Ventres à louer
Par Patsy le mardi, août 20 2013, 20:51 - Société - Lien permanent
Chronique (septembre 2013)
Certains pays regorgent de matières premières : houille, pétrole, gaz, uranium, cobalt... Celles-ci font leur bonheur, parfois, ou leur malheur, souvent. En Inde, où le quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, un autre business est en vogue depuis une décennie : celui de la location de ventres. Là-bas, pour une somme tournant autour des 20 000 €, on peut louer un utérus et l'assistance qui va avec. Le quart de la somme reviendra à la propriétaire du ventre, le reste, aux différents acteurs de l'industrie de la gestation pour autrui.
Gestation pour autrui. Pour une fois, pas d'euphémisation : le balayeur n'est plus technicien de surface, et le plan social ne s'appelle plus plan de sauvegarde de l'emploi. Mère porteuse sonnait comme poule pondeuse. Maternité de substitution avait un côté agréable à l'oreille. Gestation pour autrui dit bien de quoi il s'agit.
Longtemps, ce commerce s'avéra juteux et connut un taux de croissance phénoménal. D'Australie, des Etats-Unis, d'Europe, des couples, hétéros ou homos, des célibataires débarquaient régulièrement pour acheter neuf mois de grossesse à une autochtone en mal d'argent. Car cela rapporte de jouer avec sa santé et ses affects. On y gagne un appartement pendant le temps de sa grossesse et une indemnité mensuelle de 12000 roupies, soit le salaire ou à peu près d'un petit fonctionnaire indien. On y joue sa santé car business is business : il est plus que courant que l'accouchement se fasse par césarienne car les médecins ont tendance à se plier au calendrier des parents adoptants ; et bien souvent, les médecins implantent plus de trois embryons dans l'utérus afin d'accroître les chances de grossesse, même si c'est illégal et dangereux. Parce que business is business et que pour ces couples, qu'ils soient hétéros ou homos, rien ne doit entraver leur rêve d'avoir une progéniture. Tel est le prix qu'ils sont prêts à faire supporter à d'autres.
Avant l'été, le gouvernement indien a promulgué un certain nombre de directives visant à réguler l'accès des étrangers aux mères porteuses indiennes. Dans l'oeil du viseur indien : les couples gays et les célibataires. Désormais seuls les couples hétéros, mariés depuis au moins deux ans et capables de prouver qu'ils sont dans l'incapacité physiologique de procréer, pourront exploiter la précarité sociale d'une femme indienne en âge de procréer. Homophobie ? Oui diront certains. Non, répondront d'autres arguant que ces directives sont la conséquence de l'afflux de demandes émanant de ressortissants de pays ne reconnaissant pas la filiation des enfants nés de mères de substitution.
Le vieux con réactionnaire que je suis n'a jamais considéré que la prostitution était une métier comme un autre ; et s'il peut admettre qu'on peut être une personne prostituée libre et autonome, il a la conviction profonde qu'entre vendre ses bras comme un prolétaire peut le faire, et vendre sa bouche, son vagin ou son anus, il y a une différence que la notion de « vente de service sexuel » n'abolit pas.
Le vieux con réactionnaire que je suis peine tout autant à considérer que la gestation pour autrui puisse être une activité commerciale comme une autre ; et s'il peut admettre qu'une femme puisse, par altruisme, porter l'enfant à la place d'une autre, il ne peut admettre sans ciller que la précarité sociale des femmes pauvres du monde n'en vienne soulager l'irrépressible désir d'enfant des Occidentaux riches.
Libertaire et non libéral ou libertarien, je ne considère pas que la valeur d'une conduite est définie par le bien qu'elle permet d'atteindre. Ce n'est pas parce qu'un couple d'Occidentaux va pouvoir pouponner et un couple d'Indiens envoyer ses enfants à l'école, acheter quelques vaches ou réparer le toit de leur maison que la gestation pour autrui est à mes yeux éthiquement acceptable.