Durant des siècles, le patronat s'est efforcé parce que tel était son intérêt de discipliner ce foutu travailleur, de l'attacher à l'entreprise, de faire en sorte, bon sang de bon soir, qu'il comprenne que son avenir se construisait entre les quatre murs gris de la fabrique jusqu'à ce que mort s'ensuive. Mais ça, c'était valable quand les usines à rêves et progrès devaient fonctionner tous les jours avec tout plein de travailleurs en bleu de chauffe et casquette sur la tête.
Aujourd'hui, le rêve de tout entrepreneur est de ne pas avoir de travailleurs à disposition. En ayant recours à l'intérim, aux marchands d'hommes comme on disait jadis quand on avait une conscience de classe, le patron s'est déjà soulagé d'une charge. Mais bon, c'est toujours pareil : l'intérim ça coûte cher.

Heureusement, au Royaume-Uni, avec le zero hour contract, un horizon nouveau se lève pour le patron, ce « héros » comme le dit si bien mon ami Pierre Gattaz du MEDEF.
Ce type de contrat n'est pas récent puisqu'il a émergé au milieu des années 1990 ; mais jusqu'à récemment, il ne concernait que les abonnés aux petits boulots ponctuels : étudiants, retraités désireux de compléter leur maigre pension. Aujourd'hui, avec la crise, il devient un outil aux mains du patronat pour se doter enfin d'un salariat corvéable à merci. En 2012, on estimait que 250 000 personnes étaient soumises à ce statut ; en fait, elles seraient autour du million, notamment dans la restauration. MacDo n'emploie quasiment que des zero hour contract, tout comme Burger king ou encore Domino's pizza...
Sur ce type de contrat, il n'est mentionné aucune durée minimale de travail ni aucune indication d'horaires ; les travailleurs doivent être à la disposition de l'employeur, ne sont payés qu'à l'heure travaillée, n'ont ni congés payés ni arrêts maladie et le patron peut même leur interdire d'avoir un autre job parallèlement (manquerait plus qu'il soit incapable de rappliquer quand on les siffle!). Evidemment, ces intermittents du salariat sont des travailleurs comme les autres et non des chômeurs pour l'administration du Royaume-uni, territoire qui compte moins de chômeurs qu'en France mais deux fois plus de travailleurs à temps partiel contraint. Légalement, les chômeurs britanniques n'ont pas à accepter un contrat de cet ordre, mais il se murmure qu'il est désormais fort mal vu de faire la fine bouche.
Heureusement, au pays de sa Très Gracieuse majesté, des voix s'élèvent pour condamner ces zero hour contract, et il se dit même que peut-être quelques modifications pourraient intervenir, comme par exemple celle qui interdit à un salarié d'avoir d'autres employeurs. Un vrai compromis, quoi, comme les aime les libéraux de droite comme de gauche...

source : « Des salariés corvéables à merci » (Alternatives économiques, septembre 2013)