Mon banquier et moi
Par Patsy le mercredi, janvier 13 2010, 19:51 - Question sociale - Lien permanent
Emission n°14
« Merci ! Merci d'être là, encore et toujours ! Merci de me témoigner de nouveau votre confiance, que dis-je, votre amour. J'ai bien souvent songé à abandonner, délaisser mon labeur pour me reconvertir : faire du fromage de chèvre quelque part loin des turpitudes urbaines, enfiler des perles du côté de Marennes-Oléron. Depuis un an et demi, j'avoue avoir perdu le moral plus d'une fois. Ce que je faisais ne marchait pas, et puis, j'avais l'impression que vous m'en vouliez, que vous me rendiez coupable de tous les maux de la terre. Heureusement, vous êtes venus à mon secours, vous m'avez soutenu, encouragé, vous m'avez redonné goût au travail. Je me pensais en fin de carrière, bon pour le dépôt de bilan, proche de la faillite ; et non, vous m'avez tendu la main, vous m'avez convaincu que ce n'était qu'un sale moment à passer. Et que ce sale moment, nous le passerions ensemble, unis, puisque nous avions tant de choses en commun. Du coup, vous m'avez redonné l'envie de relever de nouveaux challenges. Si je le pouvais, je vous embrasserais. Je peux ? »
C'est par ces mots que je fus accueilli dans mon agence bancaire le mardi 5 janvier dernier. Je me tenais là, proche du guichet, tenant dans ma main gauche trois chèques d'un montant global de 72,25€ accompagnés du bordereau. Le directeur de l'agence bancaire m'a pris dans ses bras et m'a claqué deux bises bien sonores, avec à la pointe de l'oeil droit une larme de rien du tout. Décontenancé, j'ai interpellé du regard l'employée, debout derrière son guichet, espérant qu'elle me fasse un signe du genre « Il est sous anti-dépresseurs, ne faites pas attention », « Il revient d'un ashram, cela va lui passer ». Mais non, elle m'a souri, s'est saisie d'une corbeille en osier et m'a dit d'une voix un peu mièvre : « Un petit chocolat pour la nouvelle année ? ». Mes yeux ont alors parcouru l'agence à la recherche d'une hypothétique caméra, car j'étais soucieux, pour ma réputation, de ne pas être le jouet d'un gag télévisé. Mais non, cet homme en costume-cravate, ému aux larmes, qui n'en finissaient plus de secouer ma main droite de reconnaissance ; cet homme-là était sincère.
La surprise passée, je lui fis remarquer que je n'étais certainement pas pour pas grand chose dans sa bonne humeur actuelle. Mais il m'interrompit prestement : « Ne vous y trompez pas, sans vous, la crise nous aurait mis par terre ! Sans votre confiance, croyez-vous que nous aurions pu aussi vite rembourser l'argent que l'Etat nous a confié pour combler les déficits causés par les prêts pourris, toxiques encombrant nos comptes ? Pour nous, vous êtes plus qu'un client : vous êtes un contribuable ! Et cela, Monsieur, compte beaucoup pour notre société. Et je vous le prouve. »
Il m'écarta du bras, la porte automatique s'ouvrit et il héla un quidam trottinant dans la rue, une baguette sous le bras et un chien au bout d'une laisse : « Monsieur, s'il vous plaît, approchez-vous ! » L'homme interloqué s'approcha, m'interrogea du regard. Je lui fis signe que je n'y étais pour rien, mais avant que je ne le conjure de fuir, mon directeur de banque l'enserra de ses bras puissants : « Monsieur, je ne vous connais pas. Etes-vous client de notre agence ? Non. Payez-vous des impôts ? »
« Ah ça oui ! Que le bonhomme répondit. Et de trop ! Passqu'avec ma retraite, on roule pas sur l'or ! »
- Là n'est pas la question. Vous en payez et à ce titre, je vous le dis, comme je viens de le dire à ce monsieur : je dois tout au contribuable que vous êtes !
Le brave homme, ne comprenant pas ce qui se tramait, opina bêtement du chef, comme si le remerciement était la seule attitude possible pour se défaire d'un tel olibrius. La moutarde me montant sévèrement au nez, j'ai fustigé du regard mon interlocuteur et son employée. Celle-ci empoigna de nouveau la corbeille et lâcha d'une même voix mièvre : « Un petit chocolat pour la nouvelle année ? »
- Non ! Vous commencez à m'emmerder sévère avec vos crottes !
- Ce ne sont pas des crottes, ce sont des boules fourrées praliné !
- Boules ou crottes, je m'en fous ! Vous avez joué au casino avec le pognon des gens, vous avez spéculé sans remords des années durant pour amasser l'oseille et garnir les poches de vos dirigeants, des spéculateurs, des actionnaires, et toute la camarilla de vautours qui vit grassement de la financiarisation du monde ! Vous vous êtes ramassés comme des merdes provoquant la plus grave crise systémique depuis 1929, parce que le court-terme et la courte vue vous servent de boussole. L'Etat est venu à votre secours avec nos sous pour vous sauver de votre faillite, la banque centrale européenne vous a octroyé des prêts à un taux proche du zéro, et vous, vous octroyez des prêts à des taux nettement supérieurs. Vous vous refaites une santé en moins de deux sur notre dos ! Alors, si vous voulez mon avis : vous auriez mieux fait de jeter à la poubelle votre costume de guignol et de prendre vos clics et vos clacs pour filer à la campagne élever des caprins !
Un silence pesant a envahi l'agence. Face à moi, le directeur, un peu abattu, a séché une larme, et m'a répondu ceci : « Monsieur, sachez que j'ai vraiment voulu tout plaquer. J'avais trouvé la terre et le troupeau, j'avais entamé des démarches auprès de la chambre d'agriculture pour m'installer et apprendre le métier. Mais au dernier moment, la banque m'a refusé mon prêt. Solange m'en est témoin. »
Abasourdi, mon regard a croisé celui de Solange, émue, derrière son guichet. Elle a hoché la tête et a murmuré : « Allez, prenez donc une petite crotte, quand même, pour la nouvelle année. »
Commentaires
trés bon merci pour ce moment délectable en compagnie de votre banquier
si au moins il etait aussi franc la vie serais plus drôle
mais le malheur c'est que c'est la même chose derrière des visage de faux cul!
Depuis que nous sommes passés à l'Euro, les banquiers ne sont plus Francs. C'est ainsi...
Sur ce jeu de mots pitoyable, je vous souhaite un bon week-end.