Le Monde comme il va - Tag - Guerre d EspagneLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearLa guerre d'Espagne – Révolution et contre-révolution (1934-1939)urn:md5:9c7b8a116e63049e10dadb118f9ed6bb2015-02-21T12:49:00+00:00PatsyNotes de lectureGuerre d Espagne<p><strong>Burnett Bolloten</strong><br />
<em>La guerre d'Espagne – Révolution et contre-révolution (1934-1939)</em><br />
Agone, 2014, 1276 p.<br />
<strong>(Cette note trouvera place dans la prochaine livraison (octobre 2015) de la revue <a href="http://www.paul-nizan.fr/revue-aden-paul-nizan-et-les-annees-trente/">Aden</a>).</strong>
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<p>1276 pages dont une centaine consacrées aux 3928 notes, pas de photos, cinq cartes. Ce <em>Guerre d'Espagne</em> de Burnett Bolloten a tout de l'oeuvre austère destinée aux érudits et aux spécialistes, de l'oeuvre qu'on pose sur l'étagère sans oser l'entamer de peur de succomber sous son poids. Erreur ! Cette somme magistrale, dont Agone présente la quatrième et ultime édition, se lit sans lassitude, que dis-je ! se dévore plutôt.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/bolloten.jpeg" alt="bolloten.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="bolloten.jpeg, fév. 2015" /><br />
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Saluons tout d'abord le remarquable travail éditorial de l'éditeur car, hormis le malheureux Buenaventura Durruti, rebaptisé Durritti page 18, je n'ai noté qu'une poignée de fautes d'orthographe ou de typographie, ce qui est remarquable vu le volume traité. Ensuite, Agone a fait le choix, curieux, de mettre en couverture le visage magnifique de Marina Ginesta, une Gavroche d'alors 17 ans, décédée en janvier 2014 à l'âge de 94 ans. Curieux dans le sens où Maria Ginesta est alors une jeune militante du Parti socialiste unifié de Catalogne, autrement dit de la branche catalane du Parti communiste espagnol, organisation pour laquelle Burnett Bolloten n'a guère d'affection et dont il dissèque la politique contre-révolutionnaire tout au long de son livre.<br /></p>
<p>S'appuyant sur une impressionnante documentation dont l'inventaire éreinterait plus d'un Prévert, Burnett Bolloten, en journaliste et historien, défend une thèse : l'Espagne de 1936 fut la terre d'une véritable révolution sociale, marquée par des expériences autogestionnaires multiples, paysannes et ouvrières, initiées par les secteurs sociaux les plus radicalisés ; une révolution « par le bas » où la geste syndicale fut centrale. Ce fut sa singularité et sa faiblesse, car beaucoup auraient préféré que le peuple en armes se cantonne à l'antifascisme, autrement dit à la défense de la République et de la démocratie représentative. Et pour défendre cette révolution par le bas, Bolloten nous livre une histoire « par le haut », puisque l'essentiel de son travail est centré sur les relations tendues qu'ont entretenues durant trois années les différentes forces politiques présentes aux gouvernements.<br />
Ainsi, il évoque assez peu le fonctionnement des usines et des terres collectivisées, même s'il en pointe les réussites ou les faiblesses. Ce qui lui importe, c'est la façon dont le monde politique républicain si fragmenté, et les communistes, aux ordres du Komintern<strong>1</strong>, ont conjugué leurs efforts pour conjurer la révolution sociale, reprendre le contrôle de la situation et contenir les élans émancipateurs de la fraction révolutionnaire des classes populaires. On y voit un Parti communiste manoeuvrer admirablement pour conquérir lentement mais sûrement l'hégémonie politique, jouant des rivalités personnelles et idéologiques agitant le « partenaire » socialiste<strong>2</strong> pour placer ses hommes et imposer sa vision des choses. L'heure n'est pas à la Révolution mais au Front populaire, a dit Moscou ; alors le PCE s'exécute, fustige les anarchistes aventuristes de la CNT-FAI<strong>3</strong>, les hitléro-trotskystes du POUM<strong>4</strong>, exige que les collectivités agraires soient liquidées, que les entreprises autogérées soient contrôlées par l’État, que les milices ouvrières soient militarisées<strong>5</strong>… Et voici ce PCE qui, de politiquement insignifiant, devient une force politique centrale puisque la petite bourgeoisie, conquise par son modérantisme, le rejoint en masse. Que peux-t-on refuser à un parti lié au seul pays, l'URSS, qui accepte d'armer le camp républicain ?<br />
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<p>Certains parleront de procès à charge. Pourtant Bolloten ne cache rien des éléments qui ont pu justifier à l'époque ces politiques de restauration de l'autorité de l'Etat. Oui, l'Espagne de 1936 a vécu une période de chaos durant laquelle chaque force politique disposait de sa police et rendait « sa » justice en toute impunité (d'où la constitution d'un corps de carabiniers chargé du maintien de l'ordre à l'arrière). Oui, les milices ouvrières, mal équipées et souvent désorganisées, n'avaient pas la discipline d'une armée de métier et étaient de fait peu adaptées à la forme de la guerre en cours (d'où la militarisation des milices). Oui, l'économie de guerre, indispensable à la survie du régime, peinait à se mettre en place du fait de la volonté des anarcho-syndicalistes de contrôler les lieux de production (d'où la liquidation des collectivités agraires et la militarisation du travail industriel). Oui, l'Espagne ne peut se draper dans le rouge et le noir si elle entend convaincre les gouvernements britannique et français d'abandonner leur politique de non-intervention (pauvre Espagne prise aux pièges des jeux diplomatiques des uns et des autres !<strong>6</strong>). La situation exigeait l'Ordre mais cet Ordre a tué le volontarisme révolutionnaire et émancipateur, l'âme de juillet 1936. Car sur le front d'Aragon, dans Madrid, les prolétaires en armes ne défendaient pas la République mais un monde débarrassé du capitalisme et de l’État.<br /></p>
<p>Les anarchistes ? Bolloten ne dit somme toute pas grand-chose des débats ayant agité la CNT et la FAI, et les ayant poussé à collaborer avec le pouvoir en place<strong>7</strong>, hormis lors des journées de mai 1937 qui vit le camp anti-franquiste s'entre-déchirer et le mouvement anarchiste se fragmenter un peu plus entre partisans de l'unité au sommet de l’État et défenseurs de ce qui restait de contre-pouvoirs ouvriers issus de juillet 1936<strong>8</strong>. Il ne s'appesantit guère plus sur les personnalités centrales du mouvement libertaire, celles qui devinrent ministres et les autres. Il est en revanche beaucoup plus prolixe dès lors qu'il s'agit d'évoquer les socialistes et les communistes. Ce faisant, il nous livre des portraits (rarement flatteurs) de ceux qui eurent le destin de l'Espagne entre leurs mains. Ainsi du président Manuel Azana (un pleutre ne rêvant que d'une chose : l'exil) ou de Juan Negrin (un intellectuel crypto-communiste aux mœurs singulières). Reste son prédécesseur à la tête du gouvernement : Largo Caballero. Bolloten semble avoir de l'affection pour le vieux leader socialiste, ouvrier et syndicaliste, politicien retors qui s'efforça de s'émanciper autant que faire se peut de la tutelle communiste. Des communistes qui finirent par avoir sa tête et celles de bien d'autres...<br /></p>
<p>Il faut lire Bolloten, oser plonger dans ce millier de pages car elles forment une synthèse aussi passionnante qu'indispensable sur l'une des pages les plus mémorables de l'histoire contemporaine.<br />
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<p><strong>Notes</strong><br />
1. Le Komintern (ou Internationale communiste ou Troisième Internationale) coordonnait l'action des partis communistes du monde. Il fut en fait le canal par lequel le pouvoir soviétique orientait le travail politique des sections nationales à son seul profit.<br />
2. Le PCE détestait le vieux Largo Caballero, représentant de l'aile gauche (et syndicale) du Parti socialiste. Ils préférèrent s'allier sur le plus modéré Juan Negrin qui, pour beaucoup, n'était que leur homme-lige.<br />
3. La Confédération nationale du travail se réclamait de l'anarcho-syndicalisme. La Fédération anarchiste ibérique rassemblait des libertaires de toutes tendances. Cette dernière joua un rôle fondamental de gardienne de l'orthodoxie contre les tentations possibilistes d'une fraction de l'appareil cénétiste (réunie autour d'Angel Pestana.<br />
4. Sur le POUM, lire Victor Alba, <em>Histoire du POUM – Le marxisme en Espagne (1919-1939)</em>, Ivrea, 2000, 416 p. ; mais également G. Munis, <em>De la guerre civile espagnole à la rupture avec la Quatrième Internationale (1936-1948) – Textes politiques, Oeuvres choisies (Tome 1)</em>, Editions Ni patrie ni frontières, 2010, 402 p.<br />
5. Le titre original du livre de Bolloten est <em>The Grand camouflage.</em> Pour l'auteur, ce qu'il fallait camoufler c'était la dimension anti-capitaliste et libertaire du soulèvement ouvrier de juillet 1936. <br />
6. Bolloten s'attarde longuement sur la realpolitik britannique, autrement dit sur sa complaisance envers les volontés expansionnistes de l'Allemagne nazie à l'Est, le pari que celles-ci mèneraient à un affrontement majeur avec l'URSS ce dont les démocraties occidentales ne pourraient que profiter. <br />
7. Lire à ce propos l'incontournable et polémique travail de César M. Lorenzo, <em>Le mouvement anarchiste en Espagne – Pouvoir et révolution sociale</em>, Editions libertaires, 2006, 559 p. Ainsi que l'autobiographie du Camarade ministre : Juan Garcia Oliver, <em>L'écho des pas</em>, Le Coquelicot, 2014, 639 p.<br />
8. Lire Carlos Semprun Maura, <em>Révolution et contre-révolution en Catalogne – Socialistes, communistes, anarchistes et syndicalistes contre les collectivisations</em>, Les Nuits rouges, 2002, 335 p.<br /></p>Caracremadaurn:md5:fe5998598b3b8ad82a06c1606ee57d022013-10-05T22:18:00+01:00PatsyNotes de lectureAnarchismeGuerre d Espagne<p><strong>Thierry Guilabert</strong><br />
<em>Caracremada : vie et légendes du dernier guérillero catalan</em><br />
Editions libertaires, 2013.<br />
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En août 1963, dans un coin reculé de Catalogne, un homme meurt, liquidé par la Guardia civil. Cet homme s'appelle Ramon Vila Capdevila, mais tout le monde le connaît sous le nom de Caracremada, «face brûlée », depuis qu'un drame domestique l'a défiguré.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.guilabert-200x300_s.jpg" alt="guilabert-200x300.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="guilabert-200x300.jpg, sept. 2013" /><br />
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Depuis vingt-cinq ans, il fait partie de ces guérilleros insaisissables que la dictature espagnole désespère de garotter<strong>1</strong>. Caracremada est en fait le dernier d'entre eux. C'est à ce personnage énigmatique, légendaire que Thierry Guilabert consacre un livre intitulé Caracremada : vie et légendes du dernier guérillero catalan, livre publié par les Editions libertaires. Evocation plutôt que biographie tant on sait finalement peu de choses sur ce Catalan ascétique, né en 1908 dans un hameau accroché aux montagnes pyrénéennes.<br /></p>
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<p>A peine adolescent, Caracremada devient mineur. Il forge sa conscience de classe dans les galeries à silicose, fréquente la CNT, participe aux luttes sociales, connaît la prison. C'est la riposte prolétarienne au coup d'Etat militaire du Général Franco de juillet 1936 qui le fait sortir des geôles. Il rejoint bien évidemment les milices anarchistes, notamment la Colonne de fer, l'intransigeante colonne de Durutti. Vaincu, il passe la frontière, connaît les camps de concentration français, l'occupation allemande, rejoint la résistance dans le Limousin. Caracremada devient le Colonel Raymond dont on loue le courage.<br />
La guerre finie, Caracremada ne se résout pas à voir les démocraties bourgeoises pactiser avec la dictature franquiste au nom de l'anticommunisme. Alors, comme Sabaté et d'autres, il se fait passeur et guérillero. Il entre clandestinement en Espagne, apporte armes et argent à ceux qui luttent à l'intérieur, et au retour, plastique quelques pylônes électriques. La dictature, le monde entier, doivent savoir que la lutte continue.<br /></p>
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<p>Le temps passe. Nombreux sont ceux qui tombent sous les coups de la répression : celle des franquistes évidemment, et celle du gouvernement français qui ne tolère plus que les réfugiés espagnols se servent de la France comme d'une base arrière. Nombreux sont ceux qui renoncent à se battre les armes à la main car le combat est perdu d'avance : les gens sont fatigués de la guerre, les organisations trop divisées, le franquisme trop installé dans les têtes. Pas lui, pas Caracremada.<br />
En 1953, un couple de touristes britanniques est pris pour cibles par deux hommes. Dora Peck meurt, criblée de balles. Son époux, grièvement blessé, désigne deux hommes à la Guardia civil. Caracremada est l'un d'eux. Pourquoi cet assassinat inutile ? Nul ne le sait. Mais pour beaucoup, le guerillero devient alors un bandit, un assassin.<br /></p>
<p>Les militants de la CNT ont beau le harceler, rien n'y fait. Caracremada ne peut rendre les armes. Sa guerre n'est pas terminée. Il ne peut faire le deuil de son Espagne rouge et noire. Son destin, il le connaît : il trouvera la mort quelque part dans ses montagnes. En août 1963, son vœu est exaucé. Caracremada n'est plus. L'Espagne vient de perdre son dernier guérillero, ou du moins c'est ce qu'elle croît<strong>2</strong>.<br />
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<strong>Notes</strong> :
1. Le plus connu d'entre eux est Francisco « Quico » Sabaté : Antonio Teliez Sola, <em>Sabaté – Guerilla urbaine en Espagne (1945-1960)</em>, Ed. Repères-Silena, 1990.<br />
2. Lire à ce propos : Gurucharri et Ibanez, <em>Une résurgence anarchiste – Les jeunesses libertaires dans la lutte contre le franquisme (La FIJL dans les années 1960)</em>, Acratie, 2012.</p>D'une Espagne rouge et noireurn:md5:94868ff02ee06dab13c4a28c323091072010-05-31T21:37:00+01:00PatsyNotes de lectureAnarchismeGuerre d Espagne<p>Emission n°31 (juin 2010)<br />
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A contretemps, <em>D'une Espagne rouge et noire – Entretiens avec Diego Abad de Santillan, Felix Carrasquer, Juan Garcia Oliver, José Peirats</em>, Editions libertaires, 2009.<br /></p>
<p><em>A contretemps</em> est une revue de critique bibliographique et d'histoire du mouvement libertaire d'excellente facture née au début du présent siècle. C'est aussi une revue atypique qui a abandonné l'édition papier pour l'édition numérique, et s'abstient de toute contrainte puisqu'elle paraît « au gré des lectures, des envies et des circonstances ». En 2009, <em>A contretemps</em> s'est acoquiné aux Editions libertaires pour nous offrir un premier livre, excellent, intitulé <em>D'une Espagne rouge et noire</em>.</p> <p>Cet ouvrage rassemble des entretiens réalisés en 1976 et 1977 avec quatre militants anarchistes espagnols. Il y a là Diego Abad de Santillan, militant de la Fédération anarchiste ibérique partisan de l'unité antifasciste, Félix Carrasquer, l'éducationniste impliqué dans les collectivisations aragonaises, Juan Garcia Oliver, l'anarcho-syndicaliste intransigeant devenu ministre de la Justice, et José Peirats, opposé à la participation des anarchistes au gouvernement républicain.<br /></p>
<p>Pour beaucoup de libertaires, la Guerre d'Espagne a le goût, la saveur et la couleur de l'épopée. Il y a comme l'écrivent les animateurs d'A contretemps « le peuple en armes, le héros positif, le militant exemplaire et la femme libre ». La Révolution espagnole s'incarne dans l'image du prolétaire tenant à la main une vieille pétoire et s'en allant défier dans la ferveur populaire une armée professionnelle. Elle s'incarne dans l'image de l'ouvrier et du paysan abolissant le capitalisme et son argent, collectivisant terres, usines, restaurants et transports en commun au nom du communisme libertaire. Mythologie qui fait oublier que dans la tourmente, dans ce temps révolutionnaire et donc de tensions, des anarchistes étaient ministres quand d'autres mouraient au front. Mais l'on aurait à mon sens bien tort de voir dans les premiers des opportunistes, et dans les seconds, des anarchistes purs.<br /></p>
<p>En publiant ces quatre entretiens précédés de fort judicieuses biographies, <em>A contretemps</em> fournit aux lecteurs trois points de vue différents sur la dernière révolution politique et sociale du 20e siècle. Pour Diego Abad de Santillan, le rapport des forces national et la situation internationale imposent aux anarchistes le choix de l'union sacrée contre les franquistes et la réaction. Pour Juan Garcia Oliver, tout se joue en juillet 1936. En entrant au gouvernement, l'anarchisme ibérique se condamne : « Il n'y avait d'alternative que celle-là, explique-t-il : ou nous collaborions à un gouvernement sans le contrôler ou nous assumions la totalité des pouvoirs ». Garcia Oliver était partisan de la seconde solution, il fut pourtant ministre de la Justice à la demande de son organisation. Comme quoi, rien n'est simple... Pour José Peirats, la CNT devait refuser de participer au gouvernement, collectiviser terres et usines et s'imposer comme contre-pouvoir, idée que le vieil anarchiste italien, Errico Malatesta, exprimait comme suit : « La révolution, nous ne pouvons la faire seuls (...) Dans tous les cas, réclamer et exiger, même par la force, notre pleine autonomie et le droit et les moyens de nous organiser à notre manière pour expérimenter nos méthodes. » (« Graduelisme », in <em>Le Réveil</em> n°678 du 31 octobre 1925). <br /></p>
<p>Fallait-il participer au gouvernement républicain au nom de l'antifascisme ou y renoncer au nom de l'anticapitalisme ? Fallait-il imposer sa puissance numérique, évidente en Catalogne et en Aragon, au risque de se retrouver isolé ? Fallait-il liquider les staliniens avant qu'il ne nous liquide ? Fallait-il refuser la militarisation des milices ? Fallait-il refuser la guerre statique et privilégier le maquis ? <br />
Libre est le lecteur de se forger sa propre opinion, de refaire l'histoire si le coeur lui en dit, de choisir son camp, de vilipender les uns et d'honorer les autres, mais qu'il le fasse en ayant en mémoire ces mots de Louis Mercier-Vega : le militant anarchiste doit « apprendre à vivre et à agir au milieu d'une forêt de points d'interrogation, propagande doctrinale et situations de fait exigeant une perpétuelle remise au point. » (Louis Mercier-Vega, <em>L'increvable anarchisme</em>, Spartacus, 1988.)</p>Victor Serge, Retour à l'Ouest (1936-1940)urn:md5:063109abd014b6f6a87044657878e64a2010-05-25T12:40:00+01:00PatsyNotes de lectureCommunismeDémocratie bourgeoiseGuerre d EspagneStalinisme<p><strong>Emission n°30 (mai 2010)</strong><br />
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Victor Serge, <em>Retour à l'Ouest – Chroniques (juin 1936-1940)</em>, Agone, 2010.<br />
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Au printemps 1936, Victor Serge, expulsé d'URSS, trouve refuge en Belgique. Un journal syndical, <em>La Wallonie</em> (Liège), lui ouvre ses colonnes alors qu'en France, la presse du Front populaire, dominée par les staliniens et leurs compagnons de route, refuse sa collaboration. Chaque semaine et durant quatre ans, Victor Serge va lui fournir une chronique. 93 d'entre elles ont été rassemblées dans un volume intitulé <em>Retour à l'Ouest</em>, publié ce printemps par les éditions Agone.</p> <p>Victor Serge n'est pas un théoricien, mais comme il le dit lui-même en ouverture de sa première chronique, un « écrivain militant ». Son arme, c'est la plume. Ses sources d'inspiration, sa vie mouvementée, ballottée, inscrite dans les combats politiques et sociaux dans lesquels il s'est impliqué depuis trente ans. Pas de textes théoriques donc, mais un ensemble de réactions à l'actualité. Et des portraits.
Portraits de ceux, célèbres ou anonymes, qui sont morts en changeant le monde ou que la contre-révolution stalinienne, bourgeoise ou fasciste s'est chargée d'éliminer. Il évoque le syndicaliste espagnol Angel Pestana, l'anarchiste italien Francesco Ghezzi déporté par Staline, l'antifasciste Carlo Rosselli réfugié en France et liquidé par l'extrême-droite, l'écrivain russe Boris Pilniak tombé en disgrâce, Edouard Berth, l'ami de Georges Sorel, le communiste Antonio Gramsci, mort en déportation, ou encore Léon Sedov, fils de Léon Trotsky. <br /></p>
<p>Portraits touchants, sensibles, jamais vindicatifs alors que Victor Serge aurait pu vilipender le vieux Gorki, anti-bolchevik en 1917 et serviteur de la cause stalinienne à la fin des années 1920. Mais il sait comment fonctionne la machine stalinienne et il connaît l'univers mental des milieux bolcheviks. Sur Gorki, il écrit : « Il finissait sa vie dans une sorte de rêve éveillé (...) <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/05/25/son" title="son">son</a> visage exprimait je ne sais quel dessèchement intérieur, une foi désespérément volontaire, une force presque élémentaire née de la douleur. » Et quand il évoque les grands procès de 1936-1937 qui conduisirent au bûcher tant de vieux bolcheviks de la première heure, ces procès incroyables où l'on vît les coupables s'accabler des pires maux, se baptiser fascistes, espions impérialistes, saboteurs et comploteurs ; quand il évoque ces procès donc, il explique la logique poussant ces révolutionnaires intransigeants à passer de tels aveux. Par peur ou lâcheté ? Non, « par dévouement et par calcul (...) Il s'agit pour eux de se donner à ce prix une faible chance de survivre. Un jour peut-être, la révolution aura autrement besoin d'eux, non plus pour les avilir et supplier, mais pour leur donner l'occasion tant attendue de racheter leurs pires palinodies (...) A quoi leur servirait-il d'être héroïques et dignes pour disparaître dans des ténèbres totales. »<br /></p>
<p>Héroïsme et dignité. Héroïsme des antifascistes espagnols luttant avec leur armement de bric et de broc contre Franco. Victor Serge suit avec passion la guerre d'Espagne. Il parle de la lâcheté des bourgeoisies occidentales qui se refuse à soutenir la République en danger alors que le camp des séditieux peut compter sur l'aide allemande et italienne. Il condamne également la politique stalinienne, celle qui s'oppose au processus révolutionnaire en défendant la propriété privée, celle qui règle ses comptes violemment avec les anarchistes et les "trotskystes" du POUM. <br /></p>
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<p>Et il y a la guerre. Victor Serge s'accroche à l'idée que démocraties bourgeoises et Etats totalitaires, par instinct de survie, ne s'affronteront pas, trouveront un modus vivendi sur le dos des peuples. Par devoir sans doute plus que par conviction, Victor Serge s'accroche à l'idée que les classes ouvrières occidentales non encore défaites, comme le prolétariat français qui s'est illustré en 1936 en occupant les usines, sauront trouver la voie de l'unité à la base et que le mirage soviétique cessera d'aveugler les communistes sincères qui les composent. Il espère qu'elles seront en mesure alors d'imposer un nouveau compromis social à leur bourgeoisie, même s'il sait qu'entre Révolution et Réaction, la tentation est grande pour les bourgeoisies nationales de choisir l'Ordre. Hitler et Mussolini n'ont-ils pas « reçu le pouvoir » des mains des classes dominantes plus qu'ils ne l'ont conquis ? <br /></p>
<p>Le 7 mai 1940, trois jours avant que les armées allemandes n’envahissent le pays, La Wallonie publie la dernière chronique de Victor Serge. Une chronique qui parle des soldats russes occupant la Pologne, découvrant un pays qui ne connaît pas comme l'URSS la pénurie des biens de consommation et l’absence de pluralisme politique. Alors qu'il est minuit dans le siècle, Victor Serge fonde de grands espoirs sur la capacité de ces hommes, idéalistes, à comprendre que le stalinisme est un système reposant sur la répression et le mensonge, un système qui les trompe mais n’est pas encore parvenu « à les aveugler. » Volontariste, Victor Serge, à sa façon, oeuvrait à déciller les yeux de ses contemporains, persuadé qu’« aucun péril, aucune amertume ne justifient le désespoir – car la vie continue et elle aura le dernier mot. »</p>