L’armée américaine a donc déserté le sol irakien après neuf ans de présence quotidienne. Elle laisse derrière elle un pays en plein chaos. 2011 fut même l’une des pires années en matière de violence politique. Pire même, la répression violente par le pouvoir des manifestations populaires, pendant irakien de ce qui s’est produit en Egypte, en Tunisie ou en Syrie, laisse penser que le pouvoir entend gérer la rue comme au bon vieux temps du baasisme : à coups de trique, voire plus. Sur le plan du fonctionnement général du nouvel Etat, la situation semble inextricable : purger l’administration des partisans de l’ancien régime était inévitable mais cela a eu pour conséquences de rendre le nouvel Etat incapable de fonctionner au quotidien ; or, un Etat, ce n’est pas seulement une police et une armée, c’est avant tout une administration avec ses règles, ses normes, ses us et coutumes, ses compétences. Sur le plan économique, le pays est dans un état catastrophique : la manne pétrolière ne semble guère avoir la propriété de créer de l’emploi, de juguler les prix, d’améliorer les services publics de base et d’offrir un avenir à la jeunesse ; en revanche, elle semble plus douée pour remplir les poches de ceux qui ont en charge sa gestion directe, comme les mutinationales, et indirecte, les dirigeants politiques. Sur le plan politico-religieux, la défiance est de mise entre sunnites, chiites et kurdes puisque le système de quotas ethniques et confessionnels mis en place ne peut qu’aviver le communautarisme, le clientélisme, la corruption et la concurrence pour l’accès aux ressources.

Certains diront que tel était le but recherché par l’impérialisme américain : transformer un Etat autoritaire et revêche, puissance régionale à prétention hégémonique, en Etat faible, trop occupé à se déchirer pour s’imaginer en nouvel Eldorado du pan-arabisme.
D’autres souligneront que l’intérêt des milieux d’affaires et des Etats qui les soutiennent est que la stabilité politique règne car celle-ci réduit les incertitudes. Si les marchands d’armes aiment le chaos et en vivent, les compagnies pétrolières apprécient davantage les temps plus sereins où un Etat fort ou légitimé par le vote populaire lui garantit la jouissance de sa rente et la sécurité de ses installations, pipelines compris.
D’autres encore se souviendront de ces mots de Maximilien Robespierre : « La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. »

De toute façon, le mal est fait. L’Irak est un pays dont le pouvoir est entre les mains de bourgeois à la tête de factions ethno-confessionnelles qui le font tourner pour leur seul profit. En un sens, la situation actuelle de l’Irak rappelle celle des Etats-Unis de la seconde moitié du 19e siècle, quand les « barons voleurs », ces magnats de l’industrie et du commerce, avaient la main sur les secteurs vitaux de l’économie nationale et contrôlaient la vie politique du pays par la corruption. Ils l’ont toujours et cela n’empêche pas les Etats-Unis d’être la plus grande démocratie du monde, non ?