Les siècles passent, et la Révolution française bouleverse quelque le paysage de la domination politique et économique. Le bourgeois remplace bien souvent le noble comme propriétaire ; un bourgeois qui découvre, à son grand déplaisir, que s'il est propriétaire (et reçoit une partie de la récolte en guise de loyer), il n'est guère maître chez eux puisque seul le viticulteur délaissant la vigne peut en être chassé. Pour une partie des propriétaires, la crise du phylloxéra est donc une aubaine : en tuant la vigne, elle tue le bail !

Le mérite de l'auteur est de rendre vivante cette page d'histoire à la fois juridique, politique, sociale et même culturale.
Juridique parce que les vignerons vont devoir se battre pour essayer imposer une lecture non littérale du bail à complant : concrètement, ils tentent de convaincre les juristes que depuis le moyen-âge les propriétaires ont laissé les vignerons replanter des ceps, la vigne n'étant pas immortelle. Pourquoi diable ce qui fut fait avant ne pourrait-il pas l'être aujourd'hui, d'autant plus que les viticulteurs ne sont pour rien dans l'irruption du phylloxéra !
Politique et sociale parce que nos vignerons vont être aidés dans ce combat par le chef des socialistes nantais, Charles Brunellière, qui va se battre bec et ongles pendant vingt ans pour éviter leur expropriation, et par les syndicalistes (très rouges et noirs !) de la Bourse du travail de Nantes. Des complanteurs participeront même au congrès fondateur de la CGT, en 1895 à Limoges... et en sortiront quelque peu effrayés, avouons-le, par les diatribes anti-étatiques des syndicalistes ouvriers, eux qui sont plus Républicains que socialistes (mais dans le vignoble, c'était déjà un motif d'excommunication !). Ils iront même plusieurs fois à Paris plaider leur cause dans les ministères. Et ce sont des dizaines de réunions rassemblant des centaines de personnes qui seront organisées dans le vignoble par nos séditieux au grand dam de l'église et des élites qui y voient of course l'influence néfaste des Rouges ennemis de l'Ordre social et culturel ! Et c'est dans le vignoble qu'un maire « socialiste » sera élu pour la première fois, et non dans une cité industrielle...
Culturale enfin, car le combat social ne fait oublier à personne l'urgence qu'il y a à sauver la vigne avant qu'il ne soit trop tard. D'où de longs débats sur les moyens de lutter contre le champignon dévastateur, sur les cépages à privilégier et l'organisation de la distribution des ceps, mais aussi sur la façon dont on doit replanter (les propriétaires exigeant que les vignerons replantent en ligne droite et non en tous sens comme le voulait la coutume !).

Qu'est-il advenu de nos complanteurs en 1914, à l'heure où éclate la Première Guerre mondiale ? Je vous laisse le découvrir... et remercier l'auteur d'avoir défriché un pan méconnu de l'histoire sociale locale.