Ce n'est pas le moindre mérite de Michel Perraudeau que de démêler le vrai du faux et de nous offrir une biographie de cet illustre inconnu né en 1813 et décédé en Amérique centrale, sans doute peu avant que la Commune de Paris ne redonne foi en l'émancipation individuelle et collective. Démêler le vrai du faux est aussi une façon de pointer du doigt l'une des tares des historiens : répéter en toute bonne foi les erreurs commises par des confrères...

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Cette biographie est inévitablement lacunaire tant on sait finalement peu de choses sur cet intellectuel monté à Paris en 1850 pour y animer une société de libre-penseurs... rapidement prise en grippe par un pouvoir peu désireux de voir des séditieux le brocarder publiquement. C'est à cette période que Bellegarigue publie deux numéros de son célèbre journal, L'anarchie, journal de l'ordre, dont les textes seront publiés sous le titre trompeur de Manifeste de l'anarchie . Le coup d'Etat de Napoléon III et la répression qui s'en suit met fin à l'aventure. Les membres se dispersent, se tournant vers le journalisme pour les uns, l'enseignement du droit pour notre Anselme Bellegarrigue. C'est pourquoi notre libertaire gersois traversa quelques années plus tard l'Atlantique à la demande du président salvadorien, laïc et libéral, pour y fonder une faculté de droit.

Mais cette biographie donne surtout à Michel Perraudeau l'occasion de défendre la pensée d'Anselme Bellegarrique contre ceux qui considèrent qu'il est avec Coeurderoy et Déjacque, une sorte de franc-tireur, un « à part », une plume lyrique et enflammée plutôt qu'un penseur profond, un de ces individualistes qui voient des êtres de chair et de sang là où il conviendrait de voir des individus enchâssés dans des rapports sociaux et occupant une place particulière dans les rapports de production.

Pour Michel Perraudeau, Bellegarrigue est le premier libertaire, un de ces « hommes et femmes qui habitent ailleurs, se contentent d'allumer des contre-feux, humbles quoique vivaces, modestes bien que coriaces, face aux brasiers destructeurs de l'économie libérale et de l'étatisme goulu. » Libertaire donc et non anarchiste à la façon d'un Bakounine : à l'anti-étatisme, Bellegarrigue répond Etat minimal (qui ne se chargerait que des relations internationales !) et à la révolution armée, Bellegarrigue répond non-violence. Il faut dire qu'il répudie même l'idée de révolution, considérant que combattre un pouvoir équivaut à le renforcer (« Le dédain tue les gouvernements, car la lutte seule les fait vivre ») ! Il n'y a pas de classes antagoniques chez Bellegarrigue, seulement des individus (et « le Peuple ») que le Pouvoir empêche de vaquer librement à leurs occupations et de faire société, à partir d'un noyau appelé la Commune, seule institution sociale trouvant grâce à ses yeux. L'actualité de Bellegarrigue tiendrait en ceci : il faut faire, expérimenter, en marge, avec celles et ceux qui le désirent, sans attendre un quelconque blanc-seing. Comme l'écrit Michel Perraudeau, « l'émancipation est l'affaire des individus dans l'indépendance qu'ils construisent et dans la reconnaissance mutuelle qu'ils se portent ». La question demeure de savoir si l'Etat moderne, capitaliste, bureaucratique est un tigre de papier, capable de s'effondrer parce que les citoyens ont cessé de le légitimer au quotidien...

Note
1. La dernière édition en date est celle des éditions Lux. Lire ma chronique ici.