Depuis quelques semaines, France Telecom est sur la sellette. Une vague de suicides, une « mode » pour reprendre l'expression indécente de son directeur, a poussé les médias à s'intéresser à la façon dont les entreprises gèrent leur « modernisation », leur « adaptation » à un monde hyper-concurrentiel. On sait ce que le capitalisme doit à l'organisation scientifique du travail : la rationalisation, la division du travail, la parcellisation des tâches, le perte de sens du travail concret. Mais pour que cela fonctionne, il faut formater les individus. Comme l'écrivait Gramsci, à propos du fordisme, « En Amérique, la rationalisation a déterminé le besoin d'élaborer un nouveau type d'homme adapté au nouveau type de travail et de processus productif. » Un homme déshumanisé, réduit à l'état de robot. Louis-Ferdinand Céline décrit l'entreprise moderne dans Voyage au bout de la nuit avec ces mots : « J'ai vu en effet les grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine, comme s'ils ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d'impossible (...) Quand ils vous parlaient on évitait leur bouche à cause que le dedans des pauvres sent déjà la mort. »

L'histoire du mouvement ouvrier est aussi l'histoire d'une lutte sans relâche pour que l'inhumanité ne conquière définitivement la sphère industrielle. Faire que le travailleur ne soit plus un numéro ! Valoriser le fait que sans la débrouille et l'entraide, sans les accommodements au quotidien, sans les « coups de main », l'entreprise rationalisée ne pourrait fonctionner. D'où l'importance des syndicats et des collectifs de travail. D'où la volonté ferme du patronat de briser toute capacité de riposte collective des travailleurs. La logique du système capitaliste et du management repose sur l'atomisation des travailleurs. Il est à l'image de notre monde qui réduit les êtres humains à n'être que des citoyens-consommateurs.

Cette note a été publiée dans Courant alternatif n°195 (décembre 2009)