Le Monde comme il va - Tag - CommunismeLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearVictor Serge, Retour à l'Ouest (1936-1940)urn:md5:063109abd014b6f6a87044657878e64a2010-05-25T12:40:00+01:00PatsyNotes de lectureCommunismeDémocratie bourgeoiseGuerre d EspagneStalinisme<p><strong>Emission n°30 (mai 2010)</strong><br />
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Victor Serge, <em>Retour à l'Ouest – Chroniques (juin 1936-1940)</em>, Agone, 2010.<br />
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Au printemps 1936, Victor Serge, expulsé d'URSS, trouve refuge en Belgique. Un journal syndical, <em>La Wallonie</em> (Liège), lui ouvre ses colonnes alors qu'en France, la presse du Front populaire, dominée par les staliniens et leurs compagnons de route, refuse sa collaboration. Chaque semaine et durant quatre ans, Victor Serge va lui fournir une chronique. 93 d'entre elles ont été rassemblées dans un volume intitulé <em>Retour à l'Ouest</em>, publié ce printemps par les éditions Agone.</p> <p>Victor Serge n'est pas un théoricien, mais comme il le dit lui-même en ouverture de sa première chronique, un « écrivain militant ». Son arme, c'est la plume. Ses sources d'inspiration, sa vie mouvementée, ballottée, inscrite dans les combats politiques et sociaux dans lesquels il s'est impliqué depuis trente ans. Pas de textes théoriques donc, mais un ensemble de réactions à l'actualité. Et des portraits.
Portraits de ceux, célèbres ou anonymes, qui sont morts en changeant le monde ou que la contre-révolution stalinienne, bourgeoise ou fasciste s'est chargée d'éliminer. Il évoque le syndicaliste espagnol Angel Pestana, l'anarchiste italien Francesco Ghezzi déporté par Staline, l'antifasciste Carlo Rosselli réfugié en France et liquidé par l'extrême-droite, l'écrivain russe Boris Pilniak tombé en disgrâce, Edouard Berth, l'ami de Georges Sorel, le communiste Antonio Gramsci, mort en déportation, ou encore Léon Sedov, fils de Léon Trotsky. <br /></p>
<p>Portraits touchants, sensibles, jamais vindicatifs alors que Victor Serge aurait pu vilipender le vieux Gorki, anti-bolchevik en 1917 et serviteur de la cause stalinienne à la fin des années 1920. Mais il sait comment fonctionne la machine stalinienne et il connaît l'univers mental des milieux bolcheviks. Sur Gorki, il écrit : « Il finissait sa vie dans une sorte de rêve éveillé (...) <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2010/05/25/son" title="son">son</a> visage exprimait je ne sais quel dessèchement intérieur, une foi désespérément volontaire, une force presque élémentaire née de la douleur. » Et quand il évoque les grands procès de 1936-1937 qui conduisirent au bûcher tant de vieux bolcheviks de la première heure, ces procès incroyables où l'on vît les coupables s'accabler des pires maux, se baptiser fascistes, espions impérialistes, saboteurs et comploteurs ; quand il évoque ces procès donc, il explique la logique poussant ces révolutionnaires intransigeants à passer de tels aveux. Par peur ou lâcheté ? Non, « par dévouement et par calcul (...) Il s'agit pour eux de se donner à ce prix une faible chance de survivre. Un jour peut-être, la révolution aura autrement besoin d'eux, non plus pour les avilir et supplier, mais pour leur donner l'occasion tant attendue de racheter leurs pires palinodies (...) A quoi leur servirait-il d'être héroïques et dignes pour disparaître dans des ténèbres totales. »<br /></p>
<p>Héroïsme et dignité. Héroïsme des antifascistes espagnols luttant avec leur armement de bric et de broc contre Franco. Victor Serge suit avec passion la guerre d'Espagne. Il parle de la lâcheté des bourgeoisies occidentales qui se refuse à soutenir la République en danger alors que le camp des séditieux peut compter sur l'aide allemande et italienne. Il condamne également la politique stalinienne, celle qui s'oppose au processus révolutionnaire en défendant la propriété privée, celle qui règle ses comptes violemment avec les anarchistes et les "trotskystes" du POUM. <br /></p>
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<p>Et il y a la guerre. Victor Serge s'accroche à l'idée que démocraties bourgeoises et Etats totalitaires, par instinct de survie, ne s'affronteront pas, trouveront un modus vivendi sur le dos des peuples. Par devoir sans doute plus que par conviction, Victor Serge s'accroche à l'idée que les classes ouvrières occidentales non encore défaites, comme le prolétariat français qui s'est illustré en 1936 en occupant les usines, sauront trouver la voie de l'unité à la base et que le mirage soviétique cessera d'aveugler les communistes sincères qui les composent. Il espère qu'elles seront en mesure alors d'imposer un nouveau compromis social à leur bourgeoisie, même s'il sait qu'entre Révolution et Réaction, la tentation est grande pour les bourgeoisies nationales de choisir l'Ordre. Hitler et Mussolini n'ont-ils pas « reçu le pouvoir » des mains des classes dominantes plus qu'ils ne l'ont conquis ? <br /></p>
<p>Le 7 mai 1940, trois jours avant que les armées allemandes n’envahissent le pays, La Wallonie publie la dernière chronique de Victor Serge. Une chronique qui parle des soldats russes occupant la Pologne, découvrant un pays qui ne connaît pas comme l'URSS la pénurie des biens de consommation et l’absence de pluralisme politique. Alors qu'il est minuit dans le siècle, Victor Serge fonde de grands espoirs sur la capacité de ces hommes, idéalistes, à comprendre que le stalinisme est un système reposant sur la répression et le mensonge, un système qui les trompe mais n’est pas encore parvenu « à les aveugler. » Volontariste, Victor Serge, à sa façon, oeuvrait à déciller les yeux de ses contemporains, persuadé qu’« aucun péril, aucune amertume ne justifient le désespoir – car la vie continue et elle aura le dernier mot. »</p>Victor Serge : une vie d'engagementurn:md5:1fb98942ab02234b721958e710fc5fa52010-05-25T12:37:00+01:00PatsyNotes de lectureCommunismeDémocratie bourgeoiseRévolution russe<p><strong>Emission n°30 (mai 2010)</strong><br />
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En 1947, un homme s’éteint au Mexique. Cet homme, c’est Victor Kibaltchitch, alias Victor Serge, écrivain prolifique et militant révolutionnaire. C’est à cette figure du 20e siècle que Susan Weissmann, professeur de sciences politiques et militante trotskyste américaine, s’est intéressée dans un livre passionnant publié en 2006 par les Editions Syllepse : <em>« Dissident dans la révolution – Victor Serge, une biographie politique »</em>.</p> <p>Quel est donc cet « éternel vagabond en quête d’idéal » ? C’est un « ouvrier, un militant, un intellectuel, un internationaliste d’expérience et de conviction, un optimiste invétéré toujours sans le sou (qui) participe à trois révolutions, passe une dizaine d’années en captivité, publie trente livres et laisse derrière lui des milliers de pages de manuscrits, de correspondances et d’articles restés non publiés. Né et mort en exil, politiquement actif dans sept pays différents, sa vie est celle d’un opposant permanent. Il s’oppose au capitalisme – d’abord comme anarchiste puis comme bolchevick, puis aux pratiques antidémocratiques des bolchevicks. Plus tard, oppositionnel de gauche, il se dresse contre Staline et polémique avec Trotski au sein de la gauche antistalinienne. Il s’oppose au fascisme et, marxiste révolutionnaire impénitent, au capitalisme de la Guerre froide. »<br /></p>
<p>Susan Weissman évoque rapidement la période anarchiste de Victor Serge durant laquelle ce fils de réfugiés russes né en Belgique et installé en France fréquente les milieux individualistes et illégalistes desquels émergera la sulfureuse Bande à Bonnot ; une fréquentation qui lui coûtera 5 ans de détention de 1913 à 1917). Elle préfère s’attacher aux pas de Victor Serge quand, expulsé de France en 1919, il pose les pieds en terre bolchevick. Il a 28 ans et il a l'âme d'un nouveau converti qui se fait un devoir de convaincre les anarchistes d’abandonner leurs billevesées au profit du marxisme. A le lire, on le sent happé par les événements, les incertitudes du moment, la fragilité du nouveau pouvoir. Certes, il prend vite conscience des tentations autoritaires présentes au sein de l’appareil bolchevick, mais il ne veut voir en elles que la conséquence de la situation, politiquement instable, économiquement et socialement catastrophique. La révolution russe est à défendre coûte que coûte, même contre les révolutionnaires qui s’insurgent contre la dictature du prolétariat. L’ancien anarchiste-individualiste, écrit même en qu’il « vaut mieux voir tort avec le parti du prolétariat que raison contre lui. »<br /></p>
<p>La position de Victor Serge n’est guère différente de celle de nombre de militants anarchistes, russes ou étrangers. Beaucoup d’entre eux, syndicalistes révolutionnaires ou anarchistes-communistes, se sont déjà ralliés aux partis communistes naissants ou, tout au moins, se battent pour défendre, même de façon critique, la « république des conseils ouvriers ». <br />
Victor Serge défend la révolution russe mais il n’est pas dupe. Certes, il soutient Trotski, dont il est proche, quand celui-ci organise la répression sanglante des marins révoltés de Cronstadt ou trahit la Confédération des paysans libres de Nestor Makhno en Ukraine. Mais il écrira plus tard qu’il refusait la propagande du parti qui disait voir dans les premiers des suppôts de la réaction tsariste, et dans les seconds, des criminels sans foi ni loi. Il considère même que les revendications des marins de Cronstadt étaient de nature à revivifier la révolution en cours… <br />
Le limousin Marcel Body évoque dans ses mémoires la rencontre de Victor Serge, avec lequel il travaillait étroitement, avec l’anarchiste américaine Emma Goldman : « Emma Goldman fit honte à Victor Serge de son attitude qui l’amenait à se cramponner à un régime qui, non seulement, arrêtait et fusillait les libertaires, mais écrasait ses propres soutiens aujourd’hui révoltés contre la faim et le dénuement. (…) Victor Serge était désemparé. Peut-être, eut-il un moment l’intention de se solidariser avec les insurgés, car il me confia un paquet de papiers importants en me disant de les garder au cas où il serait arrêté. » <br /></p>
<p>Mais Victor Serge n’est pas encore prêt à rompre. Jusqu’en 1927, il s’accroche à l’idée que des révolutions peuvent éclater en Europe occidentale et desserrer l’étau enserrant l’URSS, que l’autoritarisme du Parti bolchevick peut être tempéré, que la vieille garde bolchevick peut encore l’empêcher de sombrer entre les mains des opportunistes et des carriéristes, que le parti, après la mort de Lénine, peut éviter de sombrer dans les guerres fratricides de tendances et de clans, que des liens peuvent être renoués avec les anarchistes et les socialistes-révolutionnaires ; qu’en somme la Révolution russe peut retrouver un nouvel élan. Par la plume et l’action, il se joint à l’Opposition de gauche et participe au jeu d’alliances entre Trotski, Zinoviev et Kamenev face à Staline. Il bataille contre la bureaucratie, défend la révolution chinoise, avant de constater, amer, que le Parti communiste d’Union soviétique est irréformable. Exclu du parti en 1928, exilé à 1500 kms de Moscou, Victor Serge partage ses journées entre l’écriture, l’attente d’une possible arrestation et d’un improbable fléchissement de la dictature stalinienne. Ses livres (romans, poésies, témoignages historiques), vendus en France, lui permettent d’échapper à la misère. <br />
En 1936, grâce à une campagne internationale de soutien, il est expulsé d’URSS, y laissant là nombre de manuscrits aux mains de la police politique, manuscrits qui demeurent encore aujourd’hui introuvables. Installé en Belgique et en France, il renoue avec les exilés de l’Opposition de gauche soumis comme lui aux attaques terribles des communistes, et aux menaces constantes de liquidation physique qui pèsent sur elle. Dans cette atmosphère si favorable à la paranoïa, il se heurte rapidement au sectarisme et à l’autoritarisme de Léon Trotsky qui lui reproche notamment son peu d’enthousiasme pour cette 4e Internationale en formation.<br />
Victor Serge ne croit pas, écrit-il sèchement, qu’une « pensée nouvelle » puisse naître de ce « mouvement débile et sectaire », faits de groupuscules minés par les querelles personnelles. Face au stalinisme à l’Est et aux fascismes à l’Ouest, il défend l’idée d’une alliance internationale, « reflet des véritables tendances idéologiques des secteurs les plus avancés de la classe ouvrière. » Refaire en somme l’Association internationale des travailleurs de 1864.<br /></p>
<p>En 1941, un an après l’assassinat de Trotsky, Victor Serge fuit le nazisme et débarque pour un dernier exil à Mexico, lieu d’accueil pour nombre de militants de la gauche révolutionnaire. Malgré la fatigue physique, l’usure du temps et la précarité de sa condition sociale, il continue inlassablement à écrire romans, articles et textes théoriques, à étudier et à se brouiller avec tous ceux qui lui reprochent à la fois ses liens avec les syndicalistes-révolutionnaires ou les réformistes, et ses analyses hérétiques sur la dégénérescence de la Révolution russe ou la nature de l’URSS. Se revendiquant toujours du marxisme, mais d’un marxisme en mouvement qui n’aurait pas peur de se renouveler, Victor Serge refuse la logique des chapelles hargneuses, le patriotisme de parti. Il croit aux vertus de l’échange et du débat contradictoires, il refuse la politique de la sentence et de l’excommunication. Il écrit : « Si le socialisme ne se proclame pas comme le parti de la dignité humaine, alors sans aucun doute aucun, il sera inévitablement écrasé entre les réactionnaires et les totalitaires. »<br /></p>
<p>Si le libertaire que je suis peut reprocher quelque chose à Victor Serge, ce n’est certainement pas d’avoir rompu avec l’anarchisme en en pointant les limites ou les contradictions, mais c’est de s’être illusionné aussi longtemps sur la capacité du vieux parti bolchevick à inverser le cours des choses, d’avoir oublié qu’un réel processus révolutionnaire dépend davantage de l’activité autonome et créatrice des masses que des politiques édictées par une organisation censée l’incarner.</p>Le mur, le bloc de l'Est et ses bureaucratesurn:md5:5515558a11ae3cbd3b30164fb780b5b02009-11-19T22:21:00+00:00PatsyActualité internationaleCommunisme<p><strong>Emission n°8, novembre 2009</strong><br /></p>
<p>Nous venons de fêter les vingt ans de la destruction du Mur de Berlin, symbole de la coupure du monde d'avant en deux blocs irréductibles : le monde dit libre de l'Ouest, règne de la marchandise et de la démocratie bourgeoise ; le monde dit pas libre de l'Est, règne de la pénurie et de la dictature bureaucratique.</p> <p>Bien peu avait prédit que le bloc soviétique imploserait de la sorte. Certains pensaient même que le monde s'orientait vers sa fin, prévoyant une déflagration mondiale. Il n'en fut rien. Au sein des bureaucraties de l'Est, les batailles furent intenses entre les partisans de l'ouverture et ceux de l'affrontement. Ces bureaucraties, ces nomenklatura avaient l'habitude de ce genre de débat. Les émeutes de Berlin-Est en 1953, la révolte hongroise de 1956, l'irrédentisme polonais et yougoslave, le schisme chinois et, bien sûr, la crise tchécoslovaque de 1968... toutes ces crises donnèrent l'occasion aux partis communistes de la planète de débattre et de s'affronter. La question centrale était la suivante : n'y a-t-il qu'une seule voie pour construire le socialisme ? (autrement dit, celle suivie par le bolchevisme : prise du pouvoir, liquidation de toutes les oppositions, industrialisation à marche forcée etc.). <br /></p>
<p>Dans les années 1980, la situation économique catastrophique des pays du socialisme réel entraîna les bureaucraties nationales à repenser les termes de leur domination économique, politique, culturelle et social. L'esprit animant Gorbatchev, Perestroïka et Glasnost, témoignait que la bride les reliant à Moscou se relâchait. <br /></p>
<p>Vînt donc le temps de ce que certains africanistes appellent les processus de décompression autoritaire : le régime autoritaire se réforme, s'ouvre, affiche sa volonté de se conformer aux règles de l'Etat de droit, tout en surveillant de près celles et ceux qui s'engouffreraient un peu trop ardemment dans la voie de la « démocratisation ». L'éclatement de l'URSS précipita de fait la dislocation du bloc. Seules les anciennes élites qui furent capables de se réformer à temps prirent le bon wagon : reconversion économique en rachetant les entreprises publiques les plus performantes ; reconversion politique en se faisant le chantre du libéralisme politique et économique. La vieille garde non encore sortie psychologiquement de la Guerre froide fut liquidée ou fit le dos rond, guettant le moment de prendre sa revanche.<br /></p>
<p>Dans <em>La nouvelle classe dirigeante</em>, sorti en 1957, soit un an après la révolte hongroise, l'intellectuel et ancien apparatchik yougoslave Milovan Djilas faisait une critique sévère de la bureaucratisation du monde communiste. Une telle irrévérence lui valut quelque temps de prison car il n'était pas de bon ton de railler cette nouvelle classe vivant grassement sur le dos du prolétariat et de « sa » dictature ; une classe imbue d'elle-même, méprisante à l'égard des masses, susceptible, veule, obséquieuse et sans principe, réactionnaire et conservatrice.<br /></p>
<p>A côté des arrivistes et opportunistes, grouillant dans une administration aussi omnipotente qu'incompétente, il y avait aussi ces dirigeants et militants incapables de regarder la réalité en face, de comprendre que la résistance à l'oppression pouvait prendre d'autres formes que la révolte. Un pays sans révolte, sans mouvement de masse, sans colère populaire, n'est pas ipso facto un pays calme, peuplé de citoyens satisfaits. La résistance individuelle par l'absentéisme, le freinage de la production ou le refus de s'impliquer dans le travail au quotidien – formes de résistance que l'on trouve dans tous les coins du globe, est la marque d'un désaveu profond des politiques à l'oeuvre.<br /></p>
<p>Dans ses <em>Souvenirs</em> (Robert Laffont, 1971), Nikita Khrouchtchev nous administre la preuve de cette cécité. Ecarté du pouvoir, il se livre à une critique de ses successeurs qu'ils jugent frileux : « Nous autres communistes, nous croyons que le capitalisme est un enfer dans lequel les travailleurs sont condamnés à l'esclavage. Nous édifions le socialisme (...) Notre organisation sociale est indubitablement la plus progressiste du monde dans la phase actuelle du développement de l'humanité. (...) Alors pourquoi devrions-nous entrer en contradiction avec nous-mêmes ? Pourquoi devrions-nous construire une bonne vie pour le peuple et ensuite barricader nos frontières avec des verrous fermés à double tour ? Parfois, nos propres compatriotes se moquent de nous et disent : « Alors, vous nous conduisez au paradis en agitant votre matraque, non ? » Les gens faisaient souvent des remarques de cette sorte lors de la collectivisation forcée et d'autres mesures coercitives. Je pense que le temps est venu de montrer au monde que notre peuple est libre, qu'il travaille de bon gré et qu'il construit le socialisme parce qu'il y croit et non parce qu'on l'y oblige. (...) Si nous en venions à ouvrir nos frontières, se pourrait-il que la confiance que nous accorderions ainsi aux gens soit parfois trompée ? C'est possible, bien sûr. Parmi 240 millions de personnes, il doit forcément exister des éléments impurs. Ces éléments apparaîtront à la surface comme le font toujours, dans une solution, les éléments les moins substantiels. Et alors ? Laissons la lie, les épaves de notre population monter à la surface et laissons les vagues les emporter loin de nos côtes. (...) Nous devons cesser de voir en chaque individu un transfuge possible (...) Nous ne pouvons pas continuer à parquer les gens derrière des barrières. Nous devons leur donner une chance de découvrir par eux-mêmes à quoi ressemble le monde extérieur. Si nous ne modifions pas notre position à cet égard, je crains que nous finissions par discréditer les idéaux du marxisme-léninisme sur lesquels est fondé notre système social soviétique. »<br /></p>
<p>Khrouchtchev croyait-il vraiment à ce qu'il écrivait ? Etait-il à ce point aveugle, incapable de saisir à quel point le divorce entre la bureaucratie et les masses était profond ? Ou bien réglait-il des comptes avec la nouvelle direction du parti en lui empruntant ses mots et sa lecture de la situation morale du pays ? Je ne sais.<br /></p>
<p>Ce que je sais en revanche, c'est que le bloc socialiste a implosé parce que plus personne n'avait envie de défendre « les idéaux du marxisme-léninisme », hormis celles et ceux qui en vivaient : la nouvelle classe dirigeante et sa cohorte de fonctionnaires serviles. Ce que je sais, c'est « qu'aucune dictature ne peut avoir d'autre but que de durer le plus longtemps possible et qu'elle est seulement capable d'engendrer l'esclavage dans le peuple qui la subit, et d'éduquer ce dernier dans l'esclavage ; la liberté ne peut être créée que par la liberté. » (Bakounine).</p>