Les discriminations racistes : une arme de division massive
Par Patsy le jeudi, avril 7 2011, 22:23 - Notes de lecture - Lien permanent
Chronique n°18 (avril 2011)
Saïd Bouamama
Les discriminations racistes : une arme de division massive
L'Harmattan, 2011.
Depuis une trentaine d'années, Saïd Bouamama est de tous les combats. Sociologue et militant, il participa activement aux différentes marches pour l'égalité et contre le racisme dans les années 1980, et plus récemment, il fut l'un des rédacteurs du fameux Appel des Indigènes de la République. Il nous offre aujourd'hui, chez L'Harmattan un nouveau livre : « Les discriminations racistes : une arme de division massive ».
Son propos est simple. Il entend rappeler l'existence en France, ancienne puissance coloniale, d'un « système institutionnel de production et de reproduction des discriminations racistes » que les discours en vogue tendent à occulter. Il nous met ainsi en garde contre les stratégies lexicales à l'oeuvre et cette guerre des mots que les dominants ont déjà largement remportée. Phénomène qui n'est d'ailleurs pas récent puisque Simone Bonnafous avait déjà noté, dans un livre important, l'évolution des discours portés sur les immigrés sous l'influence de l'extrême droite (L'immigration prise aux mots – Les immigrés dans la presse au tournant des années 1980, Kimé, 1992.)
Saïd Bouamama fait tout d'abord la critique du culturalisme, « courant de pensée absolutisant le facteur culturel, le construisant sous le seul angle de l'héritage et (le) posant comme seule cause des comportements individuels et collectifs ». Pour les culturalistes, les inégalités ne sont pas liées au système social mais à l'incapacité de certains individus à s'y adapter, autrement dit à s'intégrer du fait de leur us et coutumes. Cela les amène à mettre en avant les personnalités qui, par leur réussite sociale, témoignent que l'intégration est avant tout une affaire de volonté individuelle. Mais Saïd Bouamama, en homme d'expérience, souligne à juste titre que « les héros et héroïnes de l'intégration qui se prêtent au jeu de la médiatisation, soit ont intériorisé cette évacuation des conditions sociales déterminantes, soit instrumentalisent le processus en tenant le discours attendu dans l'espoir dans retirer des bénéfices matériels leur permettant de sortir de leur condition. » Les arrivistes se reconnaîtront...
Saïd Bouamama s'en prend également à ce qu'il appelle la grille de lecture « ouvriériste ». Par crainte que les dominés se divisent au profit des dominants, ceux qui portent ce discours mettent sous le boisseau la fragmentation « raciale » de la classe ouvrière, oubliant que dans le monde du travail, les immigré(e)s et leurs rejetons sont soumis à davantage de précarité et de discriminations1, et que dans les périodes de chômage de masse, les classes populaires entrent inévitablement en lutte pour capter les rares emplois disponibles. Les « ouvriéristes » voient dans le racisme une arme manipulée par les dominants pour diviser les exploités et non une « production sociale » dont l'une des sources est le passé colonial français : « l'erreur de la logique ouvriériste, écrit Saïd Bouamama, est de nier cet antagonisme réel et de ne prendre en compte que l'instrumentalisation idéologique par la classe dominante d'une division réelle. »
Dans la troisième partie de son ouvrage, il dénonce avec virulence ces « masques idéologiques » cherchant à nous faire oublier que la « question raciale est toujours en définitive une question sociale ». Parmi ces masques, citons l'éternelle et toujours fumeuse égalité des chances qui est un pendant de la méritocratie, la mixité sociale qui sous-entend que les « quartiers populaires (sont) des espaces pathologiques », ou le concept en vogue de diversité qui, pour reprendre les mots de Walter Benn Michaels, n'est pas un « moyen d'instaurer l'égalité (mais) une méthode de gestion de l'inégalité. »
Pour Saïd Bouamama, « les discriminations systémiques ne sont pas des réalités abstraites, elles s'incarnent dans une multitude de processus, de fonctionnements, d'organisations. Ce sont ceux-ci qu'il s'agit de débusquer, de dénoncer et de transformer. » Il a raison, en encore plus en ajoutant que c'est aux groupes sociaux victimes de discriminations de porter ce combat et d'imposer qu'il se livre.
Note
1. Comme le sont les femmes. Ce n'est pas par hasard que la préface de ce livre a été confiée à la chercheuse et militante féministe Christine Delphy pour qui « le racisme comme système, le patriarcat comme système, se ressemblent énormément. »
Commentaires
« les héros et héroïnes de l'intégration qui se prêtent au jeu de la médiatisation, soit ont intériorisé cette évacuation des conditions sociales déterminantes, soit instrumentalisent le processus en tenant le discours attendu dans l'espoir dans retirer des bénéfices matériels leur permettant de sortir de leur condition. »
Ya quand même un paquet de gens issus de l'immigration, qui "creusent leur trou" et qui sont pas dans la médiatisation. Qui sont intégrés juste parce que n'étant pas sectaires ben de fait ils sont là et leur place est reconnue au milieu des autres.
Disons que si on sort d'un discours et d'un mode de vie compatible avec le communautarisme on cesse d'être crédible à ses yeux quoi.
Sans déconner les vieux discours racistes de merde, qu'ils sortent de la bouche d'un arabe ou d'un fin de race blanc ça saoule.
20% de blancs racistes parmis les recruteurs ça met pas l'ensemble d'une population dans des Ghettos. Et comment il explique les femmes immigrées ou de parents d'origine immigrée s'en sortent environ deux fois mieux que les hommes dans le même cas? Elles sont moins racées?
Et dans sa tête les classes dominantes en France sont toutes les mêmes? Du vieux prof 68 tard au jeune trader en assurance opportuniste, des jeunes fils à papa bien nés, aux produits des grandes écoles disciplinés etc.
J'en doutes fort, il y a des dizaines de façons d'être de la hype et d'être français, européen, même une créature mondiale si on veut...
Des vendeurs de papier pour flatter la mauvaise conscience blanche post coloniale (autre concept culturaliste que la honte...) ou la victimisation des non blancs on en trouve, des gens pour faire du finaud autour de choses concrètes que décrivent les rares statistiques qu'on a sur ces sujets moins déjà.
Mué,
Je dois être trop con, trop vieux ou je ne sais quoi mais je ne comprends pas ce type de réaction où l'on fait dire à l'auteur ce qu'il ne dit pas ! Bouamama n'a jamais dit que tous les "issus de l'immigration" se prêtaient au jeu de la médiatisation ! J'imagine qu'il veut parler sans les nommer des Dati, Rama Yade, Azouz Begag et autres, ceux qui, à partir de leur trajectoire personnelle, négligent le poids des déterminismes socio-culturels pesant sur les épaules de chacun.
En fouillant bien, on peut toujours trouver un cireur de chaussures devenu multimillionnaire, un enfant du ruisseau pdg d'une multinationale, voire un pygmée champion de NBA, mais dans leur masse, les prolos (de tous poils et de toutes nationalités) sont bien plus souvent condamnés à des positions sociales subalternes. Personne n'est condamné à l'avance, mais on sait déjà qui a le plus de chances de tirer le ticket gagnant.