Saïd Bouamama fait tout d'abord la critique du culturalisme, « courant de pensée absolutisant le facteur culturel, le construisant sous le seul angle de l'héritage et (le) posant comme seule cause des comportements individuels et collectifs ». Pour les culturalistes, les inégalités ne sont pas liées au système social mais à l'incapacité de certains individus à s'y adapter, autrement dit à s'intégrer du fait de leur us et coutumes. Cela les amène à mettre en avant les personnalités qui, par leur réussite sociale, témoignent que l'intégration est avant tout une affaire de volonté individuelle. Mais Saïd Bouamama, en homme d'expérience, souligne à juste titre que « les héros et héroïnes de l'intégration qui se prêtent au jeu de la médiatisation, soit ont intériorisé cette évacuation des conditions sociales déterminantes, soit instrumentalisent le processus en tenant le discours attendu dans l'espoir dans retirer des bénéfices matériels leur permettant de sortir de leur condition. » Les arrivistes se reconnaîtront...

Saïd Bouamama s'en prend également à ce qu'il appelle la grille de lecture « ouvriériste ». Par crainte que les dominés se divisent au profit des dominants, ceux qui portent ce discours mettent sous le boisseau la fragmentation « raciale » de la classe ouvrière, oubliant que dans le monde du travail, les immigré(e)s et leurs rejetons sont soumis à davantage de précarité et de discriminations1, et que dans les périodes de chômage de masse, les classes populaires entrent inévitablement en lutte pour capter les rares emplois disponibles. Les « ouvriéristes » voient dans le racisme une arme manipulée par les dominants pour diviser les exploités et non une « production sociale » dont l'une des sources est le passé colonial français : « l'erreur de la logique ouvriériste, écrit Saïd Bouamama, est de nier cet antagonisme réel et de ne prendre en compte que l'instrumentalisation idéologique par la classe dominante d'une division réelle. »

Dans la troisième partie de son ouvrage, il dénonce avec virulence ces « masques idéologiques » cherchant à nous faire oublier que la « question raciale est toujours en définitive une question sociale ». Parmi ces masques, citons l'éternelle et toujours fumeuse égalité des chances qui est un pendant de la méritocratie, la mixité sociale qui sous-entend que les « quartiers populaires (sont) des espaces pathologiques », ou le concept en vogue de diversité qui, pour reprendre les mots de Walter Benn Michaels, n'est pas un « moyen d'instaurer l'égalité (mais) une méthode de gestion de l'inégalité. »
Pour Saïd Bouamama, « les discriminations systémiques ne sont pas des réalités abstraites, elles s'incarnent dans une multitude de processus, de fonctionnements, d'organisations. Ce sont ceux-ci qu'il s'agit de débusquer, de dénoncer et de transformer. » Il a raison, en encore plus en ajoutant que c'est aux groupes sociaux victimes de discriminations de porter ce combat et d'imposer qu'il se livre.



Note
1. Comme le sont les femmes. Ce n'est pas par hasard que la préface de ce livre a été confiée à la chercheuse et militante féministe Christine Delphy pour qui « le racisme comme système, le patriarcat comme système, se ressemblent énormément. »