Le Monde comme il va - Tag - SyrieLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearEn finir avec Daech...urn:md5:d9ca3bb8b8e24f37e6b9e5d08d9e7c412015-12-03T07:49:00+00:00PatsyActualité internationaleDaechIrakMonde arabeSyrie<p>Comment liquider Daech ? Vladimir Poutine avait promis d'en finir avec les jihadistes tchétchènes, dagesthanais et autres, quitte à aller lui-même les buter jusque dans les chiottes ; excusez ma vulgarité mais je crois que ce sont ses mots. Poutine a tenu en grande partie parole, liquidant une bonne partie de l'opposition tchétchène, islamiste ou pas, en menant ce que j'appellerais, doux euphémisme, une « sale guerre ». <br /></p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.drapeau_de_daech2_m.jpg" alt="drapeau_de_daech2.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="drapeau_de_daech2.jpg, déc. 2015" />
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Il doit bien rester quelques centaines d'islamistes radicaux à errer dans les montagnes et forêts du pays, mais d'une manière générale, Ramzan Kadyrov, l'homme fort du pays, tient les rênes du pouvoir aussi solidement que son mentor au Kremlin. François Hollande a promis la même chose mais dans un langage plus châtié ; langage qui sied mieux à un enfant de Neuilly. Il a donc pris son bâton de pèlerin pour convaincre ses partenaires de faire de Daech l'ennemi principal du genre humain. Il ne semble pas que la récolte ait été bonne. Il faut dire qu'il n'y a guère qu'à l'Elysée qu'on considère le Califat comme la force à détruire prioritairement. L’État turc se préoccupe essentiellement de ce qui se passe dans les zones kurdophones. Les Kurdes ne songent qu'à sanctuariser leur zone d'influence et ne seront guère tentés d'en sortir pour s'en prendre à Daech. L'Iran et l'Arabie saoudite se marquent à la culotte, chacun défendant sa sphère d'influence politico-confessionnelle. Bachar El-Assad ne songe qu'à survivre, quitte à se contenter d'un territoire réduit à la zone alaouite. Les Russes, qui disposent d'une base navale dans le port syrien de Tartous, ont tout intérêt à défendre le pouvoir chancelant des Assad s'ils veulent le conserver. L'opposition à Bachar ne sait pas ce qu'elle veut parce qu'elle mêle des forces aux antipodes les unes des autres dont une filiale d'Al-Qaida. La France et les Etats-Unis ont des intérêts divers à défendre dans ce Proche et Moyen-Orients en pleine convulsion, comme aider à la survie de régimes qualifiés d'amis, le contrôle du Canal de Suez, le soutien à l’État d'Israël et le containment de l’Islam radical… Bref, chacun voit midi à sa porte et personne ne s'engagera dans un conflit long et douloureux pour les beaux yeux de la Patrie des droits de l'homme.<br />
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Comment liquider Daech, l'empêcher de nuire ? On peut toujours espérer en finir militairement avec l’État islamique mais tous les spécialistes de la chose kakie sont d'accord sur un point : cela risque de coûter cher en vies humaines « occidentales » sur le terrain, autrement dit sur le sable du désert, étant entendu que Daech ne disparaîtra pas sous les tapis de bombes et les frappes chirurgicales. En fait, les Etats « occidentaux » ne rêvent que d'une chose : faire que des Arabes et des Perses fassent le boulot à leur place ; faire que l'Arabie saoudite et son ennemi juré, l'Iran, s'impliquent ensemble pour libérer la Syrie de Daech.<br /></p>
<p>L'autre option, qui n'est pas forcément une alternative, est de travailler à fissurer la nébuleuse Daech. Daech ne doit sa force qu'au soutien que lui apporte une partie des sunnites irakiens. Une partie seulement, puisque des clans ont choisi de supporter le pouvoir de Bagdad bien que celui-ci, sous Nouri al-Maliki, ait multiplié les violences anti-sunnites, assassinant des personnalités, tirant sur des manifestants. Les sunnites qui contrôlaient le pouvoir sous Saddam Hussein ne supportent pas leur marginalisation orchestrée par le pouvoir irakien soutenu par les Américains depuis 2003. En ce bas monde où tout peut s'acheter du moment qu'on y met les formes et le prix, il est tout à fait envisageable de négocier avec des chefs de clans sunnites irakiens pour les rallier à la cause du monde libre. Si on leur garantit de nouveau un accès au gâteau, autrement dit à l'aide internationale, on pourrait bien assister à quelques retournements d'alliance… A mes yeux, la seule façon d'en finir avec Daech consiste à rendre l’Etat islamique infréquentable pour toutes les élites syrico-irakiennes. Infréquentable non par ses méthodes sanguinaires et son idéologie, parce que ce n'est pas la morale qui guide le monde des affaires et de la politique, mais infréquentable parce que nuisible aux affaires (au sens économique et politique). Il y a en Irak, en Afghanistan, en Afrique, des seigneurs de la guerre qui contrôlent des portions du territoire national et se vendent au plus offrant. Parmi les combattants de Daech, il y a donc beaucoup d'opportunistes qui sauront saisir d'autres opportunités si Daech venait par son radicalisme à mettre en danger leur business. On pourrait analyser l'actuel conflit en Irak et en Syrie comme un affrontement confessionnel opposant des sunnites à des chiites. Il y a de cela bien sûr, mais cela ne doit pas faire oublier que l'essentiel est ailleurs. Ici comme là-bas, un conflit « ethnique » ou « religieux » n'est rien d'autre qu'un conflit politique et social, et il est à analyser comme tel. Ne saisir que l'angle du religieux empêchent de comprendre pourquoi des clans sunnites de la province d'Al-Anbar ont préféré soutenir le chiite Nouri Al-Maliki et les Américains en 2007-2008 alors que d'autres combattaient les apostats ? Pourquoi l’État saoudien dont le wahabisme militant est l'une des sources d'inspiration des djihadistes contemporains, a-t-il lié son sort à celui des Etats-Unis au lieu de le combattre ou de le tenir à distance ? Pourquoi des milices sunnites syriennes anti-Bachar El-Assad peuvent passer au gré des circonstances du côté d'Al-Qaida (front Al-Nosra) ou du côté de Daech, son ennemi juré ? Ce qu’il faut garder en tête c’est le poids du local et du régional dans les stratégies développées par les différents groupes armés, comme c’est le cas aujourd’hui en Libye en pleine guerre civile où chaque seigneur de la guerre fait allégeance à Daech ou Al-Qaida sans que cela n’implique un alignement sur les positions idéologiques de leur parrain. L’exemple le plus étonnant est celui des brigades Ansar Al Charia qui, selon leur ville d’implantation en Libye (Bengazi, Syrte…) s’allient à Daech ou lui font la guerre.<br /></p>
<p>Si d'aventure, de nouveau, des troupes venaient à s'installer en Syrie et en Irak, il serait souhaitable de faire ce qui n'a que trop rarement été fait, c'est-à-dire répondre vite et bien aux besoins sociaux des populations : faire que tous les foyers aient l'eau courante et l'électricité, remettre en état des services publics, faire fonctionner les écoles, faire que ce soit la justice et non l'arbitraire qui soit la règle, attaquer la corruption à la base comme au sommet… Les populations locales, usées par des décennies d'autoritarisme politique et de guerre, n'en demandent sans doute pas beaucoup plus !<br /></p>
<p>Si les jihadistes et les islamistes radicaux sont perçus par certains comme des sauveurs, ce n'est pas tant parce qu'ils incarneraient l'Islam pur des origines mais parce qu'on les espère moins pourris et corrompus que ceux qu'ils viennent de chasser. C'est parce que la corruption et la violence d'Etat règnent que le rigorisme moral, l'ascétisme et le désintéressement prônés par les islamistes radicaux sont parvenus à conquérir les têtes et les coeurs. C'est parce que la jeunesse se sait ou se pense sans avenir, qu'elle n'a pas de boulot, qu'elle est incapable de s'émanciper de la tutelle familiale, de s'autonomiser et de mener une vie d'adulte qu'elle voit dans la migration ou le Jihad une réponse à ses frustrations. C'est parce qu'elle se sait condamnée, qu'elle se fait kamikaze. Je ne nie pas l'existence de jihadistes prêts à se faire sauter le caisson au nom d'Allah (comme le pourrais-je ?), mais je pense qu'il est nécessaire de relativiser la part de l'idéologie jihadiste dans la décision de s'engager dans la lutte armée. Ou, pour le dire avec les mots du sociologue Jean-François Bayart, fin connaisseur de l'Islam politique, il ne faut pas « prendre les vessies de la foi pour les lanternes du politique en tenant pour argent comptant les préceptes religieux et en feignant de ne pas voir que les croyants n'en font qu'à leur tête. » <em>Timbuktu</em>, le très beau film d'Abderrahmane Sissako, nous montrait ainsi des jihadistes fumant en cachette ou parlant football, toutes choses pourtant interdites.<br /></p>
<p>Realpolitik diront certains. Ils ont raison : cela en est. On ne peut espérer en finir avec Daech sans s'appuyer sur les structures sociales (appelons-les tribales ou claniques) des pays concernés. On ne peut espérer en finir avec Daech en oubliant la tendance au factionnalisme si répandue dans le monde arabe. Mais en finir avec Daech ne signifie nullement en finir avec l'Islam radical...</p>Fanatisme religieux et néo-conservatismeurn:md5:b51914d88e6612d54ad04815593f1e752015-11-23T22:15:00+00:00PatsyActualité politiqueDaeshIrakReligionSyrie<p><strong>Nouvelle donne, vieille rengaine, émission n°4 (novembre 2015)</strong><br />
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De nouveau le terrorisme islamiste lié à Daech a frappé l'hexagone avec une violence rare. Ces « fous d'Allah » comme certains les appellent ont voulu punir l’État français pour son implication militaire dans un conflit syrien qui fait quotidiennement des dizaines et des dizaines de morts. Mais il y a plus que cela, plus que ce dent pour dent et œil pour œil.</p> <p>Le grand drame des djihadistes, c'est que dans leur immense majorité, les musulmans, les pratiquants comme les plus distanciés à l'égard de la religion, ne se reconnaissent pas dans leur lecture anhistorique, littérale du Coran, dans leur sectarisme qui fait d'eux les seuls vrais et respectables musulmans. Leur seul espoir de conquérir les musulmans de France est dans l'exacerbation des tensions inter-religieuses ici-même. Jouer sur le racisme et l'islamophobie, rendre insécure la situation des musulmans de France pour prouver que la place des vrais musulmans n'est pas ici, au milieu des infidèles, mais dans ce califat auto-proclamé qui émerge au coeur du Moyen-Orient. <br />
Vous l'aurez peut-être remarqué mais les djihadistes ne s'attaquent pas à l'extrême droite raciste et islamophobe parce qu'ils partagent avec elle la même idée centrale : le vivre ensemble est impossible, ou plutôt, le vivre ensemble ne doit pas être possible. Les djihadistes attaquent Paris la cosmopolite et tire indifféremment sur la population, sans se soucier le moins du monde de la couleur de sa peau ou de sa confession. Nos jihadistes, par leurs idées et leurs méthodes, sont d'extrême droite, même si parler d'islamo-fascisme n'a pas de sens, à moins de réduire le fascisme à une forme de totalitarisme et de mépris de la vie humaine, et d'oublier que le fascisme fut un paganisme.<br />
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En septembre 1990, Georges Bush, le père de l'autre, déclare devant le congrès : « Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment exceptionnel et extraordinaire. La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s’orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile, notre cinquième objectif, un nouvel ordre mondial, peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. »<br />
Vingt-cinq ans plus tard, le monde est plus convulsif que jamais. Les Etats-Unis ont voulu exporter la démocratie, ou plutôt leur conception de la démocratie, celle qui a pour pilier le marché libre et non la justice sociale. Ils ont joué, seuls ou accompagnés, aux apprentis sorciers en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, comme si ces territoires étaient sans Histoire, sans structures sociales, sans rapports de force interne, et donc malléables à merci. Chacun sait pourtant que l'extrémisme religieux fleurit sur la désespérance sociale, la corruption, la violence étatique et les politiques discriminatoires. Ramener l'eau courante et l'électricité dans les foyers, remettre en état des services publics, rouvrir les écoles, faire que ce soit la justice et non l'arbitraire qui soit la règle… voilà en somme ce que demandent essentiellement des populations usées par des décennies d'autoritarisme politique et de guerre. Au lieu de cela, les néo-conservateurs ont joué les uns contre les autres, les chiites contre les sunnites par exemple, puni les uns et récompensé les autres. Ces pays sont devenus des poudrières sur lesquelles règnent des politiciens affairistes, des seigneurs de la guerre, des fanatiques religieux et le Big business.<br /></p>
<p>Daech a déclaré la guerre au monde libre disent certains. Non, Daech a déclaré la guerre à tout le monde, aux musulmans tout d'abord qu'ils massacrent sans pitié, et à notre insouciance, autrement dit à notre souhait de vivre paisiblement à l'écart des tourments du monde qui doivent tant à l'action de ceux que l'on a porté au pouvoir. Reste à savoir si, pour pouvoir jouir paisiblement des bienfaits de la société de consommation et de la démocratie représentative sans saveur qui est la nôtre, nous accepterons sans ciller de voir nos libertés être mises sous surveillance et nos indignations sociales être mises sous éteignoir au nom de l'Union sacrée.</p>Syrie, la violence comme seule issueurn:md5:95fa04523f357df1c527c631270cac1c2014-10-13T20:40:00+01:00PatsyActualité internationaleReligionSyrie<p><strong>Chronique (octobre 2014)</strong><br />
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<p>La pièce est sombre, le gamin se tient là, debout, et il tient à deux mains un revolver trop lourd pour lui sous le regard amusé d'une demi-douzaine de jeunes hommes.
Nous sommes quelque part en Syrie, en zone rebelle, loin de tout mais pas assez encore pour échapper aux bombardements de l'armée nationale. En attendant Daech…<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Syrie_m.jpg" alt="Syrie.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Syrie.jpg, oct. 2014" /><br /></p> <p>Ces hommes sont jeunes et disponibles. Disponibles et sans espoir. Ce n'est pas à proprement parler la misère qui les a poussés à défier le régime de Bachar El-Assad, mais bien plutôt le sentiment que leur avenir social était condamné. Alors perdus pour perdus, ils ont pris les armes. Perdus pour perdus car ils n'imaginent pas autre chose que la mort comme issue à ce combat fratricide. Ils peuvent mourir, ils vont mourir, ils en sont sûrs et n'en ont plus peur. Car la peur a toujours fait partie de leur vie. La brutalité de la guerre ne les affecte même plus. Pas de quartier, pas de cadeaux. Ils n'ont plus le temps, l'énergie, la compassion de juger et punir. Trop d'amis sont morts, morts sous les bombes, morts les entrailles brûlées par la chimie. Trop d'amis sont morts pour avoir le courage, la folie de pardonner. Alors on coupe des têtes. On égorge, on décapite, on expose les têtes, on exulte et on dit à l'autre camp : « Regarde jusqu'où je peux aller ». C'est une lutte à mort qui se joue là. Barbarie ? Oui, autant que d'envoyer des drones faire le sale boulot. Ici, on a transféré à la technologie la plus sophistiquée la charge de tuer.<br /></p>
<p>Leur brigade est locale. Elle a été montée et financée, comme toujours, par un notable. A leur création en 2011, ils se sont affiliés à l'Armée syrienne libre. Aujourd'hui, ils font partie du Front islamique, rassemblement hétéroclite et de circonstances de salafistes et d'islamistes dits modérés, cartel financé aussi bien par la Turquie que le Qatar ou l'Arabie saoudite pour contrer Daech et ses rêves de Califat. Le problème de l'Islam radical est qu'il est condamné à se confronter à l'emprise du national. Ils sont musulmans, chiites ou sunnites, salafistes ou wahabites, revendiquent leur appartenance à l'Oumma, la communauté des croyants, mais n'en demeurent pas moins les habitants d'un Etat, les membres d'une nation. Al-Qaida est condamnée à voir ses alliés l'abandonner. Parce que ce sont des alliés de circonstances qui ne sont guère convaincus de l'importance que doit revêtir pour tous l'internationalisme salafiste.<br /></p>
<p>Nos moudjahidines rêvent tous que la Syrie se transforme en république islamique, parce qu'ils ne veulent pas de la démocratie immorale de l'Occident et parce que le socialisme et la laïcité ont toujours eu pour eux les traits d'un dictateur sans scrupule et affairiste. Ils sont pieux comme le sont la plupart des Syriens, mais ce ne sont pas des idéologues. Ils veulent juste vivre en paix et dans l'ordre social et moral ; et si Daech a pu s'installer aussi facilement en Irak et en Syrie, c'est qu'il a ramené de l'ordre, son ordre, en faisant fuir les corrompus et les racketteurs.
Leur brigade est locale, leur fonctionnement est tribal. Comme en Afghanistan ou en Irak, les chefs de guerre changent d'alliés au gré des circonstances et du rapport de forces du moment ; l'essentiel étant d'être là où il faut pour capter les ressources nécessaires au financement de ses troupes et à la survie de sa tribu et de son clan. Ils sont avant tout contre Bachar, l'incarnation du mal. Daech ? Pour l'heure, l’État islamique de l'Irak et du Levant est aussi leur ennemi, parce que sa puissance et son arrogance sont une menace pour les autres factions anti-Bachar. Mais demain...<br /></p>
<p>La pièce est sombre, le gamin se tient là, debout, et il tient à deux mains un revolver trop lourd pour lui. Quel âge a-t-il ? Qu'importe. Comme enfant, il est déjà mort.<br /><br /></p>
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<p><em>Cette chronique doit beaucoup au remarquable article de Thomas Cantaloube, </em>Plongée dans l'ordinaire des combattants rebelles syriens<em> (Médiapart, octobre 2014). Ce journaliste a interviewé longuement le sociologue Romain Huët qui mène en Syrie une longue enquête depuis 2012</em>. La photo est de Pierre Roth.</p>Ligne de crête, crises en ligne...urn:md5:a0160bb7698da92caa8fb37c0c7491262009-11-27T22:53:00+00:00PatsyActualité internationaleIsraëlLibanPalestineSyrie<p><strong>Emission n°10 (décembre 2009)</strong><br /></p>
<p>Il y a fort longtemps le paysan arabe de Cheba'a, sous autorité ottomane, ne se posait pas de question. Habitant sur les pentes du Mont Hermon, ils franchissaient la ligne de crête et gagnaient ses fermes pour cultiver la terre et faire paître ses troupeaux la saison venue. Mais voilà, il y eut la Première Guerre mondiale. La France et la Grande-Bretagne se partagèrent les ruines de l'Empire Ottoman en créant rapido presto des frontières pour séparer Liban, Syrie et Palestine.</p> <p>Et quoi de plus pratique pour séparer deux pays qu'un fleuve, une rivière ou une ligne de crête ? C'est ainsi que procéda l'Etat français, s'inspirant d'une carte topographique de 1862 ; c'est ainsi que le village de Cheba'a devînt libanais tandis que les fermes de ses paysans devinrent syriennes. Mais bon, entre paysans, devenus syriens et libanais, on peut s'entendre. Jusqu'en 1948, les premiers permirent donc aux seconds de continuer à exploiter les fermes de Cheba'a comme par le passé. La délimitation territoriale cessa d'être la ligne de crête mais une rivière séparant depuis des lustres les terres des uns et des autres. Le pouvoir syrien s'accommoda de la situation. <br /></p>
<p>Mais voilà, il y eut le conflit israélo-arabe de 1948. L'armée syrienne trouva fort stratégique d'occuper militairement ces fermes de Cheba'a. Le militaire aime prendre de la hauteur, c'est comme ça. La Syrie avait le droit pour elle puisque ces fermes étaient sur son territoire par la grâce d'une carte du corps expéditionnaire français, même si aucun Syrien n'y vivait. Alors, pour corriger cela, la Syrie se dépêcha d'y installer quelques ressortissants.<br /></p>
<p>Mais voilà, il y eut la guerre des Six-jours en 1967. Israël envahit et occupe le plateau du Golan, territoire syrien. Or le Mont Hermon est l'une des frontières « naturelles » du Golan. Vous l'aurez compris, Israël, en occupant le Golan, occupe également les fermes de Cheba'a, tellement bien situées stratégiquement. C'est comme ça, le militaire de tout poil et de toutes nationalités, aiment prendre de l'altitude. Assez rapidement, l'Etat d'Israël pousse à l'implantation de colonies de peuplement au pied du Mont Hermon, et en 1981, pour enfoncer le clou, la Knesset nationalise le Golan. Quand un enjeu stratégique est aussi une terre d'Israël, si l'on en croit la Bible, c'est trop tentant ! En moins de trois décennies, d'humbles paysans ont ainsi changé trois fois de nationalité.<br /></p>
<p>En 2000, l'armée israélienne quitte le sud-Liban qu'elle occupait depuis 1978 mais garde la main sur les fermes de Cheba'a qui sont syriennes même si le Liban défend mordicus, et avec raison, qu'elles seraient toujours libanaises si ces fichus impérialistes français avaient fait appel à leur bon sens plutôt qu'à une foutue carte topographique ! Le Hezbollah, qui entend incarner « la Résistance libanaise » hurle encore plus fort qu'elle ne lâchera jamais les armes tant qu'une partie du territoire national restera entre les mains de l'agresseur sioniste ! Quant à son alliée, la Syrie, elle a changé son fusil d'épaule : elle déclare que les fermes de Sheba'a sont bien libanaises et, qu'à ce titre, en vertu de la résolution 425 de l'ONU sur le retrait du sud-Liban, les Israéliens n'ont rien à y faire, qu'ils doivent les restituer au Liban... et, dans la foulée, se retirer du Golan en vertu des résolutions 242 et 338 sur le retrait des territoires occupés depuis 1967.<br /></p>
<p>Mais voilà, trois affluents du Jourdain ont leur source dans le Mont Hermon. Trois affluents qui contribuent à alimenter le Lac de Tibériade. Or comme l'écrivait en 1919 Chaïm Weizmann, sioniste de premier plan, et futur premier président de l'Etat d'Israël en 1948, à Lloyd George, Premier ministre : « Tout l'avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l'irrigation et pour la production d'électricité. L'alimentation en eau doit provenir des pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani. » Les sionistes d'avant la création de l'Etat juif avaient bien conscience que leur projet colonial dépendait en grande partie de leur capacité à contrôler les ressources hydrauliques de la région. Les sionistes d'aujourd'hui en ont toujours la certitude ; eux qui la fournissent au compte-goutte aux Palestiniens.<br /></p>
<p>Le retour des fermes de Cheba'a sous autorité libanaise, et du Golan sous autorité syrienne dépendra donc de la capacité des Etats belligérants à trouver un accord sur le partage des ressources en eau de la région. C'est dire à quel point on risque de maudire encore quelque temps cette fichue carte topographique de 1862.</p>
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<p>Cet article doit beaucoup à l'article de Matthieu Cimino <em>"La "paix verte" au Proche-Orient est-elle cultivée dans les fermes de Cheba'a ?"</em> (<em>Confluences méditerranéennes</em>, n°70). Lire également Jacques Fontaine,<em> L'eau, enjeu du conflit israélo-palestinien</em>, Cahiers de formation n°22, AFPS, 2008.</p>