En ces temps fort néolibéraux, les coachs bâtissent leur Empire sur nos désirs de réussite sociale et de distinction. Ils calment nos frustrations et notre peur de ne pas être à la hauteur des attentes des uns et des autres. Ils nous promettent plus de carottes que de bâton et éloignent de nous la perspective obsédante du déclassement, de la déqualification, de la disqualification.
En ces temps fort néolibéraux, les coachs investissent fort opportunément la Toile, et il ne se passe pas une semaine sans que je ne reçoive une proposition de formation susceptible de me hisser haut, plus haut, encore plus haut dans la hiérarchie sociale et professionnelle. La semaine passée, ce fut le cas, et je ne résiste pas à l'envie de vous en dire plus.

Sous le titre « Boostez vos méthodes de management pour faire la différence, créez une dynamique de succès et préparez l'après-crise ! », mon coach m'invite à développer « physiquement et stratégiquement mon impact de leader à partir de l'élément clef des plus grandes réussites : le Charisme. » Il me promet un « cycle décoiffant aux solutions opérationnelles » qui me permettra de devenir tout à la fois, accrochez-vous, « un prophète qui mobilise par une vigilance lucide, une intuition fine et une vision non conformiste, élargie et ambitieuse ; un juste qui fait fructifier ses dons et ceux de son entourage, suscite la confiance en soi et favorise la chance ; un magicien qui possède le sens de la formule et la magie du verbe qui mettent en état de « grâce » ; un héros qui pratique le défi optimiste, l'engagement énergique, la prise de risque généreuse et donc produit des exploits étonnants.»

En trois séminaires de deux jours, me voici invité à travailler mon « charisme oratoire » afin d' « influencer, convaincre, improviser et débattre avec grâce en toute circonstance » ; mon « charisme relationnel, pour informer des mauvaises nouvelles, sortir des doubles contraintes, gérer la mauvaise foi et négocier aisément les conflits » ; et mon « charisme managérial pour mobiliser, faire changer, développer les potentiels, déléguer, évaluer ses équipes. »
Et parce que tout cela nécessite d'être à la pointe des nouvelles techniques de communication, mon coach souligne que son travail « inclut les approches les plus récentes en matière de storytelling, de magnétisme social, de résilience, et de gestion du capital chance. »
Mais bon, devenir à la fois un prophète, un juste, un magicien et un héros, cela a un coût : 3300 € ! C'est cher ? Oui, évidemment, pour les gagne-petits. Mais pour un ambitieux qui fait carrière dans le secteur recherche-développement d'une grande entreprise de papier-toilettes ou de fil à couper le beurre, rien n'est trop cher pour galvaniser ses troupes et ainsi mieux estourbir la concurrence ! Et puis, mon coach a le bon goût de m'indiquer que chaque participant recevra gracieusement (oui, gracieusement !) un exemplaire dédicacé de son livre ! 3300 € pour un bouquin, avouons-le, ça fait cher le mot, l'espace et la ponctuation. Mais que ne ferait-on pour se rassurer ?

Je ne sais si mon coach est un bonimenteur ou s'il est reconnu comme un bon professionnel sur le marché en vogue du coaching. Je ne sais d'ailleurs si on peut être l'un sans être aussi l'autre. Mais passons... En ces temps fort néolibéraux où nous sommes appelés à nous mobiliser 24 heures sur 24 pour gagner la compétition internationale (ou, plus simplement, conserver notre emploi), le coaching a de beaux jours devant lui. Il pointe un doigt inquisiteur sur nos pauvres têtes et nous dit : « Es-tu sûr de faire le maximum pour ton entreprise ? Es-tu certain qu'il n'y a pas, en toi, des ressources insoupçonnées de créativité, d'intelligence ? Es-tu prêt à laisser, par ta faute, un autre que toi s'emparer d'un poste à responsabilité qui pourrait te revenir ? Ne te sens-tu pas coupable de ne pas faire le maximum, de gâcher ton potentiel ? Tu pourrais être un surhomme et tu te complais dans la médiocrité, pourquoi ? »



Magie perverse des mots. Comme l'ont écrit Gori et Le Coz, « on ne doit pas perdre de vue que les mots ne sont pas seulement des moyens d'expression pour la pensée : nous pensons à travers les mots et c'est pourquoi, là où nous avons déjà accepté la terminologie du management (« gérer son stress », « optimiser son capital confiance »), nous avons déjà accepté une certaine manière de penser. Rien n'est plus trompeur que le sentiment d'avoir une représentation neutre de la réalité, comme si les mots ne venaient qu'après coup pour dépeindre la situation qui tombe sous notre regard. »1 Et me reviennent en mémoire ces mots de Victor Klemperer, qui analysa si finement en son temps le langage développé par le nazisme : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d'arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelque temps l'effet toxique se fait sentir. »2 Le salaire différé devient une « charge sociale », la solidarité, de l'assistanat, le syndicaliste, un partenaire social, et la révolution, un changement de maître.


Note :
1. Roland Gori et Pierre Le Coz, L'empire des coachs – Une nouvelle forme de contrôle social, Albin Michel, 2006.
2. Victor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich, Albin Michel, 1996.