Le Monde comme il va - Tag - ManagementLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearQuelques réflexions sur le travail (première partie)urn:md5:62fa77e4dba388a42c40981aa9ddf5c42011-08-31T23:06:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeConditions de travailManagement<p>''En août dernier, on m'a demandé d'intervenir sur la question de l'évolution du travail dans le cadre d'une grande fête aussi rurale que populaire en Loire-Atlantique, initiée par des militants paysans investis dans la solidarité internationale avec le Nicaragua depuis plus de 20 ans. La "commande " étant ambitieuse et dépassant largement mes compétences, j'ai fait le choix d'aborder cette question en privilégiant quelques axes de réflexion : la maîtrise du temps et des savoir-faire, la disciplinarisation de la classe ouvrière et le rapport individu/classe. Je me suis efforcé d'être le plus clair et synthétique possible, et d'éviter tout jargon (l'important étant d'être compris d'un public très divers, et non d'étaler sa science et de flatter son ego).<br />
Bonne lecture !''<br />
<em>PS : les "habitués" de ce blog constateront certainement que certains "chapitres" sont issus de textes que j'avais écrits pour Le Monde comme il va, textes accessibles sur ce blog. En vous y reportant, vous pourrez y glaner quelques références bibliographiques.</em> <br /></p>
<hr /> <p><strong>Introduction</strong><br />
En guise d’introduction à mon intervention, j’aimerais vous offrir une citation. Elle est due à la plume d’un intellectuel iranien, Hossein Kazemzâdé (1884-1962) : « Quelle différence entre la vie des moutons et des boeufs qui sont conduits chaque jour au pâturage par un berger et celle de ces millions d'individus qui sont acheminés chaque matin vers les usines où ils sont contraints à travailler comme une machine ou un animal et qui, harassés et désorientés, rentrent le soir chez eux ou dans une taverne pour reprendre le lendemain le même travail ? En raison de cette civilisation, tout le monde est plongé dans la cupidité, tout le monde est assoiffé de sang et, à la recherche des biens matériels, chacun piétine le droit de l'autre ; tout le monde cherche le désir matériel. Chacun ne pense qu'à soi et essaie de tromper l'autre. »<br />
Alors que dans l’Iran des années 1910, beaucoup d’intellectuels nationalistes plaident pour la modernisation de leur pays, afin que celui-ci rattrape son « retard de développement » sur les pays européens, Kazemzâdé leur oppose son regard très critique sur les sociétés occidentales, modernes et capitalistes.<br />
Retracer une histoire du travail des origines à nos jours est une tâche extrêmement difficile, voire impossible. La synthèse que l’on pourrait en faire m’ayant semblé largement insatisfaisante, j’ai choisi de traiter cette question de l’évolution du travail à travers les siècles, en choisissant quelques angles d’attaque.<br />
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<strong>La maîtrise du temps</strong><br />
L’une des premières entrées possibles pour aborder cette question est celle du temps, et plus précisément de sa maîtrise. Pendant des siècles et des siècles, les peuples vécurent sans montre au poignet et sans horloge sur les clochers. Le paysan travaillait dur à des périodes particulières de l’année, lors des plantations et des récoltes par exemple, et demeurait soumis aux caprices de la météorologie ; l’artisan, maître de son activité, alternait les périodes de travail intense et les périodes de relative tranquillité, en fonction de son carnet de commandes et de ses envies.<br />
Avec la création des fabriques, qui rassemblent des ouvriers qualifiés sous le contrôle d’un patron, le temps prend une autre importance. Ecoutez plutôt le règlement intérieur des fonderies Crowley, dans l’Angleterre du 18e siècle. Le patron, qui est un vieil autocrate, entend tirer le maximum de profit de ses travailleurs qu’ils paient à la journée de travail. Parce qu’il a constaté que nombre d’entre eux lui sont « déloyaux » et s’échappent trop souvent à son goût de leur établi pour gagner les cabarets, il nomme un contremaître « afin de repérer les paresseux et les canailles, et de récompenser les justes et les dévoués ». Car les ouvriers de l’époque, qui ont gardé une mentalité d’artisan, entendent rester maîtres de la gestion de leur temps de travail. Cela apparaît particulièrement dans l’alinéa 31 de l’article 103 dudit règlement : « Ayant été informé que certains employés ont été assez malhonnêtes pour régler l’heure de la cloche de sortie sur l’horloge qui avançait le plus, et l’heure de la cloche d’entrée sur l’horloge qui retardait le plus (…) j’ordonne par la présente que personne sous aucun prétexte ne tienne compte d’aucune horloge, cloche, montre, cadran autre que l’horloge du contremaître, qui ne sera elle-même réglée que par son dépositaire officiel. »<br />
Derrière cette question du temps, du temps qui est de l’argent, il y a la question de la disciplinarisation du travailleur. L’homme doit être attaché à son poste de travail durant toute la journée de travail : sa liberté est désormais surveillée.<br />
Plus tard, le patronat s’efforcera de fixer la main d’œuvre. Si certaines industries sont saisonnières, comme les conserveries, et se satisfont pleinement de disposer d’une main d’œuvre qu’aux moments de pointe, il n’en va pas de même pour d’autres industries qui ont besoin d’une main d’œuvre permanente. Il faut donc sédentariser ce prolétariat qui change de patron régulièrement et n’hésite pas à regagner sa campagne à l’été pour participer aux travaux des champs. Au 19e siècle, cette sédentarisation sera facilitée par deux dispositifs. Le premier sera répressif : l’Etat surveillera ce qu’il appellera le vagabondage en imposant à l’ouvrier un livret ; pour quitter son emploi, l’ouvrier devra obligatoirement faire signer ce livret par son patron, autrement dit, sans signature dudit patron, l’ouvrier est mis dans la catégorie des vagabonds et peut donc être jeté en prison. Le second aspect a un caractère social : pour conserver sa main d’œuvre, certains patrons, issus du catholicisme notamment, proposeront en plus du travail un logement et des services à caractère social comme un dispensaire ou une école. Ce dispositif doit être lu de deux façons. Il témoigne du souci paternaliste d’un certain patronat de soulager la misère ouvrière, celle qu’il entretient par ailleurs en proposant des salaires peu élevés ; et de l’intérêt qu’il a à capter une main d’œuvre et de se l’attacher, du fait que le logement est compris dans le contrat de travail. Et quand le logement est dépendant du travail, quand, en d’autres termes, perdre son emploi signifie que l’on perd le toit sous lequel vit sa famille, cela ne pousse guère le prolétaire à revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail. <br />
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<strong>La captation des savoir-faire</strong><br />
Le second biais par lequel nous pourrions passer pour évoquer l’évolution du travail à travers les âges est celui des savoir-faire. L’ouvrier d’avant les fabriques, est un artisan. Il peut monnayer ses capacités auprès des patrons qui eux-mêmes sont d’anciens artisans.<br />
Avec l’apparition des fabriques, les débuts de la mécanisation, un certain nombre de savoir-faire deviennent obsolètes. Les premières machines produisent davantage et plus vite. On peut y faire travailler des travailleurs manuels peu habiles, des enfants, des femmes et des paysans chassés de leurs terres. Les ouvriers habiles, et qui pouvaient monnayer cette habileté, sont désormais mis en concurrence, ce qui ne peut avoir qu’une conséquence négative sur les salaires qu’ils peuvent obtenir.<br />
Karl Marx s’est intéressé bien évidemment à l’émergence de ce nouvel ordre industriel et il en a tiré deux formules qui me semblent importantes à relever : « Dans la manufacture et le métier, l’ouvrier se sert de l’outil, à la fabrique, il sert la machine. » ; « Même la facilité plus grande du travail devient un moyen de torture, puisque la machine ne dispense pas l’ouvrier du travail, mais enlève à celui-ci son intérêt. »
Les travailleurs ont souvent résisté à ce progrès technique qui les condamnait à la misère ou les réduisait à l’état de robot. Souvenons-nous par exemple du mouvement luddite en Angleterre. A partir de 1811 et pendant une poignée d’années, dans la région de Manchester, des travailleurs du textile détruisirent nombre de machines à tisser, revendiquant leurs actions du nom d’un invisible Général Ned Ludd. Leurs faits d’armes les firent entrer dans la postérité, c’est-à-dire les dictionnaires, sous le terme de « luddisme » ; mais le sens commun ne retînt du « luddisme » que deux sens : l’action de détruire les machines d’une part, la haine de la technologie d’autre part. Or les luddites ne cassaient pas les machines parce qu’elles « incarnaient » le progrès technique ; ils les cassaient parce qu’elles signaient leur arrêt de mort en tant que travailleur indépendant, en tant que communauté humaine. L’irruption de ces machines à tisser, à tricoter, de ces tondeuses mécaniques, ne réduisait pas seulement la plupart d’entre eux au chômage, ne les poussait pas seulement à quitter leur village pour aller quérir ailleurs de l’emploi, ne transformait pas seulement ces travailleurs-artisans maîtres de leur temps de travail en prolétaires-ouvriers soumis au rythme de la machine ; l’irruption de la « modernité » signait l’arrêt de mort de « tout un monde reposant sur la vie communautaire autonome, un système d’échanges locaux et de troc, une tradition de divers métiers, un brassage de coutumes ». Cette entreprise de modernisation technique industrielle fut simultanément une entreprise de dé-culturation. Cette période fut d’une rare violence : violence de l’outil qui rend obsolètes les savoir-faire ouvriers et la culture dont ceux-ci sont porteurs ; violence des patrons et de l’Etat qui entendent imposer par la force le nouvel ordre productif au nom du progrès économique et déjà, de la concurrence. <br /></p>
<p>FIN DE LA PREMIERE PARTIE - <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/08/31/Quelques-r%C3%A9flexions-sur-le-travail-%28deuxi%C3%A8me-partie%29">Lire la suite</a></p>Quelques réflexions sur le travail (deuxième partie)urn:md5:b6813cf5454e6b2424c51df102f1c2272011-08-30T23:12:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeConditions de travailManagement<p><strong>Le taylorisme contre la flânerie ouvrière</strong><br />
Une fois le travailleur fixé dans une entreprise et mutilé de ses savoir-faire, il faut obtenir de lui le rendement maximum. Taylor fut l’un des premiers à penser scientifiquement le travail industriel. Il est né en 1856 en Pennsylvanie dans une famille puritaine qui exalte le labeur, la discipline et l’effort. C’est un élève doué, un sportif de bon niveau et un bricoleur de génie. Ne pouvant intégrer la prestigieuse université de Harvard, il travaille en usine, suit des cours du soir et devient avant ses 30 ans ingénieur en chef. De sa première expérience professionnelle (Midvale Steel Compagny), il garde une haine farouche contre ce qu’il considère comme la déviation majeure des travailleurs : le goût de la flânerie, tout ce temps qui ne sert pas à la production, tout ce temps réapproprié par l’ouvrier pour se reposer, causer et faire autre chose que ce pour quoi il est faiblement payé. Or le temps, c’est de l’argent. En 1890, il est embauché par la Bethlehem Steel Compagny, une entreprise sidérurgique qui cherche à rationaliser sa production, c’est-à-dire à maximiser ses profits. Trois ans plus tard, Taylor décide de consacrer toute son énergie à développer ses théories sur l’organisation du travail industriel. Les livres s’enchaînent, tout comme les conférences à travers le monde. Le « système Taylor » est né. On peut le résumer en quelques mots : division du travail en tâches simples et répétitives, individuellement optimisées, et paiement des employés selon leur rendement. Les patrons l’encensent, les syndicats conspuent cette organisation scientifique du travail qui transforme l’ouvrier en robot dénué de raison et d’initiative. Ce à quoi Taylor répondait que les ouvriers n’étaient pas à l’usine pour penser puisque d’autres étaient payés pour ça. <br /></p> <p>Pour l’anecdote, on raconte que le jeune Taylor avait remarqué que lorsqu’il dormait sur le ventre, il se mettait à rêver. Heureux de cette découverte, il s’empressa illico de se bricoler un dispositif spécial qui l’empêcherait… de se retourner pendant la nuit. Taylor, le chantre de la rationalité, de la productivité détestait autant la flânerie que le rêve. <br /></p>
<p><strong>Eloge de l’individu</strong><br />
Le dernier biais qui m’a semblé intéressant de mettre en exergue est celui de la glorification de l’individu.<br />
Sous la monarchie, existaient des corporations, c’est-à-dire des regroupements professionnels régissant l’accès à la plupart des professions, fixant les prix et les salaires. Beaucoup de révolutionnaires, acquis aux idées libérales, considéraient que les corporations, en empêchant la concurrence, étaient un frein au développement économique et à l’innovation. <br />
En mars 1791, la loi d’Allarde déclare qu’il « sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ». Dans la foulée, Isaac René Guy Le Chapelier, avocat et député de Bretagne, s’indigne que « plusieurs personnes ont cherché à reconstituer les corporations anéanties (afin de) forcer les entrepreneurs de travaux à augmenter les prix de la journée de travail, d’empêcher les ouvriers et les particuliers qui les occupent dans les ateliers de faire entre eux des conventions à l’amiable (…) on force les ouvriers de quitter leurs boutiques alors même qu’ils sont contents du salaire qu’ils reçoivent. » Il conclut en disant : « Il n’y a plus de corporations dans l’Etat. Il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. »<br />
La Loi Le Chapelier de juin 1791 proscrit toute forme de cessation collective de la production (grève) et d’organisation corporative (syndicat). Il le fait au nom de la liberté, car la force de travail est considérée comme une marchandise obéissant à la loi de l’offre et de la demande, et le rassemblement pour la défense de ses intérêts est une « atteinte à la liberté des droits de l’homme ».<br />
Le mouvement ouvrier du 19e siècle va alors se battre de façon constante contre cette idée que les travailleurs, soumis par contrat individuel de subordination à un patron, ne doivent pas avoir de revendications collectives à défendre. Il n’y a pas de « conventions à l’amiable possibles » dans une société où l’un dépend de l’autre pour sa survie. En 1837, Lamennais, comparant la situation du pauvre à celle de l'esclave, écrit : « Mieux eut valu pour lui un complet esclavage ; car le maître au moins nourrit, loge, vêt son esclave, le soigne dans ses maladies, à cause de l'intérêt qu'il a à le conserver ; mais celui qui n'appartient à personne, on s'en sert pendant qu'il y a quelque profit à en tirer, puis on le laisse là. A quoi est-il bon lorsque l'âge et le labeur ont usé ses forces ? A mourir de faim et de froid au coin de la rue. »
Il faudra attendre 1864 pour que soit supprimé le délit de coalition. La grève ne peut plus être sanctionnée par les tribunaux. Mais il faut noter que chacun a individuellement le droit de faire grève, que la grève est considérée comme une rupture du contrat de travail, et à ce titre le patron n’est pas obligé de réembaucher les grévistes à l’issue du conflit. Parallèlement, la loi crée un nouveau délit : celui d’atteinte à la liberté du travail. Il faudra attendre 1884 pour que soient légalisés les syndicats professionnels.<br />
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<strong>Conclusion</strong><br />
Dans cette courte évocation de l’évolution du travail, j’ai volontairement mis de côté le travail servile (l’esclavage), le chômage structurel (qui pèse de tout son poids sur la façon dont le travail est vécu par les travailleurs) et la brutalisation des relations de travail à laquelle nous assistons depuis une trentaine d’années, puisque cela fera l’objet de l’intervention suivante.<br />
Pour conclure, je voudrais signaler à quel point les quatre axes sur lesquels je me suis appuyé me semblent toujours aussi pertinents.<br />
Concernant le temps de travail, on assiste à plusieurs phénomènes : d’un côté, des travailleurs voient leur temps de travail être fragmenté, notamment dans les grandes surfaces, où l’on peut travailler quatre heures le matin puis quatre heures en soirée ; de l’autre, notamment dans l’encadrement, les nouvelles technologies (ordinateurs, messageries électroniques, téléphones portables) poussent les travailleurs à poursuivre leur activité professionnelle au-delà de leur temps de travail. Il y a donc une volonté d’abolir la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Tout notre temps doit être pris par le salariat.
Concernant les savoir-faire, on note une volonté du patronat d’en finir avec la notion de métier, qui renvoie à une grille de classification qui renvoie elle-même à une fiche de poste, et également à une convention collective à partir de laquelle un salarié peut connaître le montant de son salaire éventuel. Le patronat lui préfère la notion de « compétence », beaucoup plus floue, et nous demande de travailler à notre « employabilité ».<br />
Concernant la lutte contre la flânerie, le passage aux 35 heures s’est payé d’un accroissement considérable à la productivité. Il faut faire toujours plus avec moins de personnel, répondre à des « objectifs » définis par sa hiérarchie. Le nouveau management promeut l’autonomie, l’initiative individuelle mais il ne donne pas les moyens à celles-ci de s’accomplir.<br />
La promotion de l’individu dans l’entreprise s’appuie sur la fragmentation actuelle du salariat : CDI, CDD, stagiaires, intérimaires se croisent dans les entreprises et peinent à s’unir autour de revendications fédératrices ; à cela s’ajoutent le développement des temps partiels contraints ou choisis, la flexibilité. En d’autres termes, c’est toute une communauté de travail qui devient mouvante au point de ne plus être une véritable « communauté », c’est-à-dire un collectif porteur de valeurs propres et d’une histoire singulière. Le rêve libéral ultime, porté par l’actuel président de la République est de faire de chaque individu l’entrepreneur de sa propre vie : un « homme libre », c’est-à-dire un « homme seul » qui n’aurait que des intérêts individuels. D’où la volonté patronale de casser les collectifs de travail existants, d’empêcher que d’autres se forment, d’individualiser chaque trajectoire professionnelle ; d’où la volonté du management de transformer le DRH en interlocuteur privilégié du salarié en lieu et place du délégué du personnel. Et je ne parle pas de la mode actuelle du « coaching » qui vise à nous rendre performant et attractif, autrement dit à nous faire regretter d’être ce que l’on est en nous culpabilisant.<br /></p>
<p>Comme on m’a demandé d’être optimiste, je dirais que le rôle des travailleurs et des structures qu’ils se donnent est de se battre becs et ongles contre tout ce qui avilit l’individu. Il faut lutter contre les salaires au mérite, les primes au rendement, les points de compétence, les entretiens individuels d’évaluation : tout ce qui désunit, divise et entretient les ressentiments. Il faut opposer un front commun aux patrons qui harcèlent certains travailleurs pour pousser les autres à courber l’échine. Il faut se battre contre la dictature des financiers, les délocalisations boursières, les spéculateurs et tous les Etats, de gauche comme de droite, qui ont facilité les déplacements incontrôlés des capitaux et sont confrontés aujourd’hui à une crise sans précédent. Il faut également penser un autre mode de vie dans lequel la consommation tiendrait un rôle beaucoup plus secondaire que celui, central, qu’il occupe aujourd’hui. <br /></p>Cou-coach panier !urn:md5:af168403ba66a6d2e5d9c84c7627905d2011-05-16T21:29:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeConditions de travailManagement<p><strong>Chronique n°22 (mai 2011)</strong><br />
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En ces temps fort néolibéraux, nous sommes priés de considérer nos bras, nos jambes, notre corps, nos savoir-faire et notre intellect comme un capital à faire fructifier sur le marché de l'exploitation salariale. Il nous faut être réactif, compétitif, conquérant, polyvalent et souple de l'échine, car la courbe ascendante de son salaire a souvent un lien avec la courbe descendante exigée par le salut servile. Il nous faut consolider nos compétences, en acquérir de nouvelles, réaliser pleinement le potentiel qui est en nous, et oeuvrer évidemment à ce que nos performances ne passent pas inaperçues auprès de nos supérieurs et de nos inférieurs (oups, pardon ! Je voulais dire collaborateurs). Car il est un peu stupide de donner la pa-patte si l'on a pas l'espoir d'en retirer en retour un modeste su-sucre.</p> <p>En ces temps fort néolibéraux, les coachs bâtissent leur Empire sur nos désirs de réussite sociale et de distinction. Ils calment nos frustrations et notre peur de ne pas être à la hauteur des attentes des uns et des autres. Ils nous promettent plus de carottes que de bâton et éloignent de nous la perspective obsédante du déclassement, de la déqualification, de la disqualification. <br />
En ces temps fort néolibéraux, les coachs investissent fort opportunément la Toile, et il ne se passe pas une semaine sans que je ne reçoive une proposition de formation susceptible de me hisser haut, plus haut, encore plus haut dans la hiérarchie sociale et professionnelle. La semaine passée, ce fut le cas, et je ne résiste pas à l'envie de vous en dire plus.<br /></p>
<p>Sous le titre « Boostez vos méthodes de management pour faire la différence, créez une dynamique de succès et préparez l'après-crise ! », mon coach m'invite à développer « physiquement et stratégiquement <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/05/16/mon" title="mon">mon</a> impact de leader à partir de l'élément clef des plus grandes réussites : le Charisme. » Il me promet un « cycle décoiffant aux solutions opérationnelles » qui me permettra de devenir tout à la fois, accrochez-vous, « un prophète qui mobilise par une vigilance lucide, une intuition fine et une vision non conformiste, élargie et ambitieuse ; un juste qui fait fructifier ses dons et ceux de son entourage, suscite la confiance en soi et favorise la chance ; un magicien qui possède le sens de la formule et la magie du verbe qui mettent en état de « grâce » ; un héros qui pratique le défi optimiste, l'engagement énergique, la prise de risque généreuse et donc produit des exploits étonnants.»<br /></p>
<p>En trois séminaires de deux jours, me voici invité à travailler mon « charisme oratoire » afin d' « influencer, convaincre, improviser et débattre avec grâce en toute circonstance » ; mon « charisme relationnel, pour informer des mauvaises nouvelles, sortir des doubles contraintes, gérer la mauvaise foi et négocier aisément les conflits » ; et mon « charisme managérial pour mobiliser, faire changer, développer les potentiels, déléguer, évaluer ses équipes. »<br />
Et parce que tout cela nécessite d'être à la pointe des nouvelles techniques de communication, mon coach souligne que son travail « inclut les approches les plus récentes en matière de storytelling, de magnétisme social, de résilience, et de gestion du capital chance. » <br />
Mais bon, devenir à la fois un prophète, un juste, un magicien et un héros, cela a un coût : 3300 € ! C'est cher ? Oui, évidemment, pour les gagne-petits. Mais pour un ambitieux qui fait carrière dans le secteur recherche-développement d'une grande entreprise de papier-toilettes ou de fil à couper le beurre, rien n'est trop cher pour galvaniser ses troupes et ainsi mieux estourbir la concurrence ! Et puis, mon coach a le bon goût de m'indiquer que chaque participant recevra gracieusement (oui, gracieusement !) un exemplaire dédicacé de son livre ! 3300 € pour un bouquin, avouons-le, ça fait cher le mot, l'espace et la ponctuation. Mais que ne ferait-on pour se rassurer ? <br /></p>
<p>Je ne sais si mon coach est un bonimenteur ou s'il est reconnu comme un bon professionnel sur le marché en vogue du coaching. Je ne sais d'ailleurs si on peut être l'un sans être aussi l'autre. Mais passons...
En ces temps fort néolibéraux où nous sommes appelés à nous mobiliser 24 heures sur 24 pour gagner la compétition internationale (ou, plus simplement, conserver notre emploi), le coaching a de beaux jours devant lui. Il pointe un doigt inquisiteur sur nos pauvres têtes et nous dit : « Es-tu sûr de faire le maximum pour ton entreprise ? Es-tu certain qu'il n'y a pas, en toi, des ressources insoupçonnées de créativité, d'intelligence ? Es-tu prêt à laisser, par ta faute, un autre que toi s'emparer d'un poste à responsabilité qui pourrait te revenir ? Ne te sens-tu pas coupable de ne pas faire le maximum, de gâcher ton potentiel ? Tu pourrais être un surhomme et tu te complais dans la médiocrité, pourquoi ? »<br /></p>
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<p>Magie perverse des mots. Comme l'ont écrit Gori et Le Coz, « on ne doit pas perdre de vue que les mots ne sont pas seulement des moyens d'expression pour la pensée : nous pensons à travers les mots et c'est pourquoi, là où nous avons déjà accepté la terminologie du management (« gérer son stress », « optimiser son capital confiance »), nous avons déjà accepté une certaine manière de penser. Rien n'est plus trompeur que le sentiment d'avoir une représentation neutre de la réalité, comme si les mots ne venaient qu'après coup pour dépeindre la situation qui tombe sous notre regard. »<strong>1</strong> Et me reviennent en mémoire ces mots de Victor Klemperer, qui analysa si finement en son temps le langage développé par le nazisme : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d'arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelque temps l'effet toxique se fait sentir. »<strong>2</strong> Le salaire différé devient une « charge sociale », la solidarité, de l'assistanat, le syndicaliste, un partenaire social, et la révolution, un changement de maître.</p>
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<p><strong>Note :</strong> <br />
1. Roland Gori et Pierre Le Coz, <em>L'empire des coachs – Une nouvelle forme de contrôle social</em>, Albin Michel, 2006.<br />
2. Victor Klemperer, <em>LTI, la langue du Troisième Reich</em>, Albin Michel, 1996.</p>Le travail, c'est la santé...urn:md5:44848a41e8dc76842d25ac3997fc9d842009-10-12T12:45:00+01:00PatsyQuestion socialeConditions de travailManagementSyndicalisme<p><a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2009/10/12/Emission n°2, 8 octobre 2009" title="Emission n°2, 8 octobre 2009">Emission n°2, 8 octobre 2009</a></p>
<p>Etre réactif, créatif, participatif, oser, entreprendre, se remettre en cause, travailler seul, travailler en réseau, zéro stock et zéro défaut, travailler sous tension, être toujours joignable, rationalisation, faire deux choses en même sens, faire trois choses en même temps, gérer son temps, stimulation, émulation, flux tendu, être franc, productivité, être direct, s'investir personnellement, faire siennes les valeurs de l'entreprise, profil comportemental individuel, se penser comme entrepreneur autonome, être mobile, saisir les opportunités, travailler son employabilité, reconnaître ses fautes, mettre en valeur ses savoir-faire, mettre en avant son savoir-être, individualisation, gratification, individuation, méritocratie, atomisation, se passer d'amis, se passer de collègues, se passer de confrères, se penser en concurrent, la vie est concurrence, société du risque, harcèlement, motivation, se taire, faire le dos rond, attendre, prendre sur soi, mur du silence, ne penser qu'à soi, incompréhension, s'isoler, placardisation, se faire violence, sombrer, ne vivre enfin que par la mort que l'on se donne...</p> <p>Depuis quelques semaines, France Telecom est sur la sellette. Une vague de suicides, une « mode » pour reprendre l'expression indécente de son directeur, a poussé les médias à s'intéresser à la façon dont les entreprises gèrent leur « modernisation », leur « adaptation » à un monde hyper-concurrentiel. On sait ce que le capitalisme doit à l'organisation scientifique du travail : la rationalisation, la division du travail, la parcellisation des tâches, le perte de sens du travail concret. Mais pour que cela fonctionne, il faut formater les individus. Comme l'écrivait Gramsci, à propos du fordisme, « En Amérique, la rationalisation a déterminé le besoin d'élaborer un nouveau type d'homme adapté au nouveau type de travail et de processus productif. » Un homme déshumanisé, réduit à l'état de robot. Louis-Ferdinand Céline décrit l'entreprise moderne dans Voyage au bout de la nuit avec ces mots : « J'ai vu en effet les grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine, comme s'ils ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d'impossible (...) Quand ils vous parlaient on évitait leur bouche à cause que le dedans des pauvres sent déjà la mort. »</p>
<p>L'histoire du mouvement ouvrier est aussi l'histoire d'une lutte sans relâche pour que l'inhumanité ne conquière définitivement la sphère industrielle. Faire que le travailleur ne soit plus un numéro ! Valoriser le fait que sans la débrouille et l'entraide, sans les accommodements au quotidien, sans les « coups de main », l'entreprise rationalisée ne pourrait fonctionner. D'où l'importance des syndicats et des collectifs de travail. D'où la volonté ferme du patronat de briser toute capacité de riposte collective des travailleurs.
La logique du système capitaliste et du management repose sur l'atomisation des travailleurs. Il est à l'image de notre monde qui réduit les êtres humains à n'être que des citoyens-consommateurs.</p>
<p><strong>Cette note a été publiée dans Courant alternatif n°195 (décembre 2009)</strong></p>