Le Monde comme il va - Tag - Démocratie bourgeoiseLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016Dotclear"Quitte à choisir…"urn:md5:8965f588f20dd795f3d836d16ac61c7e2014-11-11T19:45:00+00:00PatsyActualité internationaleBrésilDémocratie bourgeoiseTunisieUkraine<p><strong>Chronique (novembre 2014)</strong><br />
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A ma gauche, un oligarque au regard plutôt tourné vers l'Ouest, autrement dit l'Occident ; à ma droite, un oligarque au regard plutôt tourné vers le Nord, autrement dit vers Moscou. Telle pourrait être somme toute un résumé assez simple de la situation passée et présente de l'Ukraine, le pays où jadis existât une révolution orange.<br />
Pauvre Ukraine. Depuis le début des années 1990, son calvaire continue. La nomenklatura soviétique s'est muée en caste néolibérale affairiste, et une terre sous le joug du capitalisme d’État s'est transformée en Far west pour kleptomanes avertis, autrement dit issu du sérail.<br /><br /></p> <p>Rappelez-vous le trio comique des années 1990-2000 : Yanukovitch, Iouchtchenko, Timochenko. A se battre comme des chiffonniers pour le pouvoir, à s'allier, se quereller, se trahir, s'embrasser et à faire des affaires toujours. Car la constance est bien là : dans la capacité à tirer le maximum de sa position au coeur du jeu politicien. Oligarques ou porte-flingues des oligarques, manipulant la rue, les médias, la détresse sociale à grands coups de déclarations nationalistes fétides. Il fallait bien qu'un jour cela explose vraiment…<br />
Certains voudraient que l'on choisisse son camps. Celui des pro-occidentaux qui, malgré leurs défauts, formeraient un rempart devant l'impérialisme arrogant grand-russe. Celui des pro-russes qui, malgré leurs défauts, formeraient un rempart devant l'impérialisme arrogant des Etats-Unis, autrement dit de l'OTAN. Je pourrais répondre comme Arlette Laguiller en son temps, que mon camps reste celui des travailleurs. Mais lesquels ? Les mineurs russophiles du Donbass qui servent de masse de manœuvre aux pro-russes ? Ou les travailleurs de l'Ouest qui n'ont guère envie de retomber sous la férule moscovite ? Car la grande force du nationalisme réside bien dans sa capacité à abolir la fragmentation sociale, ou plutôt à absorber la différenciation sociale, à l'englober dans un « grand Tout » national. Il ne sert à rien de choisir son camp car l'oligarque est versatile : il n'a pas la morale comme boussole mais son intérêt personnel. On ne peut comprendre la situation actuelle en Ukraine sans voir dans les oscillations des acteurs politiques leur volonté de s'affranchir de leurs tutelles respectives. Ce ne sont pas de simples marionnettes, mais des ambitieux qui jouent leur partition et jouent de leur satellisation.<br /></p>
<p>Et que dire des élections tunisiennes et de la victoire de la coalition Nida Tounes devant Ennahda ? Nida Tounes n'est qu'un assemblage hétéroclite de politiciens véreux d'hier et d'ambitieux d'aujourd'hui qui ne sont d'accord que sur deux choses : Ennahda a beau être libéral, son rigorisme religieux est un frein au développement économique national ; nous saurons mieux gérés qu'Ennahda la place de la Tunisie dans la division internationale du travail (tourisme low-cost, activités de services low-cost et misère sociale pour les autres). Ennahda va se faire une petite cure d'opposition, à moins que véreux et ambitieux en se déchirant tout de suite ne provoquent des alliances qu'on pensaient contre-nature qui la réintroduiraient dans le jeu.<br /></p>
<p>Et je m'en voudrais de ne pas dire deux mots sur les élections brésiliennes qui ont certes portées de nouveau à la présidence Dilma Roussef, mais ont surtout souligné la montée en force des partis des classes moyennes réactionnaires et puritaines ; des classes moyennes que le ralentissement économique inquiète, qui craignent de tomber de leur fragile piédestal, et qui verraient d'un bon œil que le gouvernement cogne plus fort sur les pauvres indociles des favelas. Le Parti des travailleurs, sorte de gauche libérale pro-business, domine encore le paysage politique, mais la droite est en train de se recomposer en s'appuyant sur des discours de plus en plus inquiétants qui rappellent le temps de la dictature militaire dont l'étendard était : Ordem e progresso (Ordre et progrès).<br /></p>
<p>Les classes populaires le savent bien : elles n'ont pas grand-chose à attendre de ceux qui prétendent parler en leur nom. Elles le savent si bien qu'elles désertent, plus que nulle autre classe sociale, le champ de la compétition électorale. L'inconvénient est que la désertion ne règle en rien leurs problèmes.<br />
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<img src="http://patsy.blog.free.fr/public/workers-of-the-world-unite.jpg" alt="workers-of-the-world-unite.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="workers-of-the-world-unite.jpg, nov. 2014" /></p>La Démocratie et ses mirages (1)urn:md5:4b58695f5bea27e9eb9a495f0f144e8d2012-10-30T15:30:00+00:00PatsyQuestion socialeChineCubaDémocratie bourgeoise<p><strong>Octobre 2012</strong><br />
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<strong>Cuba</strong> <br />
José Mujica est un homme à part. Président de l'Uruguay depuis 2010, l'ancien guerillero vit dans une maison modeste, reverse 90 % de son salaire à des organismes sociaux et se fout comme d'une guigne de l'argent et des Rolex. Tout récemment, il s'est blessé au visage alors qu'il aidait son voisin à réparer son toit. Bref, Mujica est un humble, un homme simple.<br /></p> <p>Yoani Sanchez est une intellectuelle cubaine, opposante au régime en place. Sur son blog, elle s'est saisie de cette mésaventure pour stigmatiser l'élite politique cubaine : « Ceux qui nous gouvernent n'ont pour ainsi dire aucune expérience des problèmes qui sapent notre quotidien (…) Ils ne peuvent pas nous gouverner, puisqu'ils ne nous connaissent pas (…) Cela fait trop longtemps qu'ils sont perdus dans un monde de privilèges, de confort et de luxe en tout genre. »<br />
Les dirigeants cubains ne connaissent donc pas plus la faim que les logements insalubres, les bus bondés et les routes défoncées. Ils ont donc plusieurs points communs avec les élites politiques des pays dit démocratiques, mais je ne sais si Yoani Sanchez en est elle-même convaincue...<br />
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<strong>Chine</strong><br />
A l'approche du 18e congrès du Parti communiste chinois, les règlements de comptes se multiplient. Bo Xilai vient d'en faire les frais. Ce notable, membre du bureau politique et homme d'affaires richissime, vient d'en faire les frais. Il faut dire que l'affaire est grave : sa femme est accusée de meurtre, son bras droit de malversations diverses et lui-même, de trafic d'influence et de corruption. L'affaire est d'autant plus grave que Bo Xilai s'était forgé une solide réputation... d'incorruptible !<br />
Dans <em>Caixin Wang</em>, journal pékinois, la journaliste Hu Shuli intervient de façon très intéressante sur cette affaire, écrivant : « Il est indispensable d'approfondir les réformes tous azimuths, en particulier celle du système politique. » Elle souligne que l'affaire Bo Xilai est un produit du système où l'insertion dans les rouages de l'Etat (dans le cas de Bo Xilai, à un haut niveau) est un moyen de faire des affaires, de détourner des fonds, de se constituer une clientèle, et ce en toute impunité quand sa position dans le parti fait que l'on a la main sur les services de police. Bref, elle plaide pour « diminuer les ingérences de l'administration dans la vie économique » et, ce faisant, elle glisse une phrase d'une grande ingénuité : « Dans un environnement normal, la réussite d'un chef d'entreprise est dictée par le marché. ».<br />
Or l'histoire nous prouve l'inverse : c'est la proximité d'avec le pouvoir en place qui permet à un entrepreneur de faire son beurre. Car le marché ne flotte pas dans les airs, hors du temps et des turpitudes : il est façonné/construit par les rapports de forces politiques et sociaux. Que les Etats-nations soient autoritaires ou démocratiques, cela ne change rien à la donne. Les magnats américains de l'industrie au 19e siècle n'étaient pas appelés pour rien les « <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/09/11/Dynamite-%21-1830-1930%2C-un-si%C3%A8cle-de-violence-de-classe-en-Am%C3%A9rique">barons voleurs</a> ». Les oligarques russes ou ukrainiens doivent tout, aussi bien la gloire que la déchéance, à leur proximité avec le pouvoir. Que serait l'Empire africain de Bolloré sans la bienveillance du gouvernement français ? Et l'on sait bien aussi que l'entrepreneur moyen d'une ville moyenne a tout intérêt à nouer des relations cordiales avec les élus locaux s'il aspire à emporter quelques marchés publics. Economie et politique ne sont pas deux sphères séparées, étanches, mais deux sphères en complète interaction.<br /></p>L'Irak sur la voie américaine ?urn:md5:d0e4b4abced10bd79adcff530f19582a2012-01-17T12:45:00+00:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseEtats-UnisIrak<p>Chronique n°13 (janvier 2012)<br />
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En décembre dernier, Barack Obama a déclaré que l’intervention américaine en Irak avait été une « réussite spectaculaire » ayant permis au pays de se débarrasser d’une dictature horrible et d’y instaurer un « Etat souverain, stable, autosuffisant, avec un gouvernement représentatif élu par <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2012/01/17/le" title="le">le</a> peuple ». Ce faisant, Barack Obama a prouvé que blanc ou noir, homme ou femme, vieux ou jeune, le politicien reste un politicien, autrement dit un acteur capable de nous faire prendre des vessies pour des lanternes ; c’est juste une question de tremolo dans la voix, et ça se travaille avec un coach en communication. Ceux qui ont cru que l’arrivée d’un homme noir à la Maison-Blanche allait bouleverser les Etats-Unis en sont pour leurs frais, tout au moins sur ce plan-là.<br />
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<pre><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/.Irak_s.jpg" alt="Irak.jpeg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Irak.jpeg, janv. 2012" /></pre> <p>L’armée américaine a donc déserté le sol irakien après neuf ans de présence quotidienne. Elle laisse derrière elle un pays en plein chaos. 2011 fut même l’une des pires années en matière de violence politique. Pire même, la répression violente par le pouvoir des manifestations populaires, pendant irakien de ce qui s’est produit en Egypte, en Tunisie ou en Syrie, laisse penser que le pouvoir entend gérer la rue comme au bon vieux temps du baasisme : à coups de trique, voire plus. Sur le plan du fonctionnement général du nouvel Etat, la situation semble inextricable : purger l’administration des partisans de l’ancien régime était inévitable mais cela a eu pour conséquences de rendre le nouvel Etat incapable de fonctionner au quotidien ; or, un Etat, ce n’est pas seulement une police et une armée, c’est avant tout une administration avec ses règles, ses normes, ses us et coutumes, ses compétences. Sur le plan économique, le pays est dans un état catastrophique : la manne pétrolière ne semble guère avoir la propriété de créer de l’emploi, de juguler les prix, d’améliorer les services publics de base et d’offrir un avenir à la jeunesse ; en revanche, elle semble plus douée pour remplir les poches de ceux qui ont en charge sa gestion directe, comme les mutinationales, et indirecte, les dirigeants politiques. Sur le plan politico-religieux, la défiance est de mise entre sunnites, chiites et kurdes puisque le système de quotas ethniques et confessionnels mis en place ne peut qu’aviver le communautarisme, le clientélisme, la corruption et la concurrence pour l’accès aux ressources.<br /></p>
<p>Certains diront que tel était le but recherché par l’impérialisme américain : transformer un Etat autoritaire et revêche, puissance régionale à prétention hégémonique, en Etat faible, trop occupé à se déchirer pour s’imaginer en nouvel Eldorado du pan-arabisme.<br />
D’autres souligneront que l’intérêt des milieux d’affaires et des Etats qui les soutiennent est que la stabilité politique règne car celle-ci réduit les incertitudes. Si les marchands d’armes aiment le chaos et en vivent, les compagnies pétrolières apprécient davantage les temps plus sereins où un Etat fort ou légitimé par le vote populaire lui garantit la jouissance de sa rente et la sécurité de ses installations, pipelines compris. <br />
D’autres encore se souviendront de ces mots de Maximilien Robespierre : « <em>La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis</em>. »<br /></p>
<p>De toute façon, le mal est fait. L’Irak est un pays dont le pouvoir est entre les mains de bourgeois à la tête de factions ethno-confessionnelles qui le font tourner pour leur seul profit. En un sens, la situation actuelle de l’Irak rappelle celle des Etats-Unis de la seconde moitié du 19e siècle, quand les « barons voleurs », ces magnats de l’industrie et du commerce, avaient la main sur les secteurs vitaux de l’économie nationale et contrôlaient la vie politique du pays par la corruption. Ils l’ont toujours et cela n’empêche pas les Etats-Unis d’être la plus grande démocratie du monde, non ?</p>Tu twittes ou tu milites ?urn:md5:6f24cd25513349f17b9047f414718d662011-04-17T22:10:00+01:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseEgypte<p><strong>Chronique n°20 (avril 2011)<br /></strong>
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Il y a de cela un mois, les Egyptiens ont été appelés à se prononcer par referendum sur quelques modifications apportées à la constitution. Ces réformes portaient essentiellement sur les modalités de l'élection du président de la République et sur la durée de son mandat.<br />
Ainsi, le prochain président égyptien ne pourra accomplir successivement que deux mandats de quatre ans. Parallèlement, le recours à l'Etat d'urgence se voit mieux encadré : il ne devra durer que six mois et ne pourra être renouvelé que par référendum. Il faut dire que cela fait trois décennies que le pays est en état d'urgence !</p> <p>Pour l'armée et ses alliés, qui ont repris en main le processus dit révolutionnaire ayant amené Hosni Moubarak à la retraite politique, ces réformes, bien que mineures, sont de nature à mettre le pays sur la voie de la démocratie parlementaire. Rappelons qu'avant la fin de l'année, normalement, les Egyptiens seront appelés aux urnes pour élire leurs députés et leur prochain président. <br />
Les Egyptiens se sont donc massivement rendus dans les bureaux de vote et, tout aussi massivement, à 77%, ont dit oui aux questions posées. Ils l'ont fait pour la plus grande joie des militaires et des Frères musulmans, et pour la plus grande peine de l'opposition laïque qui appelaient le peuple égyptien à contrer le processus en cours.<br /></p>
<p>La victoire du «oui» n'a pas mis fin à la contestation politique, mais elle nous renseigne sur l'état d'esprit des masses égyptiennes et sur la faible légitimité de ceux qui tiennent la « Place Tahrîr ».<br />
La Place Tahrîr fut le haut-lieu de la contestation au régime Moubarak. Des jours durant, des jeunes éduqués l'ont envahie pour clamer leur désir de voir leur pays s'échapper des mains du Raïs. Mais ces jeunes éduqués, adeptes des nouvelles technologies de l'information et de la communication, issus des classes moyennes et supérieures, ne sont pas l'Egypte, celle qui trime à la campagne, hors de la Capitale, qui vivote dans le commerce, qui survit dans les bidonvilles. De la même façon que notre Quartier Latin, en Mai 68, n'incarnait pas la France de la fin du gaullisme : elle n'en donnait qu'une image, partielle, mais médiatique et porteuse de rêves et d'utopies ; et les élections législatives de juin 1968 rappelèrent à tous que la majorité des citoyens français ne désirait pas « jouir sans entraves » mais retrouver ordre et sécurité. <br /></p>
<p>Dans les processus révolutionnaires, il y a ce que l'on appelle le « moment thermidorien », ce moment où les élites nouvelles consolident leur pouvoir en sacrifiant certains des leurs, en renvoyant les gens à leur quotidien de labeur et en instrumentalisant le discours révolutionnaire à des fins conservatrices : c'est le célèbre « laissez-nous nous occuper de vos affaires ». Ce moment de l'histoire contemporaine égyptienne pourrait être thermidorien. Sauf qu'il n'y a pas eu de révolution en Egypte : il y a une révolte de certains secteurs de la population, pas plus. On pourrait alors parler de processus de décompression autoritaire : un pouvoir autoritaire en perte de légitimité cherche, en ouvrant le jeu politique à d'autres forces, à donner des gages de démocratisation tout en conservant la main sur tous les leviers du pouvoir. « Tout changer pour que rien ne change » en somme. Sauf que nous ne sommes qu'au début d'un processus, et qu'il faudrait avoir des dons de voyance pour savoir de quoi l'Egypte de demain sera faite.<br /></p>
<p>Les Frères musulmans ont des chances d'être les grands gagnants des prochains scrutins. Bien que pourchassés et violemment décimés par l'ancien régime, ils demeurent la seule force politique réelle organisée sur le sol égyptien. Et s'ils ont été dépassés par le mouvement politico-social, s'ils ne représentent que l'archaïsme aux yeux d'une très large fraction des manifestants de la Place Tahrîr, ils incarnent pour beaucoup d'Egyptiens l'opposition à l'ancien régime, l'honnêteté et le don de soi. Ces 77% ne sont pas leur victoire, mais ils nous rappellent que les islamistes sont politiquement incontournables. Et ils le sont d'autant plus que les autres forces politiques n'existent pas ou peu hors du Caire. Ce n'est pas avec un compte Twitter et une page sur Facebook qu'on fait une révolution, mais avec des groupes militants actifs dans les villes, les entreprises et les administrations. <br />
Je doute que les Frères musulmans aient envie de parvenir au pouvoir. Ils savent que les Etats-Unis, Israël et l'armée égyptienne ne l'accepteraient pas. Ils doivent davantage rêver d'un scénario à la turque, rêver d'une success story comme celle que vit l'AKP : se structurer dans l'opposition, construire patiemment des réseaux irriguant toute la société avant d'accéder au pouvoir avec un programme libéral en économie, conservateur du point de vue des moeurs, et politiquement nationaliste. Ceux qui pensaient qu'Ankara se couvriraient de burquas et que la Turquie deviendrait une république islamiste en sont pour leurs frais. Car il est bon de rappeler que les Islamistes ont beau parler à tout bout de champ de l'Oumma (de la communauté des croyants) ou du Djihad, ce sont avant tout des forces politiques nationales, c'est-à-dire qui se sont construites et qui évoluent dans un univers singulier, et qui définissent leur stratégie en fonction de cet univers-là ; le reste, c'est de la rhétorique. Les « Fous de Dieu » sont tout sauf fous : ils ne se tireront jamais une balle dans le pied si une sourate judicieusement choisie leur offre une porte de sortie.<br /></p>
<p>Dans un article passionnant sur l'islamisme algérien, la chercheuse Séverine Labat nous rappelle que le Front islamique du salut « malgré son échec à prendre le pouvoir » semble avoir « enfanté un néo-islamisme à l'intérieur du régime »<strong>1</strong>. Là réside la victoire des courants islamistes, non dans leur capacité à s'emparer du pouvoir, mais à réoccuper des espaces socio-culturels au plus près des populations. Or, la plupart des forces laïques sont des mouvements urbains, bourgeois, ne pouvant que s'appuyer que sur des secteurs ouvriers restreints. Ils sont déconnectés de la masse de la population. S'ils veulent peser politiquement, il leur faudra inévitablement délaisser Twitter et Facebook et « aller aux masses », comme l'on disait jadis... <br />
Kropokine le soulignât en son temps : « Dans les révolutions du passé, le peuple se chargeait de l'œuvre de démolition ; quant à celle de réorganisation, il la laissait aux bourgeois (…). La part du peuple dans la révolution doit être positive, en même temps que destructive. Car lui seul peut réussir à réorganiser la société sur des bases d'égalité et de liberté pour tous. Remettre ce soin à d'autres serait trahir la cause même de la révolution. »<br />
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<strong>Note</strong><br />
<strong>1.</strong> Séverine Labat, « L'islamisme algérien, vingt ans après », in <strong>Confluences Méditerranée</strong> n°76 (<em>Stratégies islamistes</em>, 2010).</p>Contenir la fouleurn:md5:00690e974ce17746c9c3358bd488280d2011-04-12T12:10:00+01:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseIslandeLibye<p><strong>Chronique n°19 (avril 2011</strong>)<br />
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Dans l'entreprise capitaliste moderne se pose de façon constante la question de la loyauté des subordonnés envers l'entreprise et sa direction. Parce que dans l'entreprise capitaliste moderne, le salarié ne doit pas avoir d'amis, pas même véritablement des collègues, seulement des concurrents avec lesquels il doit entrer en compétition pour prouver aux échelons supérieurs qu'il est le meilleur. L'individualisation des salaires, l'évaluation personnelle, le salaire au mérite participent de ce processus d'atomisation des gueux sur l'autel de la performance et du court-termisme.</p> <p>Mais voilà, cette guerre de tous contre tous n'a pas que des avantages pour la machinerie capitaliste. Certes, elle fait marner le salarié plus que de raison, elle flatte son ego, son désir de se distinguer, mais elle pourrit l'atmosphère générale puisqu'elle introduit le cynisme, le croc-en-jambe, le coup bas et la paranoïa dans le système d'exploitation. Si je ne peux avoir confiance en personne, si je ne sais devoir compter sur personne en cas de coup dur, comment puis-je aller sans reculer au turbin chaque jour ? Comment ne pas souhaiter s'échapper de cet enfer chaque jour ? <br />
La solution consisterait à reconstituer de véritables collectifs de travail, à redonner du pouvoir dans l'organisation du travail à ceux qui sont à la production (et quand je dis pouvoir, je ne parle pas des cercles de qualité qui n'ont pour seule fonction que de « muscler » la productivité de l'entreprise) ; mais cette solution n'en est pas une puisqu'elle a pour conséquence de ranimer chez les exploités la flamme de la solidarité, donc de l'organisation de classe.<br />
Il reste la culture d'entreprise et tous les discours mobilisateurs autour des valeurs défendues par l'entreprise. Mais le « Nous formons une grande famille » galvaniseur se heurte à la dure réalité du quotidien : le travail a perdu tout sens. <br /></p>
<p>Les machineries politiques et les Etats fonctionnent de la même façon, notamment dans les contextes autoritaires. Le chef incarne le parti unique qui incarne lui-même le collectif, autrement dit la Nation ou le Peuple. L'idéologie est le souffle qui l'anime. La loyauté est l'indispensable ciment de la domination politique et symbolique. Si certains sont loyaux à l'égard du projet politique et de celui qui le porte, d'autres ne le sont qu'à la condition que le projet et son incarnation humaine demeurent un « bon placement ». On peut adhérer au parti unique pour des idées, on y adhère plus souvent parce qu'il est un passage obligé pour celui qui veut parvenir à un statut social envié : le « printemps arabe » nous le rappelle chaque jour.<br />
On pourrait appeler cela le syndrome de conversion rapide. L'autoritaire d'hier se découvre démocrate, célèbre les vertus du multipartisme, de l'Etat de droit, des libertés démocratiques. Les nomenklatura de beaucoup d'anciens pays dits socialistes ont réussi à se perpétuer en troquant l'uniforme vert-de-gris contre le costume trois-pièces, le marxisme-léninisme besogneux contre le néo-libéralisme sauvage. Dans les pays arabes, les mêmes phénomènes sont à l'œuvre : ceux qui ont prospéré sous l'ancien régime aspire à prendre la tête de la contestation politique et sociale. C'est le cas notamment de la Libye et du Conseil national de transition formé par une fraction de l'ancien régime ; un Conseil national de transition qui a reçu très vite le soutien de nombreuses puissances occidentales pour qui la stabilité est un élément indispensable à la bonne marche des affaires. Il faut donc contenir le foule, contenir le Peuple. <br /></p>
<p>En Islande également, le peuple se révolte, mais curieusement cela passe complètement inaperçu. Rappelons les faits. En 2008, pour avoir participé au grand casino mondial, les trois banques privées islandaises sont en banqueroute, victime de la crise des subprimes. Aussitôt, le gouvernement de l'époque les nationalise, parce que c'est bien connu, il vaut mieux socialiser les pertes que les bénéfices en royaume libéral. Parallèlement, l'Etat islandais s'engage à rembourser le Royaume-Uni et les Pays-Bas, puisque ceux-ci ont déjà mis la main à la poche pour rembourser leurs ressortissants victimes de ces trois faillites. Pour être plus précis, disons que les citoyens islandais sont appelés, par l'impôt, à régler la note. Sous la pression de la rue, le plan gouvernemental est soumis à referendum et est repoussé à la quasi-unanimité, obligeant le dit gouvernement à revoir sa copie. Le contribuable islandais, dans sa grande sagesse, a estimé qu'il n'avait pas à subir les conséquences de la cupidité des banques privées.<br />
La nouvelle mouture est adoptée par le parlement en février dernier. L'échéance du remboursement est passée de 2024 à 2046, et le taux d'intérêt de 5,5% à 3,2%. Mais voilà, le président Olafur Ragnar Grimsson, conformément à l'article 26 de la constitution islandaise, a mis son veto à cette nouvelle loi, et proposé que le peuple islandais retourne aux urnes pour donner son avis. Et on s'attend à une nouvelle victoire du non du côté de Reykjavik...<br /></p>
<p>Cette perspective a mis en rogne l'économiste suédois Olle Zachrison. Dans un article récent du Svenska Dagbladet, il s'est emporté contre la désinvolture du président islandais et a lâché : « Ce type de sujets épineux devraient être traités par les représentants élus par le peuple, c'est-à-dire par le gouvernement et le parlement. » En peu de mots, Olle Zachrison a donné la définition de la démocratie pour nos élites : la voix du peuple n'a pas à se faire entendre sur les « sujets épineux » ; la démocratie représentative a pour fonction de lui faire avaler les couleuvres pour son bien. Pour Olle Zachrison, il faut contenir la foule, contenir le peuple parce qu'il n'est pas et ne peut être raisonnable. Bakounine avait bien raison d'affirmer il y a un siècle et demi que « le suffrage universel est l'exhibition à la fois la plus large et la plus raffinée du charlatanisme politique de l'Etat ; un instrument dangereux, sans doute, et qui demande une grande habileté de la part de celui qui s'en sert, mais qui, si on sait bien s'en servir, est le moyen le plus sûr de faire coopérer les masses à l'édification de leur propre prison. » (L'empire knouto-germanique, 1871)</p>Tunisie : le temps de la normalisationurn:md5:e0988121c4b07976df998a7d04bfbadb2011-02-14T21:38:00+00:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseEgypteTunisie<p><strong>Chronique n°15 (février 2011)</strong><br />
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La semaine passée, le peuple égyptien retînt son souffle. Nous étions le jeudi 10 février 2011 et Hosni Moubarak allait bientôt prendre la parole sur la télévision nationale. Allait-il annoncer son départ ? Beaucoup l’espéraient tant son pouvoir semblait délégitimé. Il n’en fut rien. Pourtant la CIA y était même allée de son communiqué : était-ce une façon de mettre la pression sur le président égyptien, ou une nouvelle preuve de son incapacité à contrôler son arrière-cour ? Nous ne le savons pas, et nous ne le saurons peut-être jamais. <br />
Bref, ce jour-là Hosni Moubarak se contenta de transmettre tous les leviers de commandement à son fidèle lieutenant, le vice-président Omar Souleimane, un septuagénaire bien en vue dans toutes les chancelleries occidentales, qui a la main sur les services secrets égyptiens depuis quelques lustres, et qui s’est fait une solide réputation dans la lutte contre l’islamisme radical.</p> <p>Sans hypocrisie ni double langage, il n’y a pas de diplomatie, pas de relations internationales. Angélisme et morale n’ont pas de place dans cet univers régi par les rapports de force. J’en veux pour preuve cette déclaration de Michèle Alliot-Marie au Journal du Dimanche le week-end dernier : « Les principes constants de notre politique internationale sont la non-ingérence, le soutien à la démocratie et à la liberté, l’application de l’Etat de droit. S’agissant d’un ancien protectorat, nous sommes encore plus tenus à une certaine réserve. Nous ne voulons pas mettre de l’huile sur le feu, mais au contraire aider dans toute la mesure du possible un peuple ami, mais sans interférer ». Edifiant, non ?<br />
Il est toujours délicat d’analyser à chaud une nouvelle configuration politique. Pour certains, Souleimane ne sera que l’homme de paille de Moubarak ; pour d’autres, ce transfert d’autorité permet à Moubarak de se retirer sans perdre la face. Pour certains, c’est un camouflet pour les Etats-Unis qui appelaient au changement ; pour d’autres, Washington ne peut qu’être satisfait que ce soit un homme en qui il a confiance qui prenne en main la soi-disant « transition démocratique ». Et du côté de Tel-Aviv, on pense la même chose.<br /></p>
<p>En Tunisie, la lutte est entrée dans une phase de normalisation. C’était à mon sens inévitable. Pour qu’une révolution réussisse, écrivait jadis le vieil anarchiste russe Pierre Kropotkine, il faut qu’elle nourrisse le peuple, et qu’elle le nourrisse sans attendre. En Tunisie et en Egypte, pays où la misère est une compagne quotidienne pour nombre d’habitants, le temps joue contre les mobilisations populaires. Occuper la rue, manifester sa colère ne remplissent pas les gamelles. Or, le blocage de l’économie touche tous les secteurs, y compris l’informel qui permet à beaucoup de survivre.<br />
L’annonce récente par le ministère français des Affaires étrangères de la levée des restrictions sur les voyages touristiques en direction des villes côtières et de l’île de Djerba est un signal fort. En faisant cela, Sarkozy montre qu’il soutient le processus de normalisation en cours. Il le soutient d’autant plus que sur le site du ministère des Affaires étrangères, vous pourrez y lire ceci : « La France condamne avec la plus grande fermeté les bandes criminelles qui sévissent en Tunisie et ceux qui les soutiennent avec l’espoir vain de remettre en cause les changements intervenus de manière constitutionnelle. Nous saluons le civisme exemplaire de la population tunisienne, qui garde son calme, se mobilise pour que la vie normale reprenne son cours le plus vite possible et a mis en place, conformément à l’appel du premier ministre, dans tous les quartiers sensibles des dispositifs citoyens de sécurité. Nous encourageons les responsables politiques à conforter au plus vite le processus de transition en annonçant sans tarder la formation du nouveau gouvernement. » <br />
Ce texte est extraordinaire et mérite commentaires. Il nous parle de « bandes criminelles » mais sans précision, ce qui permettra de justifier dans le futur que les jeunes émeutiers tunisiens affrontant la police soient mis dans le même sac répressif que les pillards ou les anciens flics de Ben Ali. Il fustige « ceux qui les soutiennent », là encore sans précision, ce qui peut laisser penser qu’une organisation refusant de cautionner le processus en cours pourrait être criminalisée. Il salue le civisme, le calme de la population et le fait qu’elle ait répondu à l’appel du premier Ministre en mettant en place des dispositifs citoyens de sécurité. Or, des « dispositifs citoyens de sécurité », sous la forme de comités de quartier ont été mis en place dès le début du mouvement afin d'éviter les pillages et de prévenir les exactions des milices de Ben Ali. Les Tunisiens n'ont pas attendu les ordres d'un ministre quelconque pour prendre en charge directement la gestion de l'espace public en lieu et place d'une police dont on sait à quel point elle était haïe. Ce que le gouvernement français appuie ici, c’est la reprise en mains par l’Etat tunisien du monopole de la violence légitime.<br /></p>
<p>Pour le gouvernement français, il y a les bons Tunisiens et les mauvais Tunisiens. Les bons Tunisiens sont ceux qui sont descendus dans la rue, ont obtenu le départ de Ben Ali puis ont accepté de confier le changement politique aux élites en place, les anciennes comme les nouvelles. Ces bons Tunisiens font preuve d’esprit de responsabilité. A côté de ces bons Tunisiens, il y a les mauvais Tunisiens. Je ne parle pas des pro-Ben Ali, ces anciens amis très chers dont on on ne veut plus entendre parler. Je parle de ces jeunes en colère des quartiers populaires sur lesquels le pouvoir va coller l’étiquette de casseurs, de pillards et de voyous ; je parle des habitants en colère de la Tunisie « inutile », cette Tunisie de l’intérieur qui crève et n'a que peu profité des fruits de la croissance économique, largement concentrée sur la côte méditerranéenne ; je parle de toutes celles et ceux qui attendent un changement véritable de leurs conditions de vie, un changement qui aurait l'odeur du travail et du pain et non seulement celui du bulletin de vote.</p>La démocratie ? Oui, mais dans l’ordre et la discipline !urn:md5:5791c255982e749c13d79cc2642955a82011-02-01T21:19:00+00:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseEgypteTunisie<p><strong>Chronique n°13 (février 2011)</strong><br />
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Après la Tunisie, c’est l’Egypte qui est secouée depuis une semaine par la colère. La tension est forte, aussi forte que la répression, mais Hosni Moubarak semble pour l’heure toujours solidement accroché à son poste et bien peu désireux de céder son sceptre. Il peut visiblement s'appuyer encore sur de nombreux partisans, chose qui a fait totalement défaut à Ben Ali.<br />
Tout le monde se réjouit de voir des peuples asservis, humiliés, habitués à courber l’échine et à parer les coups, soudainement se lever, crier leur ras-le-bol et réclamer le changement.</p> <p>Quand je dis « Tout le monde », j’exagère évidemment. Michèle Alliot-Marie, par exemple, ne se réjouit pas de voir la populace occuper l’espace public, et de constater que des pouvoirs amis se montrent incapables de gérer au mieux de leurs intérêts les émotions populaires. Michèle Alliot-Marie ne se réjouit pas, mais du moins a-t-elle appris à se taire depuis sa bévue tunisienne. De ce point de vue, la décence est gagnante. De même, les partisans de l’ancien régime ne peuvent se réjouir de voir leurs privilèges et leur autorité remis en cause par la rue.<br />
Non, quand je dis « tout le monde », je pense évidemment à toutes celles et ceux qui sont attachés à la démocratie, même imparfaite, aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales. Mais là-encore j’exagère.<br />
Le gouvernement israélien, par exemple, ne se réjouit pas. Lorsqu’émergea le projet sioniste, dans une Europe secouée par les pogroms, on ne parlait pas encore d’installer le foyer national juif en Palestine. Certains songeaient à l’Amérique latine, d’autres à l’Ouganda. Puis on fit le choix de la Palestine. Et pour défendre ce projet auprès des grandes puissances de l’époque, pour obtenir leur soutien actif ou leur neutralité bienveillante, certains sionistes déclarèrent que la présence juive en terre arabe serait la pointe avancée du progrès politique et social en terre archaïque et féodale. Les leaders sionistes n’étaient-ils pas, dans leur majorité, des intellectuels nés et éduqués en Europe ?L'un d'eux, Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique, écrivit ainsi : « Pour l’Europe, nous serons comme un rempart contre l’Asie, nous serons les défenseurs de la culture contre les sauvages. Nos relations avec les nations d’Europe garantiront notre existence en tant qu’État indépendant. »<strong>1</strong> Depuis 1948, lors des différents conflits israélo-arabes, les gouvernements israéliens ont parfaitement joué la carte de l’Etat démocratique aux prises avec des régimes autoritaires et brutaux régnant sur des peuples incultes. Et ne croyez pas que ce discours soit tombé en désuétude. En 2001, Moshe Katsav, alors président d'Israël, déclarait : « Il y a un précipice béant entre nous et nos ennemis, pas seulement en matière de capacités, mais pour la morale, la culture, la sanctification et la conscience. » (Jérusalem Post, 10 mai 2001)<br />
On pourrait alors penser que le gouvernement israélien serait heureux et saluerait les bouleversements politiques actuels du monde arabe. Quoi de plus réjouissant que d’entrevoir le jour où, enfin, la région serait peuplée de citoyens, libres et égaux en droits et dignité, et capables de choisir ses maîtres à échéances régulières ! <br />
Il n’en fut rien. Le gouvernement israélien ne veut pas d’un tel changement. Le pouvoir égyptien est son allié, et c’est cela qui lui importe. Que Moubarak soit un autocrate, qu’il trafique les élections, arrête et bastonne les opposants, ce n’est pas son problème. Moubarak est un rempart à la poussée islamiste, à la puissance des Frères musulmans. Tout cela vaut bien des entorses aux principes démocratiques.<br /></p>
<p>Et les grandes puissances, que pensent-elles ? D'ordinaire, la même chose ! Personne n’est ravi de voir un ami, un allié vaciller sur son trône. Alors, on essaie de trouver la voie médiane entre le soutien à apporter aux peuples en colère et celui à apporter à un pouvoir délégitimé. On ne lâche un ami que si la situation est désespérée. Autrement, on adopte une voie médiane, celle qui s'exprime comme suit : oui au changement, oui à la démocratie, mais dans le calme et sans violence. <br />
Ces appels à la bonté me sont toujours apparus comme profondément abjects parce qu’ils n’ont rien à voir avec le sens éthique ou moral de nos dominants, dont on sait à quoi s’en tenir. Ils sont tactiques, purement tactiques. Donner du temps au temps en période insurrectionnelle, c’est permettre à une fraction de l’ancienne élite au pouvoir de se reconvertir, de coopter des fractions de l’élite montante ou de se faire coopter par elle. C’est permettre que s’élabore une nouvelle alliance capable de conjurer les risques inhérents à l’irruption massive des masses sur la scène politique.<br />
On a coutume de saluer la grande démocratie américaine. On la salue tellement qu’on en oublie ce qu’a déclaré un jour, Thomas Jefferson, 3e président des Etats-Unis entre 1801 et 1809. Jefferson a écrit : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement. » <br /></p>
<p>Deux siècles ont passé mais le dilemme est le même pour celles et ceux qui nous gouvernent. Durant longtemps, ces élites démocratiques entendirent réserver le droit de vote à ceux qui avaient fait montre de sagesse et de talent : en d’autres termes, les riches, les propriétaires. Ce fut le règne du vote censitaire. Ainsi, le gouvernement des meilleurs n’était autre que le gouvernement des puissants. <br />
Aujourd’hui, les élites sont obligées de se rendre légitimes aux yeux des gueux, des gens de peu, des masses, du peuple. Comme le dit Jacques Rancière, « le bon gouvernement démocratique est celui qui est capable de maîtriser un mal qui s’appelle tout simplement vie démocratique », cette vie démocratique qui repose sur l’intervention de tous ceux qui n’ont aucune qualité à gouverner.<br /></p>
<p>Il faut donc contrôler « ceux qui n’ont aucune qualité à gouverner », les remettre à leur place, les convaincre de confier leur sort à celles et ceux qui ont les « capacité à ». C’est la base même de la démocratie représentative, cet écran entre le peuple et sa souveraineté. Le peuple confie à ses représentants sa souveraineté. En d’autres termes, il aliène sa souveraineté. Jusqu'à quand ?<br /></p>
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1. Theodor Herzl, <em>L’État des Juifs</em>, La Découverte, 2003.</p>Démocratie : la preuve par Cotonou ?urn:md5:3c0ff69b6f57e5db6317ff4c6ea129392011-01-09T13:02:00+00:00PatsyActualité internationaleAfriqueBéninDémocratie bourgeoise<p><strong>Chronique n°10 (janvier 2011)</strong><br />
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Fin novembre, les urnes rendent leur verdict du côté d'Abidjan. Alassane Ouattara l'emporte devant le président sortant, Laurent Gbagbo. Aussitôt celui-ci refuse de céder son poste et essaie d'imposer un nouveau comptage des voix, au risque de plonger le pays dans la guerre civile. En jeu : le pouvoir, donc l'argent, puisque l'un ne va pas sans l'autre.<br />
Mi-décembre, du côté de Minsk, Alexandre Loukachenko emporte haut la main les élections présidentielles. Les élections étaient très bien organisées, rassurez-vous. Tellement bien qu'on se demande pourquoi des opposants sérieux légitiment cette mascarade en se présentant aux suffrages des citoyens, puis en contestant le résultat tant celui-ci était attendu. En jeu : le pouvoir, donc l'argent, puisque l'un ne va pas sans l'autre.<br />
Alors que de très nombreuses élections donnent lieu à des contestations, il n'en est rien au Bénin. Depuis vingt ans, l'ex-Dahomey fait figure de modèle. <br /></p> <p>En 1990, Mathieu Kérékou, président de la République populaire du Bénin depuis 1972 et colonel de profession, cède le pouvoir. Un an auparavant, le bloc de l'Est a implosé et le marxisme-léninisme n'est plus de saison. Les « forces vives de la Nation » se retrouvent au sein d'une conférence nationale pour y travailler sur une nouvelle constitution et l'organisation d'un prochain scrutin présidentiel. Celui-ci se tient en mars 1991 et est remporté par Nicéphore Soglo<strong>1</strong>, un haut fonctionnaire de la Banque mondiale. <br />
En 1996, de nouvelles élections libres se tiennent et voient le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou qui parviendra même à remporter le scrutin suivant, en mars 2001, avant de céder finalement son poste<strong>2</strong> en mars 2006 à Thomas Yayi Boni, un technocrate ancien président de la Banque ouest-africaine de développement.<br />
En vingt ans, les Béninois se seront donc rendus quatre fois dans l'isoloir pour élire leur président. Des élections libres, compétitives qui ont donné lieu globalement à peu de contestations. Bref, le Bénin est un exemple pour toute l'Afrique : la démocratie bourgeoise, ça marche ! C'est la preuve par Cotonou !<br />
Il est donc intéressant de voir comment ce « miracle » peut exister, pourquoi diable la classe politique béninoise ne s'étripe pas à la première occasion, n'est pas dans une logique perpétuelle d'affrontements violents mais accepte de façon générale le jeu démocratique avec ses joies et ses peines, ses récompenses et ses traversées du désert.<br /></p>
<p>On s'aperçoit alors que depuis la transition démocratique de 1990-1991, tous les leaders politiques « ont à un moment ou à un autre de leur carrière occupé une position centrale ». En vingt ans, ils sont devenus soit président de la République, soit ministre d'Etat, soit président de l'assemblée nationale. <br />
On note également que la classe politique béninoise sait nouer des alliances politiques souvent fort surprenantes. Ainsi, Adrien Houngbédji fut un opposant historique de Kérékou (qui l'avait condamné à mort en 1976) avant de devenir son ministre à partir de 1996. On pourrait dire la même chose à propos de la Côte d'Ivoire puisque Ouattara s'est allié à Konan Bédié pour chasser Gbagbo du pouvoir, alors que c'est ce même Konan Bédié qui a mis le pays sur la voie de la guerre civile en 1995 en contestant la qualité d'Ivoirien de Ouattara afin de l'empêcher de briguer la présidence ! Décidément, certains n'ont pas la rancune tenace. <br />
Derrière chaque leader béninois, il y a un parti, autrement dit une machine électorale. On en compte actuellement un peu plus d'une centaine ! Chaque élection voit ces partis s'unir et se désunir, l'essentiel étant de miser sur le bon cheval, de constituer la meilleure alliance électorale, celle qui permet d'arracher des postes de ministres ou de députés. Et puis, on a l'esprit nomade au Bénin : on change de monture, on monnaye sa voix. Cela explique en partie pourquoi les remaniements ministériels y sont si nombreux et les équipes ministérielles aussi pléthoriques. Le gouvernement Yayi Boni est ainsi passé de 22 membres à sa création en mars 2006 à 30 membres en 2010, après quatre remaniements. Parmi ces ministres, on notera la présence de Ganiou Soglo, fils de Nicéphore Soglo, et de Modeste Kérékou, fils de Mathieu. Car la politique au Bénin est affaire de famille. On se passe le flambeau de père en fils, l'essentiel étant d'occuper le terrain des affaires. <br /></p>
<p>Les Béninois ne sont évidemment pas dupes de la façon dont fonctionne la « démocratie béninoise ». Ils savent que celle-ci est entre les mains d'une classe politique corrompue, prédatrice, qui fait son beurre et ses affaires sous le couvert de l'intérêt général. Ils ne croient pas aux partis. J'en veux pour preuve que Nicéphore Soglo en 1991, Mathieu Kérékou en 1996 et Yayi Boni en 2006 sont devenus présidents de la République en se présentant comme des candidats libres, sans attache partisane, même s'ils étaient soutenus par des coalitions hétéroclites de partis. <br /></p>
<p>L'établissement de la démocratie n'a donc en rien atténué les pratiques prédatrices des élites qui se succèdent au pouvoir, ni mis un frein à la pauvreté endémique qui frappe près de la moitié de la population béninoise. <br />
En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo s'accroche au pouvoir parce qu'avoir la main sur l'Etat signifie que l'on a la main sur le commerce extérieur ivoirien, autrement dit sur le cacao et le café, que l'on peut donc s'enrichir, s'acheter des alliés, une clientèle. <br />
Au Bèlarus, Alexandre Loukachenko s'accroche au pouvoir parce qu'il a mis en place depuis son entrée en fonction en 1994 tout un système qui fait de la présidence de la République un acteur économique de premier plan tenant les secteurs les plus dynamiques de l'économie nationale. <br />
Au Bénin, on ne s'accroche pas au pouvoir, on attend son tour tout simplement parce qu'on a la quasi-certitude d'obtenir un jour une part du gâteau national. Il suffit pour cela de miser sur le bon cheval.</p>
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<p><strong>Notes</strong><br />
1. F. Eboussi Boulaga,<em> Les conférences nationales en Afrique noire – Une affaire à suivre</em>, Karthala, 1993. <br />
2. La Constitution lui interdisant de se représenter.<br /></p>
<p><strong>A lire</strong> <br />
Cédric Mayrargue, « Yayi Boni, un président inattendu ? Construction de la figure du candidat et dynamiques électorales au Bénin », in <em>Politique africaine</em> n°102 (06/2006)</p>Fragilité du "miracle brésilien"urn:md5:1e0eb7b6c8144d82e3adbb16e92cd4762010-11-15T21:52:00+00:00PatsyActualité internationaleBrésilDémocratie bourgeoise<p><strong>Chronique n°4 (novembre 2010)</strong><br />
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Ainsi donc, pour la première fois de son histoire, le Brésil, ce géant latino-américain, a élu une femme pour l'incarner. Sans grande surprise, Dilma Rousseff, ancienne militante d'extrême gauche qui a connu la prison sous la dictature militaire, a succédé à son mentor, Luiz Inacio Lula da Silva. Certains pensaient qu'elle l'emporterait dès le premier tour, mais il lui en fallut deux pour battre, somme toute assez facilement, son adversaire, un vieux routier de la social-démocratie brésilienne, José Serra.</p> <p>Depuis 2003, le pays est donc « gouverné à gauche » comme l'on dit. Une gauche particulière, à l'histoire singulière, qui incarna un temps de fols espoirs du côté des altermondialistes, avant d'en laisser dubitatifs plus d'un. Car Lula ne tarda pas à surprendre ses supporters européens. Avant même son élection, il promettait de respecter tous les engagements pris par son prédécesseur avec le Fonds monétaire international, institution dont on connaît le peu de goût pour les politiques sociales ambitieuses, les déficits budgétaires... et la retraite à 60 ans. Mais avait-il le choix ? Pouvait-il prendre le risque de voir les investisseurs fuir le pays, effrayés à l'idée que le nouveau régime, le couteau entre les dents, n'y instaure une forme de « socialisme » ? Non : à l'affrontement, il a choisi la conciliation. Qu'on se le dise, le syndicaliste est un pragmatique.<br />
Sept années se sont donc écoulées depuis que le Parti des travailleurs, cartel hétéroclite de mouvements de gauche et d'extrême gauche, a pris les rênes du pouvoir. Faire le bilan des deux mandats de Lula est donc possible. Commençons par les points « positifs ».<br />
La situation économique du Brésil est des plus florissantes. Alors que la crise des subprimes jetait dans la récession nombre de pays, le Brésil affichait avec insolence sa bonne santé, au point de concéder l'an passé un prêt de dix milliards de dollars au FMI. Le Brésil n'est plus un pays au bord de la banqueroute, pris à la gorge par le FMI en raison d'une dette publique astronomique, il est devenu un pays émergent chez lequel il est bon d'investir ! Bon et facile, car Lula s'est évertué à limiter les freins à l'investissement étranger et national. Exonération d'impôts, avantages fiscaux, taux d'intérêt élevés... tout est bon pour permettre aux capitalistes de faire leur beurre ici bas. Cependant, notons que le gouvernement Lula ne rechigne pas à la signature d'accords entre entrepreneurs privés et publics. Lula n'est pas un libéral pur sucre, c'est un étatiste et un développementaliste : il entend garder la main sur certain secteurs économiques clés, notamment celui des hydrocarbures, afin d'en faire des leviers pour le développement économique et la politique sociale. <br />
Grâce à un taux de croissance soutenue et à de très nombreuses créations d'emploi, grâce à un taux d'inflation stabilisé aux alentours de 7%, la politique sociale lancée par les différents gouvernements Lula a eu pour résultat de sortir 20 millions de Brésiliens de la pauvreté, que ce soit grâce à l'augmentation du salaire minimum ou par un octroi beaucoup plus large de la Bolsa familia, un ensemble d'allocations destiné aux familles les plus pauvres du pays. Le taux de pauvreté est aujourd'hui de moins de 20% de la population, alors qu'il était supérieur à 30 %, au début des années 2000. Le boom économique a enfin permis l'émergence et la consolidation d'une forte classe moyenne : une classe moyenne qui consomme parce qu'elle a confiance dans l'avenir. <br /></p>
<p>Si le côté face est reluisant, qu'en est-il du côté pile ? Car faire le bilan des années Lula, c'est aussi rappeler qui a fait les frais de cette réussite économique.
Il y a d'abord les paysans pauvres. Très rapidement, le Mouvement des sans-terre, qui défend l'agriculture paysanne et se bat pour une réforme agraire ambitieuse, s'est rapidement rendu compte que le gouvernement Lula ne favoriserait pas ses desseins. Le paysan pauvre, émacié et illettré, figure du Brésil rural, incarnation de la servitude ancestrale et des rapports féodaux, ne fait plus recette. Pour le Brésil moderne, industrialisé, c'est l'agro-business qui doit être le moteur du développement, non l'agriculture paysanne : le développement des cultures de soja OGM ou de cannes à sucre destinées à la fabrication d'éthanol sont là pour le prouver<strong>(1)</strong>. <br />
Il y a ensuite les pauvres. Le Brésil demeure l'un des dix pays les plus inégalitaires au monde. Lula peut certes se vanter d'avoir fait reculer la pauvreté, mais il n'a pas réduit pour autant les inégalités sociales. Bien au contraire : les riches se sont enrichis comme jamais, et les Brésiliens attendent toujours la réforme fiscale promise, celle qui permettrait d'asseoir plus solidement des filets sociaux de protection pour la masse des prolétaires brésiliens. Car l'amélioration incontestable des conditions de vie des Brésiliens doit davantage à la bonne santé de l'économie nationale qu'aux transferts sociaux. En d'autres termes, un retournement de conjoncture pourrait bien rejeter dans la précarité sociale les millions de Brésiliens qui viennent d'en sortir, notamment les classes moyennes qui se sont endettées pour consommer. <br /></p>
<p>Dilma Rousseff est une présidente bien élue, mais dans une situation pas aussi confortable que cela. Elle est la protégée de Lula, mais elle n'en a pas le charisme. Elle profite pour l'heure du « bon bilan » économique et social de son prédécesseur, mais elle sait pertinemment que ce « bon bilan » est en trompe l'oeil. Les classes moyennes qui ont apporté leur suffrages au Parti des travailleurs pourraient fort bien se détourner rapidement de lui, si d'aventure la croissance entrait en berne, et avec elle, les promesses de promotion sociale. Or la scène politique brésilienne est fragmentée au possible, très marquée par le clientélisme et la corruption : ainsi, un tiers des parlementaires brésiliens change en moyenne de partis au cours de leur mandat !<br /></p>
<p>Il est bon de se souvenir que le Parti des travailleurs n'a pu gouverner depuis 2003 qu'en passant des alliances avec d'autres formations politiques ; des formations « à la fidélité douteuse et à l'éthique toute relative (…) qui se disputent emplois et ressources publics, faveurs et quotes-parts de pouvoir, en monnayant aux plus offrants leur soutien. »<strong>(2)</strong> Ces pseudos-partis ont donc un pouvoir de nuisance non négligeable, et si le Parti des travailleurs n'est plus en mesure de leur assurer leur « pain quotidien », ils n'hésiteront pas à l'abandonner à son triste sort.<br /></p>
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<p>1. Voir notre<strong> <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/04/27/Ethanol%2C-Br%C3%A9sil%2C-football%E2%80%A6">chronique</a></strong> <br />
2. Alternatives Sud,<em> Le Brésil de Lula – Un bilan contrasté</em>, Syllepse, 2010. Rappelons que la corruption gangrène la vie politique brésilienne, et que certaines figures du Parti des travailleurs ont été impliquées dans des scandales politico-financiers.</p>Victor Serge, Retour à l'Ouest (1936-1940)urn:md5:063109abd014b6f6a87044657878e64a2010-05-25T12:40:00+01:00PatsyNotes de lectureCommunismeDémocratie bourgeoiseGuerre d EspagneStalinisme<p><strong>Emission n°30 (mai 2010)</strong><br />
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Victor Serge, <em>Retour à l'Ouest – Chroniques (juin 1936-1940)</em>, Agone, 2010.<br />
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Au printemps 1936, Victor Serge, expulsé d'URSS, trouve refuge en Belgique. Un journal syndical, <em>La Wallonie</em> (Liège), lui ouvre ses colonnes alors qu'en France, la presse du Front populaire, dominée par les staliniens et leurs compagnons de route, refuse sa collaboration. Chaque semaine et durant quatre ans, Victor Serge va lui fournir une chronique. 93 d'entre elles ont été rassemblées dans un volume intitulé <em>Retour à l'Ouest</em>, publié ce printemps par les éditions Agone.</p> <p>Victor Serge n'est pas un théoricien, mais comme il le dit lui-même en ouverture de sa première chronique, un « écrivain militant ». Son arme, c'est la plume. Ses sources d'inspiration, sa vie mouvementée, ballottée, inscrite dans les combats politiques et sociaux dans lesquels il s'est impliqué depuis trente ans. Pas de textes théoriques donc, mais un ensemble de réactions à l'actualité. Et des portraits.
Portraits de ceux, célèbres ou anonymes, qui sont morts en changeant le monde ou que la contre-révolution stalinienne, bourgeoise ou fasciste s'est chargée d'éliminer. Il évoque le syndicaliste espagnol Angel Pestana, l'anarchiste italien Francesco Ghezzi déporté par Staline, l'antifasciste Carlo Rosselli réfugié en France et liquidé par l'extrême-droite, l'écrivain russe Boris Pilniak tombé en disgrâce, Edouard Berth, l'ami de Georges Sorel, le communiste Antonio Gramsci, mort en déportation, ou encore Léon Sedov, fils de Léon Trotsky. <br /></p>
<p>Portraits touchants, sensibles, jamais vindicatifs alors que Victor Serge aurait pu vilipender le vieux Gorki, anti-bolchevik en 1917 et serviteur de la cause stalinienne à la fin des années 1920. Mais il sait comment fonctionne la machine stalinienne et il connaît l'univers mental des milieux bolcheviks. Sur Gorki, il écrit : « Il finissait sa vie dans une sorte de rêve éveillé (...) <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/05/25/son" title="son">son</a> visage exprimait je ne sais quel dessèchement intérieur, une foi désespérément volontaire, une force presque élémentaire née de la douleur. » Et quand il évoque les grands procès de 1936-1937 qui conduisirent au bûcher tant de vieux bolcheviks de la première heure, ces procès incroyables où l'on vît les coupables s'accabler des pires maux, se baptiser fascistes, espions impérialistes, saboteurs et comploteurs ; quand il évoque ces procès donc, il explique la logique poussant ces révolutionnaires intransigeants à passer de tels aveux. Par peur ou lâcheté ? Non, « par dévouement et par calcul (...) Il s'agit pour eux de se donner à ce prix une faible chance de survivre. Un jour peut-être, la révolution aura autrement besoin d'eux, non plus pour les avilir et supplier, mais pour leur donner l'occasion tant attendue de racheter leurs pires palinodies (...) A quoi leur servirait-il d'être héroïques et dignes pour disparaître dans des ténèbres totales. »<br /></p>
<p>Héroïsme et dignité. Héroïsme des antifascistes espagnols luttant avec leur armement de bric et de broc contre Franco. Victor Serge suit avec passion la guerre d'Espagne. Il parle de la lâcheté des bourgeoisies occidentales qui se refuse à soutenir la République en danger alors que le camp des séditieux peut compter sur l'aide allemande et italienne. Il condamne également la politique stalinienne, celle qui s'oppose au processus révolutionnaire en défendant la propriété privée, celle qui règle ses comptes violemment avec les anarchistes et les "trotskystes" du POUM. <br /></p>
<pre></pre>
<p>Et il y a la guerre. Victor Serge s'accroche à l'idée que démocraties bourgeoises et Etats totalitaires, par instinct de survie, ne s'affronteront pas, trouveront un modus vivendi sur le dos des peuples. Par devoir sans doute plus que par conviction, Victor Serge s'accroche à l'idée que les classes ouvrières occidentales non encore défaites, comme le prolétariat français qui s'est illustré en 1936 en occupant les usines, sauront trouver la voie de l'unité à la base et que le mirage soviétique cessera d'aveugler les communistes sincères qui les composent. Il espère qu'elles seront en mesure alors d'imposer un nouveau compromis social à leur bourgeoisie, même s'il sait qu'entre Révolution et Réaction, la tentation est grande pour les bourgeoisies nationales de choisir l'Ordre. Hitler et Mussolini n'ont-ils pas « reçu le pouvoir » des mains des classes dominantes plus qu'ils ne l'ont conquis ? <br /></p>
<p>Le 7 mai 1940, trois jours avant que les armées allemandes n’envahissent le pays, La Wallonie publie la dernière chronique de Victor Serge. Une chronique qui parle des soldats russes occupant la Pologne, découvrant un pays qui ne connaît pas comme l'URSS la pénurie des biens de consommation et l’absence de pluralisme politique. Alors qu'il est minuit dans le siècle, Victor Serge fonde de grands espoirs sur la capacité de ces hommes, idéalistes, à comprendre que le stalinisme est un système reposant sur la répression et le mensonge, un système qui les trompe mais n’est pas encore parvenu « à les aveugler. » Volontariste, Victor Serge, à sa façon, oeuvrait à déciller les yeux de ses contemporains, persuadé qu’« aucun péril, aucune amertume ne justifient le désespoir – car la vie continue et elle aura le dernier mot. »</p>Victor Serge : une vie d'engagementurn:md5:1fb98942ab02234b721958e710fc5fa52010-05-25T12:37:00+01:00PatsyNotes de lectureCommunismeDémocratie bourgeoiseRévolution russe<p><strong>Emission n°30 (mai 2010)</strong><br />
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En 1947, un homme s’éteint au Mexique. Cet homme, c’est Victor Kibaltchitch, alias Victor Serge, écrivain prolifique et militant révolutionnaire. C’est à cette figure du 20e siècle que Susan Weissmann, professeur de sciences politiques et militante trotskyste américaine, s’est intéressée dans un livre passionnant publié en 2006 par les Editions Syllepse : <em>« Dissident dans la révolution – Victor Serge, une biographie politique »</em>.</p> <p>Quel est donc cet « éternel vagabond en quête d’idéal » ? C’est un « ouvrier, un militant, un intellectuel, un internationaliste d’expérience et de conviction, un optimiste invétéré toujours sans le sou (qui) participe à trois révolutions, passe une dizaine d’années en captivité, publie trente livres et laisse derrière lui des milliers de pages de manuscrits, de correspondances et d’articles restés non publiés. Né et mort en exil, politiquement actif dans sept pays différents, sa vie est celle d’un opposant permanent. Il s’oppose au capitalisme – d’abord comme anarchiste puis comme bolchevick, puis aux pratiques antidémocratiques des bolchevicks. Plus tard, oppositionnel de gauche, il se dresse contre Staline et polémique avec Trotski au sein de la gauche antistalinienne. Il s’oppose au fascisme et, marxiste révolutionnaire impénitent, au capitalisme de la Guerre froide. »<br /></p>
<p>Susan Weissman évoque rapidement la période anarchiste de Victor Serge durant laquelle ce fils de réfugiés russes né en Belgique et installé en France fréquente les milieux individualistes et illégalistes desquels émergera la sulfureuse Bande à Bonnot ; une fréquentation qui lui coûtera 5 ans de détention de 1913 à 1917). Elle préfère s’attacher aux pas de Victor Serge quand, expulsé de France en 1919, il pose les pieds en terre bolchevick. Il a 28 ans et il a l'âme d'un nouveau converti qui se fait un devoir de convaincre les anarchistes d’abandonner leurs billevesées au profit du marxisme. A le lire, on le sent happé par les événements, les incertitudes du moment, la fragilité du nouveau pouvoir. Certes, il prend vite conscience des tentations autoritaires présentes au sein de l’appareil bolchevick, mais il ne veut voir en elles que la conséquence de la situation, politiquement instable, économiquement et socialement catastrophique. La révolution russe est à défendre coûte que coûte, même contre les révolutionnaires qui s’insurgent contre la dictature du prolétariat. L’ancien anarchiste-individualiste, écrit même en qu’il « vaut mieux voir tort avec le parti du prolétariat que raison contre lui. »<br /></p>
<p>La position de Victor Serge n’est guère différente de celle de nombre de militants anarchistes, russes ou étrangers. Beaucoup d’entre eux, syndicalistes révolutionnaires ou anarchistes-communistes, se sont déjà ralliés aux partis communistes naissants ou, tout au moins, se battent pour défendre, même de façon critique, la « république des conseils ouvriers ». <br />
Victor Serge défend la révolution russe mais il n’est pas dupe. Certes, il soutient Trotski, dont il est proche, quand celui-ci organise la répression sanglante des marins révoltés de Cronstadt ou trahit la Confédération des paysans libres de Nestor Makhno en Ukraine. Mais il écrira plus tard qu’il refusait la propagande du parti qui disait voir dans les premiers des suppôts de la réaction tsariste, et dans les seconds, des criminels sans foi ni loi. Il considère même que les revendications des marins de Cronstadt étaient de nature à revivifier la révolution en cours… <br />
Le limousin Marcel Body évoque dans ses mémoires la rencontre de Victor Serge, avec lequel il travaillait étroitement, avec l’anarchiste américaine Emma Goldman : « Emma Goldman fit honte à Victor Serge de son attitude qui l’amenait à se cramponner à un régime qui, non seulement, arrêtait et fusillait les libertaires, mais écrasait ses propres soutiens aujourd’hui révoltés contre la faim et le dénuement. (…) Victor Serge était désemparé. Peut-être, eut-il un moment l’intention de se solidariser avec les insurgés, car il me confia un paquet de papiers importants en me disant de les garder au cas où il serait arrêté. » <br /></p>
<p>Mais Victor Serge n’est pas encore prêt à rompre. Jusqu’en 1927, il s’accroche à l’idée que des révolutions peuvent éclater en Europe occidentale et desserrer l’étau enserrant l’URSS, que l’autoritarisme du Parti bolchevick peut être tempéré, que la vieille garde bolchevick peut encore l’empêcher de sombrer entre les mains des opportunistes et des carriéristes, que le parti, après la mort de Lénine, peut éviter de sombrer dans les guerres fratricides de tendances et de clans, que des liens peuvent être renoués avec les anarchistes et les socialistes-révolutionnaires ; qu’en somme la Révolution russe peut retrouver un nouvel élan. Par la plume et l’action, il se joint à l’Opposition de gauche et participe au jeu d’alliances entre Trotski, Zinoviev et Kamenev face à Staline. Il bataille contre la bureaucratie, défend la révolution chinoise, avant de constater, amer, que le Parti communiste d’Union soviétique est irréformable. Exclu du parti en 1928, exilé à 1500 kms de Moscou, Victor Serge partage ses journées entre l’écriture, l’attente d’une possible arrestation et d’un improbable fléchissement de la dictature stalinienne. Ses livres (romans, poésies, témoignages historiques), vendus en France, lui permettent d’échapper à la misère. <br />
En 1936, grâce à une campagne internationale de soutien, il est expulsé d’URSS, y laissant là nombre de manuscrits aux mains de la police politique, manuscrits qui demeurent encore aujourd’hui introuvables. Installé en Belgique et en France, il renoue avec les exilés de l’Opposition de gauche soumis comme lui aux attaques terribles des communistes, et aux menaces constantes de liquidation physique qui pèsent sur elle. Dans cette atmosphère si favorable à la paranoïa, il se heurte rapidement au sectarisme et à l’autoritarisme de Léon Trotsky qui lui reproche notamment son peu d’enthousiasme pour cette 4e Internationale en formation.<br />
Victor Serge ne croit pas, écrit-il sèchement, qu’une « pensée nouvelle » puisse naître de ce « mouvement débile et sectaire », faits de groupuscules minés par les querelles personnelles. Face au stalinisme à l’Est et aux fascismes à l’Ouest, il défend l’idée d’une alliance internationale, « reflet des véritables tendances idéologiques des secteurs les plus avancés de la classe ouvrière. » Refaire en somme l’Association internationale des travailleurs de 1864.<br /></p>
<p>En 1941, un an après l’assassinat de Trotsky, Victor Serge fuit le nazisme et débarque pour un dernier exil à Mexico, lieu d’accueil pour nombre de militants de la gauche révolutionnaire. Malgré la fatigue physique, l’usure du temps et la précarité de sa condition sociale, il continue inlassablement à écrire romans, articles et textes théoriques, à étudier et à se brouiller avec tous ceux qui lui reprochent à la fois ses liens avec les syndicalistes-révolutionnaires ou les réformistes, et ses analyses hérétiques sur la dégénérescence de la Révolution russe ou la nature de l’URSS. Se revendiquant toujours du marxisme, mais d’un marxisme en mouvement qui n’aurait pas peur de se renouveler, Victor Serge refuse la logique des chapelles hargneuses, le patriotisme de parti. Il croit aux vertus de l’échange et du débat contradictoires, il refuse la politique de la sentence et de l’excommunication. Il écrit : « Si le socialisme ne se proclame pas comme le parti de la dignité humaine, alors sans aucun doute aucun, il sera inévitablement écrasé entre les réactionnaires et les totalitaires. »<br /></p>
<p>Si le libertaire que je suis peut reprocher quelque chose à Victor Serge, ce n’est certainement pas d’avoir rompu avec l’anarchisme en en pointant les limites ou les contradictions, mais c’est de s’être illusionné aussi longtemps sur la capacité du vieux parti bolchevick à inverser le cours des choses, d’avoir oublié qu’un réel processus révolutionnaire dépend davantage de l’activité autonome et créatrice des masses que des politiques édictées par une organisation censée l’incarner.</p>Pasqua : un parfum d'Afriqueurn:md5:aa7b6a2fd114ee50f8ba48bf630cb8362010-05-05T18:01:00+01:00PatsySociétéAfriqueDémocratie bourgeoise<p><strong>Emission n°28 (mai 2010)</strong><br /></p>
<p>J'imagine que vous fûtes, comme moi, soulagés en apprenant la quasi-relaxe de ce gaulliste historique de Charles Pasqua qui a tant fait pour le rayonnement de la France et de la Corse. J'imagine que vous fûtes, comme moi, outrés en apprenant que la clémence du tribunal était dû à l'âge du capitaine et à sa carrière au service de l'Etat. Soulagés, outrés... je plaisante évidemment.</p> <p>Je pourrais vous parler des « affaires » et autres péripéties qui ont marqué les dernières années de Charles Pasqua et dont certaines ont fait l’objet de procès. Je pourrais vous parler du SAC, du Service Action civique, célèbre structure politico-barbouzarde dans laquelle notre homme baigna pendant dix ans, de 1959 à 1969, avec le discret Jacques Foccart, éminence grise du général, spécialiste en coups tordus, notamment en Afrique. Et justement, c’est d’Afrique dont j’aimerais vous parler, parce que Charles Pasqua y joua un rôle non négligeable.<br /></p>
<p>Les relations franco-africaines depuis les dites Indépendances sont marquées par trois phénomènes. Tout d’abord, il y a une grande continuité entre les politiques menées par de Gaulle et tous les régimes qui se sont succédé ; la victoire de François Mitterrand en 1981 n’a changé en rien la nature de ces relations. Ensuite, il y a une très grande personnalisation des relations : la politique africaine de la France demeure entre les mains du Président de la République ; c’est sa chasse gardée. On peut se gausser de cela, mais il n’en demeure pas moins que les relations entre l’Etat français et la plupart des anciennes colonies sont singulières et bien différentes de ce que l’on retrouve d’ordinaire sur la scène internationale. Il y a enfin et surtout le poids du clientélisme et des réseaux : la politique gaullienne a consisté à installer au pouvoir, au moment des Indépendances, des régimes autoritaires. L’Etat français s’est donc constitué un réseau d’Etats-clients vivant par et de la corruption. C’est Jacques Foccart qui a mis en place ces réseaux économico-politiques (pour ne pas dire mafieux) capables à la fois de « nourrir » les entreprises françaises faisant leur beurre en Afrique (en empêchant l’installation d’investisseurs anglophones par exemple) et d’assurer à la cinquième république une camarilla d’Etats « indépendants » mais capables de la soutenir à l’ONU. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, ces réseaux ont été « réorganisés », les réseaux gaullistes cédant un peu de leur pouvoir aux nouveaux réseaux mitterrandiens. <br /></p>
<p>Charles Pasqua fut l’un des acteurs de ce système françafricain dans les années 1980, épaulé par des personnages aussi respectables que Didier Schuller ou le préfet Marchiani. Inutile d’évoquer ici les frères Feliciaggi, honnêtes commerçants comme il se doit… même si l’un d’eux, Robert, a été assassiné en 2006. Inutile également d’évoquer Pierre-Philippe Pasqua, le fils, apôtre de l’amitié entre les peuples, comme son papa. Comme notre président. Car ne l’oublions pas, Nicolas Sarkozy est une sorte d’héritier de Charles Pasqua ; un héritage qui dépasse largement les Hauts-de-Seine. Certes, ils se sont faits quelques coups bas mais ils ont toujours su trouver les ressources pour rebondir. Et puis Nicolas, qui déclarait en 1983 que Charles Pasqua était « l’un des hommes les plus honnêtes » qu’il connaissait a toujours su s’entourer : j’en veux pour preuve la nomination de Claude Guéant, ancien directeur général de la Police nationale quand Pasqua était ministre de l’Intérieur, au poste de secrétaire général de l’Elysée depuis mai 2007.<br /></p>
<p>Bref, comme il est de coutume en terres françafricaines, on prône régulièrement la « rupture », le « changement », la « nouvelle approche ». Tout changer pour que rien ne change, en somme. Nicolas Sarkozy a joué le même sketch à Dakar. Mais bon, comme le disait si bien son mentor à l’accent chantant de Corse : « Les promesses des hommes politiques n'engagent que ceux qui les reçoivent ». On ne saurait être plus clairs.</p>Le Monde vu par Jean-François Bayarturn:md5:1fae87361b9732f2640550e044d5b6602010-04-07T22:00:00+01:00PatsyActualité politiqueCapitalismeDémocratie bourgeoiseEtat<p><strong>Emission n°24 (avril 2010)</strong><br /></p>
<p>Le politiste Jean-François Bayart est l'un des intellectuels français les plus brillants qu'il m'ait été donné de lire, et c'est en raison même de cela qu'il est fort discret dans les grands médias, du moins je le suppose. Flânant sur le Net, je suis tombé sur l'une de ses interview avec le journaliste Antoine Mercier, interview intitulé « L'Etat n'est pas la victime mais l'enfant de la globalisation ».</p> <p>Antoine Mercier lui demandant si la crise économique actuelle était une crise de la globalisation, voici ce que Jean-François Bayart a répondu :
« C’est une crise dans la globalisation, dans le néolibéralisme. Ses origines sont très clairement néolibérales. Mais, contrairement à ce que l’on dit parfois, ses conséquences s’inscriront également dans la globalisation néolibérale. Je ne crois pas du tout en effet que la crise engendrera une déconnection par rapport à cette globalisation. Nous ne sommes pas dans une perspective de sortie du néolibéralisme. Il est même probable, à l’inverse, que la crise radicalise la logique du néolibéralisme. Pour le comprendre il faut accepter l’idée un peu paradoxale que, contrairement à ce que l’on dit souvent, l’État n’est pas la victime de la globalisation mais l’enfant de cette globalisation.<br /></p>
<p>(...) On voit très bien comment la crise va accentuer l’orientation sécuritaire de l’économie mondiale et de l’État-nation simultanément. Le 11 septembre avait déjà renforcé les préoccupations et les prérogatives sécuritaires de l’État sans remettre en cause la libéralisation des marchés des capitaux, des services et des biens. Par exemple, l’État a effectué un retour en force dans la surveillance des flux des capitaux et des flux des voyageurs. Les services secrets américains contrôlent désormais très attentivement les voyageurs transatlantiques avec les fameux scanners corporels dans les aéroports qui arrivent maintenant en Europe. Mais cette surveillance coercitive s’effectue par le biais de compagnies privées de transport qui elles-mêmes demandent à des compagnies privées de sécurité de vérifier les titres de séjour ou les visas de leurs passagers à l’embarquement. Là, on a une très belle forme de renforcement des pouvoirs policiers par le biais de la privatisation, par le bais de la compagnie privée, qui est extrêmement intéressant politiquement. Si vous aviez dû, par exemple, supprimer le droit constitutionnel d’asile en modifiant la Constitution de la Vème République, cela aurait suscité, dans l’opinion française, un émoi considérable. On constate cependant que le droit d’asile a été évidé, jour après jour, en raison de cette délégation à des opérateurs privés, du droit de contrôler les passeports et de refuser ou d’accepter des passagers. De la même manière, la privatisation de la guerre aux États-Unis a permis à l’administration Clinton, avant même l’administration Bush, de faire échapper l’intervention américaine sur des théâtres de guerre à l’étranger au contrôle du Congrès puisque ce sont des personnels privés qui interviennent en Colombie contre la drogue, en Yougoslavie pour soutenir la Croatie contre la Serbie, aujourd’hui en Irak ou en Afghanistan. Ces personnels privés peuvent être engagés sur des théâtres d’opérations, sans approbation du Congrès alors même que ce sont naturellement des faux-nez du Pentagone et de l’Armée américaine.</p>
<p>On le voit, la privatisation de l’État peut aller de pair avec le renforcement de ses prérogatives sécuritaires. C’est quelque chose que nous avons d’ailleurs très bien connu en France sous l’Ancien Régime lorsque la monarchie absolutiste était relayée par les opérateurs privés, notamment par les fermiers généraux qui étaient chargés de prélever l’impôt.<br />
(...) <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/04/07/Cette privatisation" title="Cette privatisation">Cette privatisation</a> va profondément transformer la teneur même de nos systèmes politiques. Faut-il encore parler de démocratie ? On peut en douter. Par exemple, la privatisation de la télévision ou de la radio ne va pas nécessairement de pair avec le désengagement du contrôle des autorités politiques de l’information. On le voit nettement en Italie, avec le phénomène Berlusconi, mais on le voit également en France où l’on ne peut pas dire que l’Élysée soit aujourd’hui moins présent dans le paysage médiatique qu’il ne l’était il y a quelques années ou même dans les années 1960, à l’époque de l’ORTF. Donc, la privatisation peut aller de pair avec une remise en cause de la démocratie.<br />
L’évolution du vocabulaire est sur ce plan significative. On parle de moins en moins dedémocratie et de plus en plus de gouvernance, terme extrêmement technocratique. On parle de régulation, on ne parle plus de pouvoir, on ne parle plus de dimension politique. La gouvernance, c’est un peu Foucault sans le pouvoir, un concept assez surréaliste. De plus en plus on nous parlera à propos de l’Afrique sub-saharienne de la nécessité de la bonne gouvernance. Mais on ne parlera pas de l’impératif catégorique de la démocratie, de la souveraineté nationale, de la liberté.<br /></p>
<p>Donc, je crois que la teneur même de nos sociétés politiques est en train d’évoluer et que sous couvert de dépolitisation, on va voir émerger des pouvoirs autoritaires qui échapperont de plus en plus non seulement au contrôle du peuple mais même à la délibération des peuples. C’est une évolution extraordinairement préoccupante et liberticide. »<br /></p>
<p>A celles et ceux que l'écoute de ces propos accablerait, je ne peux qu'offrir cette phrase célèbre de Antonio Gramsci, inspirée de Romain Rolland : « Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté. »</p>Michel Bakounine et la démocratieurn:md5:da10bfa1ce24ab9cee0a34ba4222a6562010-03-11T19:47:00+00:00PatsyHistoire, textes historiquesAnarchismeDémocratie bourgeoiseSuisse<p><strong>Emission n°22 (mars 2010)</strong><br /></p>
<p>Comme je viens de vous dire tout le bien que je pensais de la démocratie représentative, que l'on appelait jadis bourgeoise, il me plaît maintenant de vous délivrer l'extrait d'une brochure de ce vieux barbu de Michel Bakounine. La brochure s'intitule « Les ours de Berne et l'ours de Saint-Pétersbourg ». Elle a paru en 1870, en Suisse. Dans le passage choisi, Bakounine nous livre une analyse simple et éclairante du système démocratique le plus avancé de l'époque : celui de la Suisse. Je vous laisse méditer les propos du Camarade Dynamite...</p> <p>« Il serait facile de démontrer que nulle part en Europe le contrôle populaire n'est réel. Nous nous bornerons pour cette fois à en examiner l'application <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/en" title="en">en</a> Suisse, (...) parce qu'étant aujourd'hui seule en Europe une république démocratique, elle a réalisé en quelque sorte l'idéal de la souveraineté populaire (...)<br />
Une fois le suffrage universel établi, on crut avoir assuré la liberté des populations. Eh bien, ce fut une grande illusion, et on peut dire que la conscience de cette illusion a amené dans plusieurs cantons la chute, et, dans tous, la démoralisation aujourd'hui si flagrante du parti radical. Les radicaux n'ont pas voulu tromper le peuple, comme l'assure notre presse soi-disant libérale, mais ils se sont trompés eux-mêmes. Ils étaient réellement convaincus lorsqu'ils promirent au peuple, par le moyen du suffrage universel, la liberté, et, pleins de cette conviction, ils eurent la puissance de soulever les masses et de renverser les gouvernements aristocratiques établis. Aujourd'hui, instruits par l'expérience et par la pratique du pouvoir, ils ont perdu cette foi en eux-mêmes et dans leur propre principe, et c'est pour cela qu'ils sont abattus et si profondément corrompus.<br />
Et en effet, la chose paraissait si naturelle et si simple : une fois que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif émaneraient directement de l'élection populaire, ne devaient-ils pas devenir l'expression pure de la volonté du peuple, et cette volonté pourrait-elle produire autre chose que la liberté et la prospérité populaire ?<br /></p>
<p>Tout le mensonge du système représentatif repose sur cette fiction, qu'un pouvoir et une chambre législative sortis de l'élection populaire doivent absolument ou même peuvent représenter la volonté réelle du peuple. Le peuple, en Suisse comme partout, veut instinctivement, veut nécessairement deux choses : la plus grande prospérité matérielle possible, avec la plus grande liberté d'existence, de mouvement et d'action pour lui-même ; c'est-à-dire la meilleure organisation de ses intérêts économiques, et l'absence complète de tout pouvoir, de toute organisation politique, — puisque toute organisation politique aboutit fatalement à la négation de sa liberté. Tel est le fond de tous les instincts populaires.<br /></p>
<p>Les instincts de ceux qui gouvernent, (...) font les lois <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/et" title="et">et</a> exercent le pouvoir exécutif, sont, à cause même de leur position exceptionnelle, diamétralement opposés. Quels que soient leurs sentiments et leurs intentions démocratiques, de la hauteur où ils se trouvent placés, ils ne peuvent considérer la société autrement que comme un tuteur considère son pupille. Mais entre le tuteur et le pupille l'égalité ne peut exister. D'un côté, il y a le sentiment de la supériorité, inspiré nécessairement par une position supérieure ; de l'autre, celui d'une infériorité qui résulte de la supériorité du tuteur, exerçant soit le pouvoir exécutif, soit le pouvoir législatif. Qui dit pouvoir politique, dit domination ; mais là où la domination existe, il doit y avoir nécessairement une partie plus ou moins grande de la société qui est dominée, et ceux qui sont dominés détestent naturellement ceux qui les dominent, tandis que ceux qui dominent doivent nécessairement réprimer, et par conséquent opprimer, ceux qui sont soumis à leur domination.<br /></p>
<p>Telle est l'éternelle histoire du pouvoir politique, depuis que ce pouvoir a été établi dans le monde. C'est ce qui explique aussi pourquoi et comment des hommes qui ont été les démocrates les plus rouges, les révoltés les plus furibonds, lorsqu'ils se sont trouvés dans la masse des gouvernés, deviennent des conservateurs excessivement modérés dès qu'ils sont montés au pouvoir. On attribue ordinairement ces palinodies à la trahison. C'est une erreur ; elles ont pour cause principale le changement de perspective et de position ; et n'oublions jamais que les positions et les nécessités qu'elles imposent sont toujours plus puissantes que la haine ou la mauvaise volonté des individus.<br /></p>
<p>Pénétré de cette vérité, je ne craindrai pas d'exprimer cette conviction, que si demain on établissait un gouvernement et un conseil législatif, un parlement, exclusivement composés d'ouvriers, ces ouvriers, qui sont aujourd'hui de fermes démocrates socialistes, deviendraient après-demain des aristocrates déterminés, des adorateurs hardis ou timides du principe d'autorité, des oppresseurs et des exploiteurs. Ma conclusion est celle-ci : Il faut abolir complètement, dans le principe et dans les faits, tout ce qui s'appelle pouvoir politique ; parce que tant que le pouvoir politique existera, il y aura des dominateurs et des dominés, des maîtres et des esclaves, des exploiteurs et des exploités. Le pouvoir politique une fois aboli, il faut le remplacer par l'organisation des forces productives et des services économiques. » <br /></p>
<p>Michel Bakounine, <em>Les ours de Berne et l'ours de Saint-Pétersbourg</em>, 1870.</p>Ukraine, Irak : la démocratie "formelle"urn:md5:575928aa925e3c51991cd18812ff56592010-03-11T19:44:00+00:00PatsyActualité internationaleDémocratie bourgeoiseIrakUkraine<p><strong>Emission n°22 (mars 2010)</strong><br /></p>
<p>Depuis plusieurs années, je me gausse régulièrement des aventures palpitantes de Viktor Ianoukovitch, Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko, les trois figures centrales de la vie politique ukrainienne. Tous trois se livrent depuis la soi-disant « Révolution orange » à une sorte de vaudeville politique avec croche-pied, crêpage de chignon, pleurs, embrassades, poignées de mains… sous les yeux d'une population qui tire comme il se doit le diable par la queue.</p> <p>En septembre 2009, le président du parlement ukrainien annonçait officiellement et solennellement que la coalition gouvernementale venait d’éclater à quelques mois de la prochaine élection présidentielle. Viktor Iouchtchenko, le président pro-occidental, et Ioulia Timochenko, premier ministre pro-occidental, venaient de prendre la décision de divorcer sous le regard amusé du troisième larron, Viktor Ianoukovitch, chef de file de l’opposition pro-russe.<br />
En janvier et février dernier, les Ukrainiens se sont rendus aux urnes et ont élu président Viktor Ianoukovitch, au grand dam de Ioulia Timochenko qui, aussitôt, a hurlé au scandale, aux fraudes massives, à la corruption et à je ne sais quoi d'autre. Elle menaça même, un temps, de faire appel à la Justice ! Qu'elle se rassure : l'ex-première ministre qui a fait carrière et fortune dans l'industrie gazière, trouvera certainement un strapontin digne de son statut ! <br />
Je persifle ? Oui, mais pas plus que cela. Iouchtchenko, Ianoukovitch et Timochenko forment un trio inséparable. On pourrait y voir là une triste farce, une querelle d’ego. Il n’en est rien. Il y a effectivement, en tout politicien, le goût prononcé pour le pouvoir et la domination : le pouvoir pour le pouvoir, la domination pour la domination. Mais pour tenir le pouvoir plus d’un jour, il faut savoir constituer des réseaux, s’acheter des clientèles ou être coopté par elles. Derrière ces trois personnalités, il y a des clans politico-économiques qui savent que pour prospérer en ce bas-monde, il faut savoir tirer les bonnes ficelles. <br />
Les rivalités entre Iouchtchenko, Timochenko et Ianoukovitch ne peuvent se comprendre si l’on oublie les années durant lesquelles, comme dans le reste de l’Empire soviétique, les élites économico-politiques ont géré à leur avantage l’héritage soviétique. Elles ne peuvent d’autant moins se comprendre que Iouchtchenko et Timochenko furent, en tant que Premier ministre et Premier ministre adjoint du président de la République Léonid Koutchma, très au fait de la façon dont certains apparatchiks étaient devenus des oligarques. Car durant l’ère Koutchma, au nom bien sûr de la rationalité et de la productivité, des pans entiers de l’économie ukrainienne sont passés entre les mains avides de différents clans pro-gouvernementaux. Koutchma a bradé les fleurons de l’industrie nationale vacillante à son réseau le plus proche, et lors de la fameuse Révolution Orange, l’Opposition a bien évidemment condamné ces magouilles et arrangements, jurant qu’une fois au pouvoir, elle remettrait de l’ordre dans la maison ! <br />
De leur côté, les hommes d’affaires ukrainiens ont bien vite compris que leur survie économique dépendrait de leur capacité à ne pas rester en marge du cirque politique. Certes, ils étaient protégés par Koutchma, mais on n’est jamais aussi bien protégé que par soi-même ! C’est pourquoi nombre d’entre eux ont fait le choix d’entrer dans l’arène politique, investissant certains partis, les finançant grassement ou même en se faisant élire à la chambre des députés. Ils y gagnaient notamment l’immunité parlementaire.<br /></p>
<p>Cela nous remet en mémoire une trop simple banalité : les forces politiques défendent des intérêts de classe qu’elles présentent toujours sous l’étendard de l’intérêt général. L’Histoire nous apprend que l’intérêt général est bien souvent particulier. Ou plus précisément, que c’est la classe dominante, et les fractions de classes subordonnées qui la soutiennent, qui indique ce que doit être l’intérêt général. Ainsi va la démocratie bourgeoise...<br />
Mais Mohamed Al-Wadi y croit encore fermement. Ce journaliste du quotidien bagdadi Kul Al-Iraq écrit ainsi : « Il n'y a aucune contradiction à soutenir la démocratie tout en condamnant ceux qui ont été élus et l'ont dénaturé, et en dénonçant parmi eux les corrompus ou les voleurs. »
Il ya quelques jours, les Irakiens ont été conviés à se rendre aux urnes pour élire leurs députés, voire reconduire les sortants ; des sortants dont Al-Wadi, sarcastique, nous dit qu'ils auraient « eu du mal à se faire employer comme subalternes dans un bureau d'arrière-cour, pour ne pas dire comme personnel de nettoyage au Parlement, par respect pour cet honorable métier ». Son confrère Abbas Allaoui n'est guère plus tendre : « Vous avez trahi les citoyens qui ont bravé le terrorisme pour aller voter. Ils espéraient la démocratie et vous leur avez apporté vos turpitudes. Votre bilan est écoeurant. »<br />
Mais il en faut plus pour décourager Mohammed Al-Wadi. Il croît à la démocratie « car la démocratie offre l'avantage de pouvoir remplacer <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/les corrompus" title="les corrompus">les corrompus</a> un jour aisément par le même mécanisme », celui du vote. Sauf que, qui dit parlement, dit partis politiques, donc organisations hiérarchiques avec des chefs et des sous-chefs qui aspirent à le devenir. Qui dit partis politiques, dits moyens financiers pour faire fonctionner la boutique, occuper les médias, payer des permanents. Et ce sont les directions des partis qui présentent des candidats à tous les niveaux du cirque électoral. Et ce sont les directions des partis qui font et défont les carrières de leurs membres, de la même façon qu'adhérer à une organisation politique est aussi un moyen pour l'ambitieux de grimper dans l'échelle sociale, de se tailler une part du gâteau. Et les carriéristes sont comme les feuilles mortes, on peut en ramasser à la pelle la saison venue (précisons que le carriérisme n'est pas une maladie génétique mais un virus que l'on peut attraper très facilement dès que l'on baigne dans un univers d'intrigues ou un milieu qui favorise la servilité).<br /></p>
<p>Comme le disaient si bien les conseillistes allemands en 1920 : « Les partis ont exactement le caractère de l'organisation capitaliste (...) Le chef commande, la masse obéit. En haut, un leader ou un groupe de gouvernants ; en bas, une armée de gouvernés, quelques renards et des millions d'ânes. C'est le principe des moutons de Panurge. La masse est l'objet de la politique, c'est un objet que les « chefs » manipulent selon leurs besoins. »<br /></p>
<p>Mohammed Al-Wadi peut toujours rêver qu'un jour des « démocrates sincères », car il doit bien y en avoir !, investissent en masse les travées de l'Assemblée nationale irakienne. Cela voudra dire que les dominés auront divorcé d'avec leurs élites politiques et économiques, ne croiront plus leurs sornettes, les discours et auront repris confiance en leurs capacités à gérer sans intermédiaire leur vie au quotidien. Auront-ils alors besoin de la tutelle de « démocrates sincères » ? Car « quels que soient leurs sentiments et leurs intentions démocratiques, de la hauteur où ils se trouvent placés, <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/03/11/les démocrates sincères" title="les démocrates sincères">les démocrates sincères</a> ne peuvent considérer la société autrement que comme un tuteur considère son pupille. Mais entre le tuteur et le pupille, l'égalité ne peut exister. » (Bakounine, 1870)</p>Confluences Méditerranée : Liban, de problèmes en crisesurn:md5:f03ebba28ee29afe8a6c53f81ed95c042010-01-24T12:37:00+00:00PatsyNotes de lectureDémocratie bourgeoiseLibanReligion<p><strong>Emission n°16 (janvier 2010)</strong><br /></p>
<p><strong>Confluences Méditerranée</strong>, n°70 (Eté 2009,<em> Liban, de problèmes en crises</em>), L'Harmattan.<br /></p>
<p>« Pour que je revienne aux urnes, il faudrait d'autres candidats. Des candidats qui ne soient pas le produit d'un système féodal totalement dépourvu de sens, des candidats qui ne soient pas issus de familles dont l'histoire est sanglante, des candidats intègres et qui défendent des principes qui me tiennent à coeur. » Ainsi parle Samar, Libanaise d'une trentaine d'années. En peu de mots, cette jeune femme éduquée qui travaille dans une ONG résume fort bien la situation politique du Liban, pays qui fait l'objet du dernier numéro de la revue <em>Confluences Méditerranée</em>.</p> <p>Une douzaine de chercheurs et journalistes ont été invités à dresser le tableau de ce pays-mosaïque où les élites de toutes les confessions se disputent le pouvoir depuis des décennies. <br /></p>
<p>Les dernières élections législatives de juin 2009, marquées par un fort abstentionnisme, n'ont guère apporté de motifs d'espoir. L'heure est plutôt au raidissement. Le politologue Sami Aoun souligne ainsi que la gauche et le camp laïque ont disparu des bancs de l'Assemblée nationale au profit des forces politiques confessionnelles. Car il n'y a pas de « citoyens » au Liban, mais des Chrétiens, des Sunnites, des Chiites, des Druzes qui se rendent aux urnes et apportent majoritairement leurs suffrages aux caciques qui se présentent comme les représentants légitimes de la communauté. Il n'y a pas de « citoyens » au Liban mais des clientèles électorales captives qui se mettent sous la protection d'un chef, votent et attendent en retour que celui-ci leur permette de vivre mieux au quotidien. Confessionnalisme et clientélisme sont les deux piliers du système politique libanais. Et il n'y a aucune raison que cela change. L'économiste René Yerli nous explique ainsi que « le repli communautaire alimenté par la pauvreté grandissante dans un pays où les filets sociaux ultimes sont fournis non par l'Etat mais par la famille proche et souvent par la grande famille qu'est la communauté religieuse permet à certaines élites dirigeantes communautaires de récupérer politiquement les couches les plus pauvres de leur communauté par l'intermédiaire des services sociaux privés. » C'est le cas notamment du Hezbollah, représentant hégémonique de la communauté chiite, qui creuse des puits, forme à l'agriculture, tient des écoles et des hôpitaux, assure la distribution d'eau potable et d'électricité dans les zones qu'il contrôle. <br /></p>
<p>L'économiste Ziad Hafez n'y va pas quatre chemins. A ses yeux, le Liban « n'est désormais qu'une confédération de communautés religieuses et de tribus ». Le Libanais est pieds et poings liés. Il n'existe pas en dehors de sa communauté : « Instrumentalisant la religion pour justifier l'injustifiable, <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/01/24/l'establishment politique libanais" title="l'establishment politique libanais">l'establishment politique libanais</a> exacerbe délibérément les peurs, les angoisses, et mêmes les fantasmes pour consolider une mentalité de siège et d'assiégé. Ainsi, la communauté est en danger si les chefs de ladite communauté n'obtiennent pas « leur part du gâteau ». leur intérêt personnel est assimilé à celui de la communauté (...) Un climat de suspicion domine alors le comportement des factions. »<br /></p>
<p>Tenir la machine étatique, ne serait-ce que par un bout, c'est avoir l'assurance d'avoir accès aux ressources financières, c'est être en mesure de faire avancer ses affaires et celles de ses amis, c'est être en capacité d'être corruptibles, c'est se constituer une rente. Les politiciens libanais sont des prédateurs dont le principal souci est de ne pas se retrouver exclus du jeu. D'où des alliances pouvant apparaître contre-nature aux profanes, comme celle liant le Hezbollah, mouvement chiite pro-syrien, et le parti du général Aoun, chrétien maronite anti-syrien, où les volte-faces du chef druze Walid Jumblatt, qui fut longtemps l'ami du pouvoir syrien et l'ennemi des milices chrétiennes, avant d'agonir d'injures Bachir El-Assad et d'en appeler à une alliance interconfessionnelle. <br /></p>
<p>L'histoire du Liban contemporain est une histoire de consensus et de dissensus comme le souligne Ghassan El-Ezzi : « Ce régime alterne ainsi entre les phases de « consensus » où les leaders se partagent le gâteau du pouvoir, et les phases de « dissensus », souvent pour des raisons qui les dépassent, qui portent les germes d'un conflit et même d'une « guerre pour les autres », à savoir leur « protecteurs » étrangers. »<br /></p>
<p>Il faudra du temps avant que Samar ne se réconcilie avec la « démocratie libanaise ».</p>
<hr />
<p>Cette note a été publiée dans le n°198 (mars 2010) de <strong>Courant alternatif</strong>.</p>ORWELL, George, Ecrits politiques (1928-1946), Agone, 2009.urn:md5:da9650b306c945ea3b50e87d4892e8752009-11-06T18:23:00+00:00PatsyNotes de lectureDémocratie bourgeoiseOrwell<p><strong>Emission n°6 (novembre 2009)</strong><br /></p>
<p><em>1984</em>, <em>La Ferme des animaux</em>, <em>Hommage à la Catalogne</em>... Pour beaucoup, George Orwell se résume à ces deux chefs d'oeuvre et à ce témoignage important, essentiel, sur sa participation à la guerre civile en Espagne. Bien peu en revanche savent que George Orwell fut à sa façon un activiste politique et un chroniqueur engagé. <br />
Après avoir publié <em>La politique selon Orwell</em> de John Newsinger en 2006 et, en 2008, <em>A ma guise</em>, recueil de chroniques écrites entre 1943 et 1947, les éditions Agone ont eu la judicieuse idée de rassembler un certain nombre d'écrits inédits en français de l'écrivain anglais, rédigés entre 1928 et 1949.</p> <p>Ces écrits sont à la fois des lettres, des essais politiques ou bien encore des notes de lecture. L'ensemble est assez inégal, mais la plupart des textes contenus dans ce livre sont passionnants. C'est le cas de « La grande misère de l'ouvrier britannique », publié en 1928 et 1929, une plongée édifiante dans le monde des prolétaires, des chômeurs et des vagabonds soumis au contrôle sourcilleux de travailleurs sociaux qui, nous dit Orwell, « veillent à ce qu'ils n'oublient pas un seul instant qu'ils ne sont que des parias, vivant au dépens du public, et qu'ils doivent, par conséquent, en toute circonstance, se montrer humbles et soumis » ; mais aussi de ces réflexions sur l'Empire colonial britannique, des inéluctables indépendances de la Birmanie et de l'Inde, et de l'incapacité du travaillisme britannique à s'emparer de cette question. Sur la guerre civile espagnole, les lettres et analyses d'Orwell nous le montrent en colère et toujours sous le choc de l'expérience vécue : en colère parce que la realpolitik des puissances européennes « démocratiques » a liquidé l'expérience révolutionnaire en cours ; en colère contre l'URSS et la cécité des intellectuels communistes à admettre la trahison du Komintern ; sous le choc de la capacité des travailleurs, des « gens ordinaires » comme il l'écrit, à se prendre en main, à se battre et à tenter d'édifier un autre monde : « Etre en Espagne à cette époque était une expérience étrange et touchante parce qu'on avait devant soi le spectacle d'un peuple qui savait ce qu'il voulait, d'un peuple qui faisait face à son destin les yeux grands ouverts. »</p>
<p>Une large partie des documents rassemblés ici concerne la situation politique de l'Angleterre avant, pendant et à la sortie de la Seconde guerre mondiale. Pour Orwell, qui se fait là stratège, la guerre qui s'annonce, lourde de menaces, offre cependant une opportunité : celle de voir émerger un socialisme britannique, démocratique, humaniste, éthique, reposant sur une alliance entre classe ouvrière et classe moyenne, cimenté par le patriotisme et l'idéal démocratique. Il considère que cette chance existe parce que les capitalistes britanniques se savent condamnés en cas de victoire nazie ; et que le temps de leur omnipotence est terminé.</p>
<p>Orwell rejette le pacifisme tout comme le défaitisme révolutionnaire car, écrit-il, « toute tentative de renverser notre classe dirigeante sans défendre nos côtes entraînerait immédiatement l'occupation de la Grande-Bretagne par les nazis et l'installation d'un gouvernement fantoche, comme en France ». C'est pourquoi il appelle les socialistes à rejoindre la Home guard, sorte de milice de volontaires, à en prendre le contrôle ou, du moins, à empêcher qu'elle ne se transforme en milice réactionnaire.</p>
<p>En 1945, un raz-de-marée électoral porte les travaillistes au pouvoir. Orwell suit avec attention les premiers pas du gouvernement Attlee. Désabusé ou pragmatique, il note que « le parti travailliste, dans l'esprit de l'homme ordinaire, ne signifie pas républicanisme, et encore moins le drapeau rouge, les barricades et le règne de la terreur : il signifie le plein-emploi, la distribution gratuite de lait dans les écoles, trente shillings par semaine pour les retraités et, en général, la justice pour les travailleurs. » Orwell nous livre peut-être là une clé pour comprendre ses conceptions politiques. La pensée politique d'Orwell n'entre en fait dans aucun cadre idéologique : il n'est pas marxiste parce qu'il refuse l'économicisme et le matérialisme historique ; il n'est pas anarchiste parce qu'il ne conçoit pas la vie sociale sans superstructure étatique ; il n'est pas social-démocrate car il a souffert de ses lâchetés durant la guerre civile d'Espagne.</p>
<p>Qu'est-il alors ? Dans un texte intitulé « Le socialisme et les intellectuels », il écrit : « Je suggère que le véritable objectif du socialisme n'est pas le bonheur <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2009/10/30/mais" title="mais">mais</a> la fraternité humaine (...) Si les hommes s'épuisent dans des luttes politiques déchirantes, se font tuer dans des guerres civiles ou torturer dans les prisons secrètes de la Gestapo, ce n'est pas afin de mettre en place un paradis avec chauffage central, air conditionné et éclairage (...) mais parce qu'ils veulent un monde dans lequel les hommes s'aiment les uns les autres au lieu de s'escroquer et de se tuer les uns les autres. » <br />
Le socialisme d'Orwell se tient peut-être tout entier dans ces quelques phrases. Orwell refuse que le socialisme se réduise à n'être qu'un partage plus équitable des richesses produites, car il voit que le « principe d'hédonisme » tend à gangrener les sociétés capitalistes occidentales. Pour lui, le socialisme est un idéal qui se construit pas après pas et qui repose sur le volontarisme de l'homme ordinaire, sur son idéalisme, son ascétisme et son engagement perpétuel. Le socialisme orwellien est syncrétique, et il serait intéressant de le mettre en relation avec le « socialisme libéral » défendu par Carlo Rosselli, autrement dit un socialisme qui dit haut et fort « que la liberté, présupposé de la vie morale aussi bien de l'individu que des collectivités, est le plus efficace moyen et l'ultime fin du socialisme » (Carlo Rosselli, <em>Socialisme libéral</em>, Bord de l'eau Ed., 1930 (Reed. 2009), p. 157). Et je crois pouvoir affirmer que George Orwell se serait reconnu dans ces mots de Rosselli : « Si les hommes n'ont pas, enracinés en eux, le sens de la dignité et le sens de la responsabilité, s'ils n'ont pas le fier sentiment de leur autonomie, s'ils ne sont pas émancipés dans leur vie intérieure, le socialisme ne peut se réaliser. » (Carlo Rosselli, id., p. 129). Mais à vrai dire, qui n'en est pas convaincu ?</p>
<p><strong>Nota</strong> : le "socialisme libéral" défendu par Rosselli est a cent lieues du social-libéralisme en vogue au sein de la "gauche social-démocrate européenne". Les Italiens font un distinguo entre le libéralisme politique et le libéralisme économique (qu'ils appellent "libérisme"). En gros, Blair serait aux yeux de Rosselli un social-libériste et non un social-libéral. Mais bon, lisez son livre pour tout bien comprendre !</p>
<p><strong>Nota 2</strong> : Cette note de lecture, remaniée, a fait l'objet d'une publication dans le n°194 (novembre 2009) de <em>Courant alternatif</em>. Une autre version a été publiée dans le n° de janvier 2010 de la revue Gavroche.</p>Ils appellent cela démocratieurn:md5:69c083c665cc96d5f902b15f40c9a75e2009-10-12T20:25:00+01:00PatsyActualité internationaleAfghanistanAnarchismeDémocratie bourgeoiseEuropeGabonIran<p><a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2009/10/12/Emission n°3, octobre 2009" title="Emission n°3, octobre 2009">Emission n°3, octobre 2009</a></p>
<p>« Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit. » (Octave Mirbeau, La grève des électeurs, 1888). Avec ces mots cinglants et sarcastiques, l'écrivain Octave Mirbeau nous disait tout le bien qu'il pensait à la fin du 19e siècle de cette démocratie bourgeoise aux mains des repus, des conservateurs, des calotins.
J'aimerais revenir ce soir, et rapidement, sur quatre élections importantes qui se sont déroulées ces derniers mois, et notamment le traitement qui leur fut réservé par nos medias.</p> <p>Il y eut d'abord l'élection présidentielle iranienne et la victoire contestée d'Ahmadinejad. Ahmadinejad incarnait le Mal ; Mir Hossein Moussavi, ancien Premier ministre de 1981 à 1989, le Bien. Les médias se sont donc déchaînés sur le premier, l'accablant de tous les maux (et il est vrai que la teneur anti-impérialiste grossière des discours de ce dernier, son antisémitisme se prêtent sans souci à ce type d'exercice). Mais comme Moussavi est un membre du sérail islamiste et, à ce titre, ne peut guère représenter pour l'Occident l'Idéal démocratique, nos medias donnèrent la parole à la jeunesse de Téhéran, avide de liberté. Et c'est bien le problème. Téhéran n'est pas l'Iran et la jeunesse éduquée, qui va à l'Université et est issue en grande partie des classes moyennes et supérieures, n'est pas le peuple. Y a-t-il eu des fraudes ? Probablement. Mais ces fraudes étaient-elles de nature à empêcher Ahmaninejad de conserver le pouvoir ? Rien n'est moins sûr. L'élection iranienne n'a pas opposée des conservateurs autoritaires à des démocrates, mais deux fractions de l'élite islamiste en guerre pour le contrôle de la machine étatique.</p>
<p>En Afghanistan, c'est Hamid Karzaï qui l'a emporté devant Abdullah Abdullah. Nicolas Sarkozy s'est empressé de déclarer que la campagne s'était « bien déroulée, en dépit des pires menaces », ajoutant qu'en « votant, les Afghans ont dit non à la barbarie et au terrorisme. » On pourrait lui rétorquer qu'en votant, les Afghans ont plutôt dit oui à une mascarade, car beaucoup d'observateurs s'accordent à dire que le bourrage des urnes fut de mise dans nombre d'endroits où l'Etat central est un fantôme.</p>
<p>L'Afghanistan est en guerre et des régions entières sont sous le contrôle des Talibans ; celles qui ne le sont pas doivent subir les politico-mafieux qui règnent en maître avec le soutien d'un pouvoir central bien démuni. Le gouvernement américain n'aime pas Karzaï car ce dernier a échoué. Washington pensait qu'en mettant au pouvoir un Pachtoune, cela rassurerait la communauté majoritaire du pays et cela légitimerait la présence occidentale dans le pays. Des années plus tard, on s'aperçoit que les tribus pachtounes sont de nouveau attirées par le mouvement taliban qui, dans les zones qu'il contrôle, a ramené l'ordre ; d'autant qu'à chaque bavure de l'armée d'occupation (et Dieu sait qu'elles sont nombreuses !), ce sont autant d'Afghans de perdu pour la « cause de la démocratie ». Washington a donc décidé de miser sur Abdullah Abdullah, un tadjike, proche de feu commandant Massoud, qui, a priori, ne devrait guère être porté au compromis avec les Talibans. Mais Karzaï, lui, tient bon : il a ses réseaux et il a la conviction qu'il est encore possible de négocier avec les Talibans, avant que ceux-ci ne soient solidement implantés au-delà de leur base pachtoune. A l'occasion de ces élections présidentielles, c'est à l'émancipation d'une « marionnette » que l'on a assistée.</p>
<p>Au Gabon, nous fûmes dans la caricature la plus absolue. Trois « véritables » candidats en lice : Ali Bongo, le fils de son père ; Pierre Mamboundou, l'inoxydable opposant ; André Mba Obame, ex-opposant rallié dans les années 1980 au pouvoir, plusieurs fois ministre sous Omar Bongo, revenu en dissidence à l'occasion de ce scrutin. Dès l'annonce des résultats, le vainqueur a promis l'unité, le respect et la concorde nationale ; les vaincus ont quant à eux fustigé le bourrage des urnes, les manipulations diverses et variées. Si l'on écarte Mamboundou, l'opposant historique, irréductible... et voué à le rester, cette élection a opposé deux membres du sérail qui attendaient qu'Omar Bongo, pilier de la Françafrique, décède pour enfin s'emparer de la machine étatique. La démocratie ? Ils s'en fichent. Ce qui compte pour eux, c'est le pouvoir politique parce que c'est en contrôlant celui-ci que l'on a accès au pouvoir économique. Cruelle ironie : le parti de la mafia Bongo s'appelle le Parti démocratique gabonais (PDG). Oui, le Gabon est dirigée comme une entreprise : avec un autocrate comme patron, des collaborateurs qui se complaisent dans l'obséquiosité, et un peuple travailleur qui attend le prochain plan social.</p>
<p>Vous m'en auriez voulu de ne pas évoquer, j'imagine, le scrutin irlandais. Là encore, on mesure à quel point une élection peut être un simulacre. Comme les citoyens français et hollandais avant eux, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les citoyens irlandais avaient repoussé le traité constitutionnel dit de Lisbonne, en juin 2008. Après des mois de tractations en tout genre, ils ont été appelés de nouveau aux urnes dernièrement et, cette fois-ci, le Oui l'a emporté. L'Europe libérale, pardon, l'Europe de la Paix est sauvée ! Les femmes sont rassurées : elles devront toujours s'exiler pour subir une interruption volontaire de grossesse ; les travailleurs sont rassurés : leurs entreprises bénéficieront toujours du dumping fiscal qui fait de l'Irlande un Eldorado pour les experts en manipulation financière. Il ne reste plus que la Tchécoslovaquie, la Pologne et enfin l'Allemagne pour que le Traité de Lisbonne soit définitivement adopté et se retrouve en bonne place sur toutes les tables de nuit des honnêtes citoyens européens.</p>
<p>La démocratie comme l'égalité des citoyens est une fiction qui nous fait perdre de vue l'essentiel. Et Jules Chazoff, prolétaire de métier et anarchiste de coeur, avait bien raison d'écrire : « L'homme veut être libre et la démocratie, si elle ne lui donne pas la liberté, lui offre tout au moins l'illusoire et l'éphémère satisfaction de se croire libre politiquement, alors qu'il est enchaîné dans les lois économiques dont il forge lui-même les mailles. »</p>