Le Monde comme il va - Tag - EcologieLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearDes bonobos et des hommesurn:md5:8946659789707e3d0e45cace843517942014-12-19T14:34:00+00:00PatsyNotes de lectureAfriqueEcologie<p><strong>Deni Béchard</strong><br />
<em>Des bonobos et des hommes - Voyage au coeur du Congo</em><br />
Ecosociété, 2014<br />
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Avec son imposant Congo<strong>1</strong>, David Van Reybrouck nous plongeait dans le chaos congolais, et le lecteur en ressortait bouleversé par tant de malheurs, impressionné par la capacité des habitants à se maintenir en vie malgré le tumulte, mais surtout effrayé à l'idée qu'aucun destin autre que misérable ne puisse sortir de ce sol si fécond et si convoité.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/Bechard.jpg" alt="Bechard.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Bechard.jpg, déc. 2014" /><br /><br />
Deni Béchard nous montre un autre Congo. Il ne nie évidemment pas les violences, coloniales et post-coloniales, les guerres à répétition, les politiques prédatrices de tous les acteurs, la corruption omniprésente et cette misère effroyable qui frappe l'essentiel des Congolais. Mais Deni Béchard nous dit aussi qu'il y a des raisons d'espérer, que le pays est en plein bouleversement depuis que la Chine s'y est impliquée, et que ce frémissement peut se faire sentir jusqu'au fin fond de la forêt équatoriale. C'est là que vivent les bonobos, ces grands singes pacifiques devenus célèbres pour leur façon de désamorcer les conflits sociaux par le truchement de la sexualité. Déni Béchard, fasciné par ces « hippies de la forêt », est allé à leur rencontre en se mettant dans les pas d'une poignée de conservationnistes irréductibles, créateurs d'une ONG appelée Bonobo Conservation Initiative (BCI). <br /></p>
<p>Il délivre de belles pages sur ces bonobos aux comportements si touchants et fragiles. Il se plaît à espérer que les bipèdes que nous sommes comprennent qu'ils ont plus à gagner à prendre exemple sur leur pacifisme foncier que sur l'esprit grégaire et violent des chimpanzés avec qui on les a souvent comparés.<br />
Il nous décrit un monde d'ONG auto-centrées, paternalistes et néo-coloniales, toujours en quête de fonds pour vivre et faire vivre une bureaucratie pléthorique<strong>2 </strong>. Rien de tel avec BCI qui a mis les populations congolaises au coeur de son projet de sauvegarde des bonobos, pour en faire les véritables gestionnaires des réserves, c'est-à-dire des espaces ouverts et non clos comme le sont les grands parcs. BCI a investi dans l'humain, autrement dit a pris le temps de convaincre les populations locales qu'elles trouveraient avantage à protéger les bonobos plutôt qu'à les tuer pour leur viande, alors même que leur survie est en jeu chaque jour.<br />
Ce travail nécessite beaucoup de pragmatisme car les militants, congolais et étrangers, du BCI ont compris que pendant trop longtemps les habitants ont été bernés, floués, humiliés par des mundele<strong>3</strong> arrogants, que les Anciens des villages sont des « mines de savoir » et donc des appuis indispensables aux projets de conservation, que les cadres politiques sont tout aussi indispensables tant leur pouvoir de nuisance peut être important ; BCI a décidé de faire avec les habitants et de faire en sorte que les « gens ne se sentent pas moins précieux que les animaux à protéger ». Pragmatiques encore quand ils tablent sur le développement de l'écotourisme comme moteur d'un développement local qui serait moins dévastateur que les plantations d'huile de palme ou de café.<br /></p>
<p><em>Des bonobos et des hommes</em> est un vibrant plaidoyer pour une protection de l'environnement construite et pensée aussi bien par les scientifiques/activistes que par les populations locales ; et les dizaines de Congolais investis dans ce combat attestent que Sally Jewel Coxe, l'âme infatigable de BCI, a rempli sa mission : elle n'est plus indispensable à la défense des bonobos.<br />
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<strong>Notes</strong><br />
<strong>1.</strong> David Van Reybrouck, <em>Congo – Une histoire</em>, Actes Sud, 2012.<br />
<strong>2.</strong> Citant BCI, il écrit : « « Ce ne sont ni les ministères, ni les fonctionnaires corrompus, ni l'infrastructure en ruine qui posent les pires difficultés pour le travail de conservation entrepris par BCI et ses partenaires, mais bien les ONG rivales », notamment les « grandes ONG de conservation débarquées au Congo ».<br /></p>Xavier Montanya, L'or noir du Nigeriaurn:md5:d662e8ac202c1416ffd1f53758ea54a02012-09-14T22:13:00+01:00PatsyNotes de lectureAfriqueCapitalismeEcologie<p><strong>Xavier Montanya</strong><br />
<em>L'or noir du Nigeria – Pillages, ravages écologiques et résistances</em><br />
Agone, 2012<br />
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Tous les géants n'ont pas les pieds d'argile. Le Nigeria est un géant d'Afrique dont on a cent fois prédit l'implosion<strong>1</strong>. Pourtant cet Etat fédéral tient. Il tient par la corruption, la violence, le clientélisme, en joint-venture avec quelques multinationales, véritables Etats dans l'Etat.<br />
Xavier Montanya, journaliste catalan auteur d'un excellent livre sur la résistance chilienne<strong>2</strong>, a enquêté cinq années durant au pays du <em>light sweet crude oil</em><strong>3</strong>, et prouve encore une fois que le pétrole, cette « merde du diable », ne fait pas le bonheur<strong>4</strong>.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Montanya_s.jpg" alt="Montanya.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Montanya.jpg, sept. 2012" /><br />
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Bienvenue dans le delta du Niger, là où il fait toujours clair puisqu'on y fait brûler le gaz 24 heures sur 24 au mépris de la santé humaine, là où l'on patauge dans l'or noir du fait des déversements « accidentels » ou criminels<strong>5</strong>. Ici règnent les multinationales et leurs hommes de main, ces compagnies de sécurité privée formés de mercenaires et d'anciens militaires qui assistent les forces armées gouvernementales dans le maintien de l'ordre. Car de l'ordre il en faut pour contenir une population qui n'en peut plus, refuse de crever sur place sans rien dire et trouve à l'occasion le chemin de la révolte pour clamer son droit à vivre en sécurité. En réponse, le gouvernement liquide des opposants, comme Ken Saro-Wiwa<strong>6</strong>, en emprisonne d'autres, en achète aussi, à l'occasion. L'impunité est totale. Et si cela ne suffit pas, les sectes évangéliques qui pullulent sur le désespoir et la misère sont là pour vendre du rêve et de la soumission. On en compte des dizaines. La religion est un business comme un autre...<br /></p>
<p>Le delta du Niger est une zone de guerre où s'affrontent armée fédérale et bandes armées, où sévissent milices privées (liées notamment à des politiciens locaux), pirates et groupes criminels ; c'est une zone de non-droit où l'Etat central et les grandes compagnies essaient de monter les communautés les unes contre les autres pour assurer leur hégémonie. Et ils ne manquent pas d'alliés. En 2009, François Fillon avait proposé que la France assure « la formation d'unités nigérianes » pour les rendre plus opératoires sur le terrain ; et d'autres, comme Zapatero et Medvedev, lui ont emboîté le pas. La « défense des intérêts de la Françafrique » méritent bien quelques cadavres, non ?<br />
Le delta du Niger, terre de mangroves, est une zone écologiquement saccagée dont les eaux et les terres arables sont souillées, et pour longtemps. Shell (dont les installations occupent la moitié de la surface du delta) et consorts entendent maximiser leurs profits et n'ont que faire de sauvegarder un écosystème fragile. Après eux, le déluge.<br /></p>
<p>« Cette merde a tout barbouillé, jusqu'au plus profond de l'âme ». Voilà ce qu'a dit à Xavier Montanya, un vieux pêcheur de Goi, un village sinistré par une marée noire « accidentelle ». <br />
A l'heure où la multinationale anglo-hollandaise, chassée du pays ogoni par la mobilisation populaire, tente de se refaire une virginité<strong>7</strong>, préalable à son retour sur ce territoire, il est plus que nécessaire de lire ce livre. Car, malgré la violence et la répression (le quart du budget de l'Etat fédéral est consacré à la « sécurité »), les jeux politiciens et l'instrumentalisation des questions « ethniques » et « religieuses », des hommes et des femmes continuent à se battre, sans relâche, pour sauver ce qui peut l'être encore de leur delta... <br />
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<strong>Notes</strong> :<br />
1. Le nord du pays, où se font face chrétiens et musulmans, s'enflamme périodiquement. Dans le delta, zone pétrolière de premier plan, les conflits socio-politiques (qu'on qualifie trop facilement d'« ethniques ») sont légion.<br />
2. <a href="http://atheles.org/agone/memoiressociales/lesderniersexilesdepinochet/">''Les derniers exilés de Pinochet''</a>, Agone, 2009.<br />
3. Autrement dit, le Nigeria regorge d'un pétrole brut et léger très recherché par les multinationales car plus facile à travailler que d'autres.<br />
4. Lire à ce propos, Luis Martinez, <em>Violence de la rente pétrolière – Algérie, Irak, Libye</em>, Presses de Sciences Po, 2010.<br />
5. Le <em>gas flaring</em> (rejet du gaz brûlé dans l'atmosphère) est interdit depuis 1984 (sauf autorisation ministérielle) mais il se pratique systématiquement ici. Les déversements accidentels sont liés à des sabotages (qui alimentent le marché parallèle), mais tout aussi souvent à l'absence d'entretien des oléoducs et au peu d'intérêt (énorme euphémisme !) porté par les multinationales aux questions d'environnement.<br />
6. Lire Ken Saro-Wiwa, <em>Si je suis encore en vie... - Journal de détention</em>, Stock, 1996. Ken Saro-Wiwa a été pendu avec huit autres militants ogonis le 10 novembre 1995. Militant non-violent, il était accusé d'avoir fait tuer quatre politiciens ogonis proches de Shell.<br />
7. Pour éviter un procès public aux Etats-Unis, Shell a proposé en 2010 de verser 15 millions de dollars aux familles des neuf victimes. Celles-ci ont accepté...<br />
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<strong>Cette note a paru dans le n°227 (février 2013) de Courant alternatif</strong></p>Ethanol, Brésil, football…urn:md5:8c988eba43425cba1effb59c3e40efa42010-04-27T21:53:00+01:00PatsyQuestion socialeAgricultureBrésilCapitalismeEcologie<p><strong>Emission n°27 (avril 2010)</strong><br /></p>
<p>Rappelez-vous. Il y a quatre ou cinq ans, alors que le prix du baril atteignait des sommets et que des experts annonçaient la fin programmée des réserves pétrolières à l’horizon 2040 ou 2050, des voix s’élevaient pour nous rappeler que la nature était bien faite, et qu’avec de la canne à sucre, on pouvait faire de l’éthanol ! <br />
L’éthanol, c’est la grande affaire du Brésil...</p> <p>Le géant latino-américain est un précurseur dans ce domaine puisque cela fait plus de trente ans, avec des hauts et des bas, qu’il produit du « pétrole vert ». Le géant latino-américain est aussi l’une des places fortes de l’agrobusiness mondial : c’est un gros exportateur de café, de soja, de canne de sucre, mais aussi un pays pauvre qui a su développer un complexe agro-industriel performant ; en d’autres termes, il ne se contente pas d’exporter de la matière première, il la transforme également sur place, ce qui est beaucoup plus rémunérateur. Le géant latino-américain est enfin un pays dirigé par un homme issu du mouvement ouvrier, le célèbre Lula, donc il a une image de pays gouverné par la « gauche », soucieuse des intérêts des dominés.<br /></p>
<p>Mais on peut être « de gauche » et productiviste, « de gauche » et développementaliste, « de gauche » et nationaliste. Lapalissades ? Je sais.<br />
La preuve nous en est encore une fois apportée avec l’éthanol. Pour le gouvernement Lula, le développement des terres destinées à la production de cannes à sucre, elles-mêmes destinées à finir en éthanol n’occupent que des terres déjà « dégradées ». On ne sait pas très bien ce que recouvre cette notion de « dégradées », mais on perçoit en revanche ce que cela veut dire : il est moins grave de dégrader ce qui est déjà dégradé…
Sauf que sur le terrain, il s’avère que l’expansion de la monoculture de canne à sucre pour la production d’éthanol s’empare désormais de certaines des meilleures terres agricoles du Brésil, comme celles du Cerrado, une zone de savane bordant l’Amazonie. Du coup, la biodiversité en prend un coup, puisque pour faire de la canne à sucre, il faut couper les arbres qui occupent le terrain. Couper ou brûler. Car dans ce Far west si loin des yeux de l’Etat central, on ne s’embarrasse pas. La forêt primaire et ses essences si rares, on la coupe, on la brûle pour faire place nette.<br /></p>
<p>Ensuite, comme cette production nécessite beaucoup d’eau, il est de coutume de détourner les rivières ou, plus simplement, de s’implanter en bordure d’elles. Quant aux rejets... ils sont rejetés, souvent tels quels, ce qui provoque, outre la pollution, quelques maladies chez les gueux qui ont le malheur de s’en servir pour leur alimentation. <br /></p>
<p>Le groupe multinational Louis-Dreyfus est bien connu au Brésil pour sa contribution au développement capitaliste national. Si vous allez sur Wikipedia, vous pourrez y lire ceci : « Le groupe Louis Dreyfus détient une participation dans LDC SEV, le 2ème producteur mondial de sucre et d’éthanol à base de canne. A ce titre, il est amené à employer plusieurs milliers d’ouvriers agricoles, de manière permanente et saisonnière. Le groupe Louis Dreyfus porte une attention particulière au respect du droit du travail brésilien et aux conditions de travail et de vie de ses employés. Le développement de programmes de responsabilité sociale accompagne naturellement le développement du groupe dans la région. Un rapport social publié chaque année témoigne des préoccupations du groupe pour le développement social et économique aux seins des communautés brésiliennes, particulièrement dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'environnement. » C’est beau, non ? Evidemment, Dario Paulineli, secrétaire de l’agriculture et de l’environnement de la ville de Luz, dans le sud du pays, a un point de vue plus pondéré, soulignant que le groupe Louis Dreyfus « a multiplié les contrats de location avec les fermiers locaux, et les conséquences environnementales sont considérables. Les exploitants répandent leurs pesticides par avion, poisons qui atteignent les fermes voisines, ainsi que les zones peuplées. Ils coupent des arbres pourtant protégées par la loi (…) et ils plantent de la canne près des sources des fleuves. » <br /></p>
<p>Bref, ce développement des terres destinées à la production d’éthanol comporte donc bien des inconvénients en terme d’environnement et de santé publique.<br /></p>
<p>Heureusement, cela crée de l’emploi. Vous êtes un petit paysan, propriétaire d’un terrain et qui tire le diable par la queue ? Vous n’avez qu’à signer un contrat avec une multinationale ! Vous lui louez votre terre et vous touchez un loyer, une rente ! Le premier problème est que bien souvent, après le bail, votre terre ne vaut plus rien : trop de pesticides, trop de ceci, trop de cela – une multinationale comme Louis-Dreyfus vous rendra une terre morte. Second problème : les terres consacrées à l’agriculture vivrière régresse, et en conséquence, les prix des denrées de première nécessité grimpent !<br /></p>
<p>Vous pouvez également vous transformer en ouvrier agricole à la saison de la coupe de la canne. Ceci est réservé aux plus pauvres des plus pauvres… et ils sont légion dans le Brésil rural. Car ce qui attend ces hommes, c’est l’esclavage, un travail de forçat. Un travail littéralement exténuant, accompli dans des conditions inacceptables, le tout pour un salaire de misère. Car les coupeurs de canne ne sont pas payés à l’heure mais à la quantité produite. Dans l’Etat de Sao Paulo, « les ouvriers reçoivent 1,2 $ par tonne de canne coupée et entassée. Pour gagner 220$ par mois, ils doivent couper une moyenne de dix tonnes de canne par jour ! » Ironie du sort : la canne à sucre OGM, plus riche en saccharose, est également plus légère que la canne traditionnelle. Il faut donc en couper davantage pour gagner son pain. La multinationale, elle, gagne sur les deux tableaux.<br /></p>
<p>Au soir du 15 mai prochain, nous saurons qui de Marseille, Lyon, Auxerre, Lille ou trifouillis-les-Oies sera champion de France de Football. A l’heure où je vous parle, l’OM et ses supporters survoltés sont bien accrochés à leur fauteuil de leader. Et tous les Marseillais s’accordent à dire que si l’OM est champion cette année, il le doit à un homme qui, durant des années, a investi son argent dans le club et l’a restructuré. Un homme qui est décédé en juillet dernier. Un homme qui s’appelait Robert-Louis Dreyfus et qui était devenu en 2006 le dirigeant et premier actionnaire du groupe Louis-Dreyfus. Alors, ne vous étonnez pas de la virtuosité technique des footballeurs marseillais : il y a du sang brésilien qui coule dans leurs veines…</p>Ecologie light post-moderneurn:md5:daf6fe2f5f045f9bb3c4136d61f40b9a2010-03-02T20:25:00+00:00PatsySociétéEcologie<p><strong>Emission n°21 (mars 2010)</strong><br />
Elle s'appelle Maïtena Biraben, elle est journaliste sur Canal+, chaîne sur laquelle elle anime une émission matinale qui doit parler de choses extrêmement importantes voire même absolument indispensables à notre bien-être intellectuel. Que vous la connaissiez ou pas n'a à vrai dire pas grand intérêt.</p> <p>Dans un journal à destination du public féminin, deux journalistes nous offrent le portrait de cette Maïtena Biraben, une « présentatrice sans chichis » pour qui, je les cite : « La « green » attitude, c'est plus qu'un réflexe : une seconde nature ». D'ailleurs, pour nos deux journalistes d'investigation, elle est la « présentatrice la plus green du PAF ». <br />
Maïtena avoue : elle accuse quelques kilos de trop, rame pour s'en débarrasser et s'en plaint comme il se doit quand on est une femme moderne et dynamique. Car que deviendrait la presse féminine et ses suppléments "Retrouvez sa ligne avant l'été !", "Vais-je rentrer dans mon bikini ?" et "Mangez bien, tout en maigrissant" si les femmes médiatiques rejetaient l'impéritif de "maigritude" qu'on impose au sexe dit faible ? Cette presse-là mourrait, tout simplement, et provoquerait du chômage chez les bûcherons, les imprimeurs, les buralistes et, ce qui est un moindre mal voire une bénédiction, chez les publicitaires.<br /></p>
<p>Mais ce n'est pas de l'embonpoint tout relatif de Maïtena Biraben dont j'ai envie de vous parler ce soir. Dans cet article que j'imagine brillant, informatif et d'une grande audace conceptuelle, mon attention a été retenue par un simple paragraphe. Vous m'excuserez, j'imagine, assez vite de ne pas avoir poussé plus loin la lecture, ni même de mettre penché sur les articles relatifs à la crème anti-rides bio, les lampes basse conso qu'il conviendrait peut-être de boycotter, voire d'avoir dédaigné la possibilité de m'offrir un lifting aux antioxydants, quoi qu'un lifting perpétré par Al-Qaïda doit être assez radical. Mais laissons-là les jeux de mots oiseux.<br />
Bref, ce paragraphe, je le livre séance tenante à votre sagacité légendaire : « Tout comme nous, elle est écolo. Prendre l'avion pour aller faire de la plongée sous-marine lui fend le coeur. Mais elle n'y résiste pas. Et compense en ne prenant jamais de bain. Mais pas question de culpabiliser ni de tout repeindre en vert. »<br /></p>
<p>N'est-ce pas merveilleux ? Voici quelqu'un qui se douche afin d'équilibrer son fichu bilan carbone ! Voici quelqu'un qui me ressemble, puisque pour équilibrer mon bilan carbone, pas très déficitaire puisque je n'ai pas les moyens ni le temps de voyager, je ne tire la chasse d'eau qu'en fin de journée ! La qualité olfactive de mes toilettes s'en ressentent, certes, mais que ne ferais-je pour sauver la planète !<br />
Au Moyen-âge, bourgeois et nobles achetaient auprès de l'église des Indulgences afin de s'assurer une place au Paradis ou, plus précisément, de s'éviter quelques années de purgatoire. Comme le disait si bien le prêtre dominicain Johann Tetzel il y a fort longtemps : « Aussitôt que l'argent tinte dans la caisse, l'âme s'envole du purgatoire. » Aujourd'hui, on ne craînt plus l'enfer, le purgatoire, le Jugement dernier, la colère de Dieu. Aujourd'hui, on se douche, si possible à l'eau froide, si possible avec de l'eau de pluie, et surtout, « pas question de culpabiliser » ! Ca, c'est fondamental : il ne faut pas que nos actions au quotidien nous tourmentent. Car parviendrait-on à vivre, c'est-à-dire à travailler et consommer, si cela devait nous conduire, chaque jour, à un examen de conscience ? Doit-on arrêter de fumer du kif marocain au motif que cela enrichit les mafieux locaux liés au pouvoir politico-militaire du royaume chérifien ? Doit-on cesser de faire du tourisme dans quelques pays soumis à la dictature au motif que cette manne économique permet aux dits pouvoirs de se maintenir en place ? Doit-on cesser de voter au motif que le grand cirque électoral légitime les oligarchies politiques en place, et celles qui rêvent de leur succéder ?<br /></p>
<p>Maïtena Biraben incarne à merveille cette bourgeoisie bohème, cette classe moyenne supérieure et hédoniste qui se gorge de mots et n'en fait qu'à sa tête ; une classe moyenne qui trie ses déchets, mange bio, commerce équitablement, et s'envole pour les Caraïbes au printemps pour recharger ses batteries, se gaver de soleil en buvant un ti-punch ou faire plouf dans une eau à 30° histoire d'admirer les poissons multicolores. Ceci est une preuve de goût : les fonds marins sont en effet plus paradisiaques que les bas-fonds urbains entourant les complexes hôteliers... Elle en perçoit la contradiction mais elle n'en tire pas de conséquences : parce qu'il ne faut pas se prendre la tête, parce qu'il ne faut pas culpabiliser, parce qu'on a qu'une vie, parce qu'on l'a bien mérité, en tout cas davantage que ces foutus classes populaires qui ne trient pas leurs déchets, qui mangent gras dans des fast-food et se vautrent dans des loisirs vulgaires. <br /></p>
<p>Toute proportion gardée, Maïtena Biraben me fait penser à tous ces multimillionnaires qui ont réussi dans les affaires, ont multiplié les filiales dans les pays pauvres parce que le coût du travail y est le plus intéressant, ont confié leur argent à des petits génies de la spéculation, et qui, peut-être pour sauver leur âme, montent des fondations pour aider les petits enfants qui souffrent de la faim parce que leurs parents ont des salaires de misère, pour aider les petits enfants qui souffrent de maladies parce que les lobbies pharmaceutiques font la guerre aux médicaments génériques, parce que le pauvre est encore moins rentable quand il a le sida ou la tuberculose. Comme l'écrit Nicolas Guilhot, « investir dans la philanthropie est d'autant plus rentable que le mécénat, l'événement charitable, le patronage des arts mais aussi le soutien apporté aux nobles causes font partie de l'habitus des dominants. » (Financiers, philanthropes – Vocations éthiques et reproduction du capital à Wall Street depuis 1970, Raisons d'agir, 2004). <br />
Maïtena Biraben me fait enfin penser à tous ces artistes en vogue qui viennent chanter une fois l'an que la misère c'est pas bien, que l'on a plus le droit ni d'avoir froid, ni d'avoir faim, et qui, le devoir accompli, et en toute bonne conscience, s'en vont dormir dans un hôtel de luxe après un dernier verre de champagne. Les enfoirés ont du coeur, c'est sûr, et c'est plus rentable qu'une éthique.</p>