Ce livre court (moins de 200 pages) lève quelque peu le voile sur les trente premières années de sa vie. Quelque peu seulement car Mattick se souciait comme d'une guigne (malheureusement!) d'écrire ses mémoires, si bien que le présent livre ne repose que sur une série de conversations tenues au début des années 1970, dont l'ambition n'était sans doute pas de produire une véritable biographie. On ressort inévitablement frustré à la lecture de son évocation de l'Allemagne en ébullition au début des années 1920, même si c'est une période déjà bien documentée2. On aurait aimé en savoir plus, tout simplement !
N'en concluez pas que la lecture de ce livre ne s'impose pas. Au contraire, Paul Mattick a des talents indéniables de conteur pour évoquer les « expropriateurs », son propre illégalisme ou encore la bohème berlinoise. Comme quoi, il n'y avait pas que les anarchistes qui finançaient la Révolution à coups de braquages et de magouilles !

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Dès l'adolescence, Mattick a plongé dans la marmite sociale. La faute à un père, ouvrier et militant proche des spartakistes. La faute à une atmosphère générale portant à la radicalisation. Il a choisi son camp et fait feu de tout bois, tente d'organiser des grèves, affronte la police et la répression, rédige des articles et diffuse la presse révolutionnaire. En 1926, avec femme et enfants, il s'installe aux Etats-Unis et ne tarde pas à s'investir au sein de la puissante communauté germanique. Là encore, il écrit et participe aux comités de chômeurs qui émergent, conséquences du Jeudi noir de 1929. Il y subit les attaques non pas du pouvoir mais des communistes américains pro-soviétiques, fort fâchés d'être concurrencés dans les mouvements de masse, mais également sur le plan théorique. Et Mattick attache une grande importance à l'(auto-)éducation. Comme Pelloutier en son temps, il considère que le prolétariat doit prendre conscience de son malheur. Il le dit d'autant plus fort qu'il ne porte pas les intellectuels révolutionnaires dans son cœur : trop bourgeois au quotidien pour abolir la société de classes !3 Mais s'il croît à la capacité du prolétariat à produire ses propres théoriciens, il ne l'idéalise pas et sait à quel point l'individu peut s'accommoder de sa situation sociale et ne guère se préoccuper de politique. Ce qui pourrait le pousser à vouloir changer radicalement ce monde ? La crise généralisée du capitalisme : « Sans catastrophe, il n'y a pas de socialisme possible. » nous dit Mattick pour qui la catastrophe est le destin inéluctable du capitalisme. Il est proche en cela de Henryk Grosmann et de ses travaux portant sur la fameuse « baisse tendancielle du taux de profit », fruit de la concurrence à laquelle se livrent les capitalistes entre eux4. Mattick explique ainsi que pour lutter contre cette baisse tendancielle, le capitalisme doit sans cesse trouver des nouveaux marchés et améliorer, intensifier l’exploitation des ouvriers dans les secteurs de production afin de produire à moindre coût. Mais cette course effrénée ne peut être que fatale au système capitaliste. En s’effondrant, victime de ses contradictions, le capitalisme ouvre les possibilités de son dépassement, d’autant plus que ces périodes de crise intense favorisent les processus d’auto-organisation du prolétariat.

Pour Paul Mattick, aujourd’hui comme hier, le poumon du système capitaliste se situe toujours au cœur de l’usine, là où se déroulent les luttes essentielles entre prolétaires et capitalistes. Le capitalisme, pour perdurer, doit améliorer en permanence ses capacités d’extraction de la plus-value et donc pressurer le travailleur. Le fonctionnement reste simple, basique, mais toujours d’actualité : rappelez-vous de ce que vivent au quotidien les 80 000 ouvriers chinois produisant les éléments de nos téléphones portables à Foxconn, ou bien les prolétaires bengladeshi qui fabriquent les fringues que nous portons ; Chinois ou bengladeshi, ils vous parleront des conditions de travail ignobles qu’on leur impose, des révoltes et émeutes qu’ils mènent, des structures organisationnelles qu’ils se donnent à l’occasion. Assurément, malgré sa dureté et son incertitude, la lutte demeure une belle aventure...

Note de lecture rédigée par Patsy avec le soutien de Fabrice

Notes
1. De Paul Mattick, vous pouvez lire Marx et Keynes (Gallimard, 1972, réédition 2010), Crises et théories des crises (Champ libre, 1976), Le Marxisme hier, aujourd'hui et demain (Spartacus, 1983), De la pauvreté et de la nature fétichiste de l’économie (Ab irato, 1998), et Marxisme, dernier refuge de la bourgeoisie ? (Entremonde, 2011). J'y ajouterai sa longue préface à Otto Rühle, La révolution n'est pas une affaire de parti (Entremonde, 2010), celle de Lénine philosophe de Anton Pannekoek (Spartacus) et le recueil de textes publiés sous le titre de La contre révolution bureaucratique (10/18).
2. Citons notamment chez Agone les mémoires de Georg Glaser (Secret et violence - Chronique des années rouge et brun, 1920-1945) et Franz Jung (Le Chemin vers le bas - Considérations d’un révolutionnaire allemand sur une grande époque, 1900-1950), mais aussi le travail de Denis Authier et Gilles Dauvé (Ni par­le­ment, ni syn­di­cats : les Conseils ouvriers, Les Nuits rouges, 2003).
3. Mattick écrit : « Ce que j'ai constaté, c'est que les intellectuels pouvaient en même temps critiquer le société et grâce à ces mêmes critiques s'assurer un statut social et une vie convenable dans celle-ci. » On pense inévitablement à ce que pouvait écrire Jan Vaclav Makhaiski (Le socialisme des intellectuels, Seuil, 1979) en son temps.
4. Henryk Grossman, Marx, l’économie politique classique et le problème de la dynamique. Champ Libre, 1975