le Venezuela, ont émergé de nouvelles forces contestataires, radicales, tandis que des partis issus de la social-démocratie sont parvenus au pouvoir sans que l'Oncle Sam ne se lance dans une nouvelle et virile politique de containment ; Sam, dorénavant, préfère l'ombre...
Deux livres collectifs, récemment édités, nous aident à mieux comprendre ce que se joue actuellement de l'autre côté de l'Atlantique.
Le premier, « Viva la social ! », s'intéresse aux mouvements anarchistes et anarcho-syndicalistes latino-américains, période 1860-1930. Les auteurs nous entraînent aussi bien en Argentine qu'en Equateur, au Pérou qu'au Paraguay, dans les villes industrielles que dans les campagnes aux mains des caciques. On y notera le rôle éminemment important joué par les migrants européens qui, au nord comme au sud de ce continent, ont transporté dans le Nouveau monde, leur culture politique et revendicative. Les personnes peu familières de l'histoire sociale latino-américaine constateront à la lecture de ce livre que l'anarchisme social a profondément irrigué les classes populaires avant de succomber sous les coups de la répression, du marxisme (réformiste ou léniniste) et de ses tares congénitales (querelles sans fin, fragmentation organisationnelle...). Cet éclairage historique nous rappelle que l'anarchisme latino-américaine a une histoire riche et que les organisations actuelles qui se reconnaissent dans ce courant de pensée ou qui en empruntent certains traits ne font que renouer le fil de l'histoire.
Le second s'intéresse à l'actualité. Il est coordonné par l'historien Franck Gaudichaud qui livre une préface dense et passionnante sur la nature des « pouvoirs populaires latino-américains » et sur les controverses entre intellectuels que leur analyse a suscitées. En 130 pages et 11 contributions, cette brochure évoque aussi bien l'actualité de l'autogestion ouvrière (Venezuela, Argentine), la place des « autochtones » dans le processus démocratique (Bolivie), la violence sexiste (Mexique), les luttes urbaines (Uruguay) ou le désormais célèbre « buen vivir » (bien vivre) équatorien. On ressort inévitablement frustré de la lecture de ces textes (trop) courts mais tout autant impressionné par la vitalité, la générosité, l'inventivité des mouvements populaires et leur capacité à perturber les esprits les plus dogmatiques. Ce n'est pas la moindre de leur qualité...