Le géant latino-américain est un précurseur dans ce domaine puisque cela fait plus de trente ans, avec des hauts et des bas, qu’il produit du « pétrole vert ». Le géant latino-américain est aussi l’une des places fortes de l’agrobusiness mondial : c’est un gros exportateur de café, de soja, de canne de sucre, mais aussi un pays pauvre qui a su développer un complexe agro-industriel performant ; en d’autres termes, il ne se contente pas d’exporter de la matière première, il la transforme également sur place, ce qui est beaucoup plus rémunérateur. Le géant latino-américain est enfin un pays dirigé par un homme issu du mouvement ouvrier, le célèbre Lula, donc il a une image de pays gouverné par la « gauche », soucieuse des intérêts des dominés.

Mais on peut être « de gauche » et productiviste, « de gauche » et développementaliste, « de gauche » et nationaliste. Lapalissades ? Je sais.
La preuve nous en est encore une fois apportée avec l’éthanol. Pour le gouvernement Lula, le développement des terres destinées à la production de cannes à sucre, elles-mêmes destinées à finir en éthanol n’occupent que des terres déjà « dégradées ». On ne sait pas très bien ce que recouvre cette notion de « dégradées », mais on perçoit en revanche ce que cela veut dire : il est moins grave de dégrader ce qui est déjà dégradé… Sauf que sur le terrain, il s’avère que l’expansion de la monoculture de canne à sucre pour la production d’éthanol s’empare désormais de certaines des meilleures terres agricoles du Brésil, comme celles du Cerrado, une zone de savane bordant l’Amazonie. Du coup, la biodiversité en prend un coup, puisque pour faire de la canne à sucre, il faut couper les arbres qui occupent le terrain. Couper ou brûler. Car dans ce Far west si loin des yeux de l’Etat central, on ne s’embarrasse pas. La forêt primaire et ses essences si rares, on la coupe, on la brûle pour faire place nette.

Ensuite, comme cette production nécessite beaucoup d’eau, il est de coutume de détourner les rivières ou, plus simplement, de s’implanter en bordure d’elles. Quant aux rejets... ils sont rejetés, souvent tels quels, ce qui provoque, outre la pollution, quelques maladies chez les gueux qui ont le malheur de s’en servir pour leur alimentation.

Le groupe multinational Louis-Dreyfus est bien connu au Brésil pour sa contribution au développement capitaliste national. Si vous allez sur Wikipedia, vous pourrez y lire ceci : « Le groupe Louis Dreyfus détient une participation dans LDC SEV, le 2ème producteur mondial de sucre et d’éthanol à base de canne. A ce titre, il est amené à employer plusieurs milliers d’ouvriers agricoles, de manière permanente et saisonnière. Le groupe Louis Dreyfus porte une attention particulière au respect du droit du travail brésilien et aux conditions de travail et de vie de ses employés. Le développement de programmes de responsabilité sociale accompagne naturellement le développement du groupe dans la région. Un rapport social publié chaque année témoigne des préoccupations du groupe pour le développement social et économique aux seins des communautés brésiliennes, particulièrement dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'environnement. » C’est beau, non ? Evidemment, Dario Paulineli, secrétaire de l’agriculture et de l’environnement de la ville de Luz, dans le sud du pays, a un point de vue plus pondéré, soulignant que le groupe Louis Dreyfus « a multiplié les contrats de location avec les fermiers locaux, et les conséquences environnementales sont considérables. Les exploitants répandent leurs pesticides par avion, poisons qui atteignent les fermes voisines, ainsi que les zones peuplées. Ils coupent des arbres pourtant protégées par la loi (…) et ils plantent de la canne près des sources des fleuves. »

Bref, ce développement des terres destinées à la production d’éthanol comporte donc bien des inconvénients en terme d’environnement et de santé publique.

Heureusement, cela crée de l’emploi. Vous êtes un petit paysan, propriétaire d’un terrain et qui tire le diable par la queue ? Vous n’avez qu’à signer un contrat avec une multinationale ! Vous lui louez votre terre et vous touchez un loyer, une rente ! Le premier problème est que bien souvent, après le bail, votre terre ne vaut plus rien : trop de pesticides, trop de ceci, trop de cela – une multinationale comme Louis-Dreyfus vous rendra une terre morte. Second problème : les terres consacrées à l’agriculture vivrière régresse, et en conséquence, les prix des denrées de première nécessité grimpent !

Vous pouvez également vous transformer en ouvrier agricole à la saison de la coupe de la canne. Ceci est réservé aux plus pauvres des plus pauvres… et ils sont légion dans le Brésil rural. Car ce qui attend ces hommes, c’est l’esclavage, un travail de forçat. Un travail littéralement exténuant, accompli dans des conditions inacceptables, le tout pour un salaire de misère. Car les coupeurs de canne ne sont pas payés à l’heure mais à la quantité produite. Dans l’Etat de Sao Paulo, « les ouvriers reçoivent 1,2 $ par tonne de canne coupée et entassée. Pour gagner 220$ par mois, ils doivent couper une moyenne de dix tonnes de canne par jour ! » Ironie du sort : la canne à sucre OGM, plus riche en saccharose, est également plus légère que la canne traditionnelle. Il faut donc en couper davantage pour gagner son pain. La multinationale, elle, gagne sur les deux tableaux.

Au soir du 15 mai prochain, nous saurons qui de Marseille, Lyon, Auxerre, Lille ou trifouillis-les-Oies sera champion de France de Football. A l’heure où je vous parle, l’OM et ses supporters survoltés sont bien accrochés à leur fauteuil de leader. Et tous les Marseillais s’accordent à dire que si l’OM est champion cette année, il le doit à un homme qui, durant des années, a investi son argent dans le club et l’a restructuré. Un homme qui est décédé en juillet dernier. Un homme qui s’appelait Robert-Louis Dreyfus et qui était devenu en 2006 le dirigeant et premier actionnaire du groupe Louis-Dreyfus. Alors, ne vous étonnez pas de la virtuosité technique des footballeurs marseillais : il y a du sang brésilien qui coule dans leurs veines…