Il faut rendre grâce aux éditions Agone d’avoir permis au public francophone de découvrir le travail de Howard Zinn. En 2002, elles furent en effet les premières à proposer son impressionnante « Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours », une somme de huit cent pages, certes, mais surtout le récit d'une formidable épopée dans l’Amérique des pauvres, des gueux, des Noirs et des Indiens, des femmes, des marginaux, des prolétaires. Agone publia en 2004, « Nous, le peuple des Etats-Unis », un recueil de réflexions sur la nature du système politique américain, histoire de déciller les yeux de celles et ceux qui voient ce grand pays comme le pays de la liberté. Ce livre sera réédité en poche, au mois de mars prochain, sous le titre « Désobéissance civile et démocratie ».

En 2006, Agone nous offrait « L'impossible neutralité – Autobiographie d'un historien et militant ». Dans cet ouvrage, Howard Zinn nous livrait en toute simplicité ce que fût sa vie.
Fils d’ouvriers né dans les taudis de Brooklyn, Howard Zinn s’est forgé une conscience de classe au contact des militants communistes new-yorkais. Après la Seconde guerre mondiale, grâce à un dispositif permettant aux anciens soldats de se faire financer leurs études, Zinn gagne les bancs de l'université. Il devient professeur d'histoire mais ne troque pas pour autant ses affinités de jeunesse pour les oripeaux du parvenu. Il revient dans « L’impossible neutralité » sur les combats politiques qui ont marqué son existence, non pour se mettre en avant, mais pour rendre hommage à celles et ceux qui, parfois au péril de leur vie, ont su dire « non » : non au racisme institutionnalisé des Etats du Sud, non à la guerre du Vietnam, non aux injustices sociales, non à l’autoritarisme sur les campus.
Peu de personnalités connues dans ces pages, mais des anonymes avec lesquels il a eu, écrit-il, « le bonheur de se révolter », comme ces étudiantes afro-américaines combattant la ségrégation raciale ou ces militants pacifistes refusant la guerre du Vietnam. Howard Zinn n'avait rien de l'intellectuel pédant et égocentrique. C'était un humble, un humaniste, un homme généreux et surtout un incorrigible optimiste. Défenseur d’une action directe non-violente si répandue aux Etats-Unis, Howard Zinn voyait dans « les plus infimes actes de protestation les racines invisibles du changement social ». Il écrivait : « L’histoire est pleine de ces moments où, contre toute attente, les gens se sont battus ensemble pour plus de justice et de liberté, et l’ont finalement emporté – pas assez souvent certes, mais suffisamment tout de même pour prouver qu’on pourrait faire bien plus ».
Sa vie et son oeuvre étaient un plaidoyer pour l'engagement, contre vents et marées. Antiraciste militant, Howard avait apprécié la victoire de Barack Obama lors du dernier scrutin présidentiel américain. Mais il n'en avait pas pour autant perdu toute raison. L'octogénaire ne croyait pas aux hommes providentiels. Il avait acquis la certitude que seuls les individus sont en mesure, collectivement, de contraindre les dominants à changer de politique : « Nous avons besoin, écrivait-il dernièrement, d'un nouveau mouvement social du genre de ceux des années 1930 et des années 1960, seuls moments de l'histoire où le gouvernement a réagi en adoptant des lois pour changer le cours des choses ; un nouveau grand mouvement social qui ferait savoir au gouvernement que nous en souhaitons plus faire la guerre, que nous ne défendons pas un régime enrichissant les plus riches tout en n'offrant à trop de gens que désespoir et dénuement. » Bye-bye Monsieur Zinn.