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Heureux temps que celui de l'invisibilité du proscrit. Mais ce temps-là est révolu depuis un certain mois de Mai...
« Prisonniers en révolte », l'ouvrage de la sociologue et militante Anne Guérin1, nous ramène quarante ans en arrière, dans l'immédiat après-1968. Là, dans une France bousculée par la jeunesse étudiante et ouvrière, par l'insubordination ouvrière2, les invisibles ont commencé à prendre la parole. Les invisibles sont ces condamnés à courte et longue peine que l'on a fait disparaître derrière les hauts murs de prisons vieilles bien souvent d'un siècle. Ils y vivent dans des conditions sanitaires effroyables (sans chauffage voire électricité et eau courante), mangent peu et mal...
L'incarcération de militants politiques va réveiller ce monde mis sous l'éteignoir. Les maoïstes notamment relaient à l'extérieur les luttes et revendications des prisonniers  : le « droit commun » est un « prolétaire détenu », victime du système capitaliste et de la Justice de classe, et à ce titre, les révolutionnaires doivent l'épauler dans sa lutte pour l'émancipation. Quelques intellectuels apportent leur notoriété à ce combat. L'un des plus connus est Michel Foucault, fondateur du Groupe d'information sur les prisons qui axe son travail sur la popularisation de la parole taularde3. Emerge également des taules elles-mêmes le Comité d'action des prisonniers dans lequel la tonalité libertaire est davantage présente4. Durant cette décennie 1970, les taulards ne se contentent pas de prendre la parole, de dire leur quotidien. Ils se battent. La France pompidolienne et giscardienne découvre effarée de jeunes hommes perchés sur des toits. Des mutins narguant la police et la société des honnêtes gens-contribuables. Des mutins qui ne semblent plus avoir peur de la répression, des matraquages, du mitard. Des mutins qui disent tout haut ce qu'enfermer veut dire dans la France des Trente-Glorieuses finissantes. Des mutins « inflammables » qui imposent aux décideurs de repenser non pas l'incarcération mais le maintien de l'ordre par un « savant » dosage de carottes et de bâtons. Discipliner les rétifs, encager les irréductibles (naissance des QHS en 1975), telles seront les réponses apportées par l'Etat à la révolte des proscrits. Quarante ans ont passé et rien a changé, si ce n'est qu'aujourd'hui la parole du taulard est audible sinon légitime5. Ce n'est qu'un début...


Notes
1. Elle est membre de l'Observatoire international des prisons.
2. Xavier Vigna, L'insubordination ouvrière dans les années 68 – Essai d'histoire politique des usines, PUR, 2007.
3. Groupe d'information sur les prisons, Intolérable, Verticales, 2013.
4. Christophe Soulié, Liberté sur paroles – Contribution à l'histoire du CAP, Analis, 1995.
5. Les écrits des Mesrine, Bauer, Livrozet, Lesage de la Haye, ceux de Jann-Marc Rouillan ou des VIP (comme Bottom) furent pour certains des succès de librairie.