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Il faut lire ses chroniques sur son quartier parisien dont la tranquillité est bousculée par les fêtards en tout-genre, qui braillent, vomissent, s'invectivent et pissent sur les trottoirs squattés par des établissements à la mode. Il met en parallèle les libéralités dont jouissent ces bars branchés, fort peu poursuivis par la puissance publique avec la vigueur avec laquelle la même puissance publique met fin aux campements de Rroms. Et il nous rappellent, comme Jean-Pierre Garnier3, que la gentrification est « une machine à éviction sociale ».
A ceux qui braillent que l'Islam est incompatible avec la république, il rappelle que le christianisme l'était tout autant, que République ne veut pas dire démocratie (et qu'à ce titre, il existe des républiques en terre d'Islam, comme la Turquie ou l'Iran) et que l'Islam « n'est pas une catégorie analytique pertinente ». En d'autres termes, l'Islam est pluriel, multiple : « L'islam, qu'il soit «de » France ou « en » France n'existe pas. Il n'est que des musulmans, dont les pratiques sociales sont plurielles et contradictoires, et qui sont en interaction mutuelle généralisée avec le reste de la société, par l'école, le travail, le syndicalisme, la santé publique... (…) Les Français musulmans sont des Français comme les autres et les producteurs de la différence ne sont pas forcément ceux que l'on croît. »
Mais c'est le sarkozysme et son national-libéralisme qui forme le cœur de cet ouvrage. Le national-libéralisme, « c'est le libéralisme pour les riches, et le national pour les pauvres (…) le cosmopolitisme pour les uns, et le bantoustan culturel pour les autres », c'est l'ethnicisation de la question sociale (« Le traitement identitaire et communautariste du peuple lui paraît préférable à la reconnaissance politique de la pauvreté »). Bayart n'aime pas Sarkozy, sa « virilité de chef de rayon », sa médiocrité, sa brutalité. Il rappelle que « la crise ne l'a pas pris en traître ; il en a été le fondé de pouvoir », ce qui lui permet de rappeler que le néolibéralisme n'a pas pour but de liquider l'Etat-nation mais de le reconfigurer en sous-traitant certaines de ses fonctions (notamment le sécuritaire).
Sa critique du sarkozysme, ce « néo-vichysme », porte sur les réformes touchant à l'université et à la recherche, deux univers victimes comme tant d'autres du fétichisme de l'évaluation, de la culture du chiffre et du « résultat » et du management autoritaire (puisque l'autonomie de l'université est avant tout l'autonomie des présidents d'université !). Sa critique porte également sur la politique étrangère de l'ancien maire de Neuilly. Comme tous les africanistes, il a trouvé « abject » le tristement célèbre discours de Dakar, tout comme l'attitude du gouvernement français au Tchad lorsque des « humanitaires » se sont mués en voleurs d'enfants, ou sa politique stupide au Sahel qui ne peut que profiter à celui qu'elle prétend combattre : AQMI. Il s'en prend avec virulence à la turcophobie imbécile de la classe politique française, ou encore au projet mort-né d'Union pour la Méditerranée.

Comment sortir du national-libéralisme ? Pessimiste (lucide?), inquiet de ce que peut donner politiquement la colère sociale qui monte en Europe (combien de réactionnaires pour combien d'Indignés?), il est contraint de fonder ses espoirs sur une « expérience de gouvernement dont rien ne dit qu'elle permettra de sortir du cercle vicieux, aussi bien économique et financier qu'intellectuel dans lequel nous nous sommes laissés enfermer à la fin des années 1980. »4 C'est pourquoi il souhaite que « les mobilisations sociales et les revendications politiques portant sur les pratiques concrètes de la domination nationale-libérale » contraignent le futur gouvernement à réinventer l'Etat-nation, autrement dit à « réhabiliter les nécessités de l'économie réelle, l'impératif de la justice sociale qui en a fait les grandes heures, la reconnaissance de la compétence professionnelle et des métiers, la dignité du travail et au travail, l'universalité qui procède toujours par réinvention de la différence plutôt que par une uniformisation culturelle ». Vaste programme, non ?

Notes
1. Citons L'Etat en Afrique. La politique du ventre (Fayard, 1989), L'illusion identitaire (Fayard, 1996) et L'Islam politique (Fayard, 2010).
2. Les études post-coloniales. Un carnaval académique (Karthala, 2010).
3. Une violence éminemment contemporaine – Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l'effacement des classes populaires (Agone, 2011)
4. Entre Hollande et Sarkozy, il a fait son choix qu'il résume par cette jolie formule : « Mieux vaut un capitaine de pédalo que le commandant du Titanic ».