Le Monde comme il va - Tag - ChineLe Monde comme il va, magazine anticapitaliste et libertaire, était une émission de radio hebdomadaire diffusée tous les jeudis à partir de 19h10 sur Alternantes FM, entre janvier 1999 et juin 2011. L'émission hebdomadaire a été remplacée par une chronique hebdomadaire diffusée chaque vendredi matin à 7h55 dans le cadre des Matinales d'Alternantes FM, toujours !2024-03-24T21:48:22+01:00Patsyurn:md5:18ad09a0b93313ed3ffae6b27434a016DotclearMon combat pour les ouvriers chinoisurn:md5:daa6f3084eabc222115aef44bd3afc652014-02-24T20:47:00+00:00PatsyNotes de lectureChineConditions de travailSyndicalisme<p><strong>Han Dongfang</strong><br />
<em>Mon combat pour les ouvriers chinois</em><br />
Michel Lafon, 2014<br />
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Curieux personnage que ce Han Dongfang, fils de paysans de la Chine intérieure (Shanxi), élève fort moyen, chassé de l'armée pour avoir pris au sérieux l'égalitarisme maoïste, devenu cheminot puis l'une des figures de la révolte de la place Tiananmen en juin 1989 quand il mît sur pied l'éphémère Fédération autonome des travailleurs de Pékin. Rien ne le prédisposait à incarner l'une des facettes de la dissidence chinoise (la prolétarienne !), sinon un caractère bien trempé et une volonté farouche de se faire entendre et respecter. Cela lui faudra deux ans de détention, un exil forcé aux Etats-Unis puis à Hong-Kong et surtout l'interdiction formelle de remettre les pieds dans son pays natal.</p> <p><img src="http://patsy.blog.free.fr/public/Mon_combat_pour_les_ouvriers_chinois_preview.png" alt="Mon_combat_pour_les_ouvriers_chinois_preview.png" style="display:block; margin:0 auto;" title="Mon_combat_pour_les_ouvriers_chinois_preview.png, fév. 2014" /></p>
<p>Han Dongfang est un ouvrier et un pragmatique. Son combat : défendre les intérêts très concrets de la classe ouvrière grâce à son organisation, le China labour bulletin, mais aussi à l'émission de radio qu'il anime sur Radio Free Asia. Son constat : l'adversaire est bien trop puissant pour être attaqué frontalement. Sa tactique : éroder la toute-puissance de l'Etat-parti en jouant sur ses contradictions internes (le désir de paix sociale des gouvernements locaux) et en évitant les sujets qui fâchent, comme la question tibétaine (il juge que le prolétariat chinois est nationaliste et n'accepte pas l'idée séparatiste), celles des minorités ou encore la « démocratie ». Non point qu'il ne soit pas sensible à ces questions-là, mais Han Dongfang considère qu'il est dans son intérêt et dans celui de ceux qui le soutiennent dans son combat de ne pas s'exposer à la répression. Car au fil des années, Han Dongfang est parvenu à former des réseaux de militants en Chine même ; des militants actifs, présents sur le terrain, proches des travailleurs et tolérés par le pouvoir du moment qu'ils ne franchissent pas la ligne rouge : « En abandonnant les références à la démocratie, au multipartisme et au syndicalisme, nous pouvons entrer dans une phase militante, celle d'une organisation concrète, active sur le terrain et proche de la société civile. » Et son « organisation concrète » s'efforce par exemple d'obtenir de meilleures indemnités pour les victimes d'accidents du travail ou atteints par des maladies professionnelles, d'améliorer les conditions de travail souvent déplorables, et de former les travailleurs chinois dans le domaine du droit du travail.<br /></p>
<p>Ce choix n'est évidemment pas du goût de tout le monde. Pour certains, Han Dongfang est trop « modéré », « légaliste ». A cela, Han Dongfang le non-violent répond que sans ce type de concessions au pouvoir en place, son activité politique serait coupée des masses. Mais il explique également son modérantisme par souci de coller au plus près des sentiments de la classe ouvrière chinoise : une classe ouvrière chinoise qui ne désire pas renverser le régime mais tout simplement améliorer ses conditions de vie et de travail. Autre explication qui transparaît dans le livre : Han Dongfang se méfie (avec raison !) de ces « démocrates » pour qui démocratie signifie économie de marché, privatisations... et donc précarisation de la vie ouvrière. De cela, Han Dongfang ne veut pas : il plaide pour un nouveau contrat social entre l'Etat-Parti, les directions d'entreprise et les travailleurs. Et il pose le China Labour bulletin en partenaire responsable, capable d'éviter la catastrophe : « Si le dialogue ne prend pas, écrit-il, on peut replonger dans une violente hystérie comme celle de la Révolution culturelle. » Une révolution culturelle qui fit des millions de morts et traumatisa des générations de Chinois, dont celle de Han Dongfang...</p>La Démocratie et ses mirages (1)urn:md5:4b58695f5bea27e9eb9a495f0f144e8d2012-10-30T15:30:00+00:00PatsyQuestion socialeChineCubaDémocratie bourgeoise<p><strong>Octobre 2012</strong><br />
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<strong>Cuba</strong> <br />
José Mujica est un homme à part. Président de l'Uruguay depuis 2010, l'ancien guerillero vit dans une maison modeste, reverse 90 % de son salaire à des organismes sociaux et se fout comme d'une guigne de l'argent et des Rolex. Tout récemment, il s'est blessé au visage alors qu'il aidait son voisin à réparer son toit. Bref, Mujica est un humble, un homme simple.<br /></p> <p>Yoani Sanchez est une intellectuelle cubaine, opposante au régime en place. Sur son blog, elle s'est saisie de cette mésaventure pour stigmatiser l'élite politique cubaine : « Ceux qui nous gouvernent n'ont pour ainsi dire aucune expérience des problèmes qui sapent notre quotidien (…) Ils ne peuvent pas nous gouverner, puisqu'ils ne nous connaissent pas (…) Cela fait trop longtemps qu'ils sont perdus dans un monde de privilèges, de confort et de luxe en tout genre. »<br />
Les dirigeants cubains ne connaissent donc pas plus la faim que les logements insalubres, les bus bondés et les routes défoncées. Ils ont donc plusieurs points communs avec les élites politiques des pays dit démocratiques, mais je ne sais si Yoani Sanchez en est elle-même convaincue...<br />
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<strong>Chine</strong><br />
A l'approche du 18e congrès du Parti communiste chinois, les règlements de comptes se multiplient. Bo Xilai vient d'en faire les frais. Ce notable, membre du bureau politique et homme d'affaires richissime, vient d'en faire les frais. Il faut dire que l'affaire est grave : sa femme est accusée de meurtre, son bras droit de malversations diverses et lui-même, de trafic d'influence et de corruption. L'affaire est d'autant plus grave que Bo Xilai s'était forgé une solide réputation... d'incorruptible !<br />
Dans <em>Caixin Wang</em>, journal pékinois, la journaliste Hu Shuli intervient de façon très intéressante sur cette affaire, écrivant : « Il est indispensable d'approfondir les réformes tous azimuths, en particulier celle du système politique. » Elle souligne que l'affaire Bo Xilai est un produit du système où l'insertion dans les rouages de l'Etat (dans le cas de Bo Xilai, à un haut niveau) est un moyen de faire des affaires, de détourner des fonds, de se constituer une clientèle, et ce en toute impunité quand sa position dans le parti fait que l'on a la main sur les services de police. Bref, elle plaide pour « diminuer les ingérences de l'administration dans la vie économique » et, ce faisant, elle glisse une phrase d'une grande ingénuité : « Dans un environnement normal, la réussite d'un chef d'entreprise est dictée par le marché. ».<br />
Or l'histoire nous prouve l'inverse : c'est la proximité d'avec le pouvoir en place qui permet à un entrepreneur de faire son beurre. Car le marché ne flotte pas dans les airs, hors du temps et des turpitudes : il est façonné/construit par les rapports de forces politiques et sociaux. Que les Etats-nations soient autoritaires ou démocratiques, cela ne change rien à la donne. Les magnats américains de l'industrie au 19e siècle n'étaient pas appelés pour rien les « <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/09/11/Dynamite-%21-1830-1930%2C-un-si%C3%A8cle-de-violence-de-classe-en-Am%C3%A9rique">barons voleurs</a> ». Les oligarques russes ou ukrainiens doivent tout, aussi bien la gloire que la déchéance, à leur proximité avec le pouvoir. Que serait l'Empire africain de Bolloré sans la bienveillance du gouvernement français ? Et l'on sait bien aussi que l'entrepreneur moyen d'une ville moyenne a tout intérêt à nouer des relations cordiales avec les élus locaux s'il aspire à emporter quelques marchés publics. Economie et politique ne sont pas deux sphères séparées, étanches, mais deux sphères en complète interaction.<br /></p>Chine : jusqu'à l'indigestionurn:md5:92e7796f347cafa79f9922b0a7c9cfd32011-11-22T06:37:00+00:00PatsyQuestion socialeAgricultureCapitalismeChine<p>Chronique n°7 (novembre 2011)<br />
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Le matin, il commence par boire un bon bol de lait à la mélamine avec deux petits pains blanchis au sulfure et une tranche de jambon issu de porcs nourris au clenbutérol, un anabolisant qui fait la joie de certains sportifs. Il coupe ensuite un œuf de cane dont le jaune est coloré au rouge soudan, qu’il mange avec deux morceaux de pain produit avec de la levure toxique.</p> <p>Pour midi, il achète du poisson nourri aux pilules contraceptives, des germes de soja à l’urée, des tomates aux accélérateurs de croissance, du tofu au plâtre, du gingembre toxique, une soupé épicée aux anti-diarrhéiques, sans oublier une portion de faut bœuf teinté avec un additif toxique. Il peut boire également une bouteille d’alcool frelaté au méthanol et déguster des petits pains au sulfure, voire même se griller une cigarette contenant du mercure.<br />
Voici en gros ce qu’a écrit Xie Yong, un universitaire chinois sur son blog. Il aurait pu également parler de ces pastèques qui explosent sans crier gare quand on les booste au forchlorfénuron, des huiles frelatées que l’on recycle, du poulet aux nitrites, du poivre coloré au rhodamine B, etc etc.<br />
La multiplication des scandales alimentaires en Chine a de quoi inquiéter. Inquiéter les consommateurs qui peuvent être ou sont parfois les victimes à court ou long terme de ces pratiques culturales. Inquiéter également les autorités chinoises qui ont promis de remettre de l’ordre dans le capitalisme débridé chinois. Mais entre les proclamations de foi et les actes, il y a, vous le savez bien, des béances.
Dans le système chinois, un bureaucrate ne peut espérer gravir les échelons que s’il est capable de prouver à ses supérieurs que la politique qu’il a appliquée a renforcé la compétitivité du pays, a permis aux entreprises de produire plus pour satisfaire la demande intérieure ou faire entrer des devises via l’exportation. Un bureaucrate a l’âme d’un comptable. Il a besoin de chiffres qui parlent d’eux-mêmes, même si, vous le savez bien, on peut faire parler les chiffres à leur place. En conséquence, notre bureaucrate aura davantage tendance à étouffer un scandale et à s’asseoir sur le principe de précaution ou la sécurité alimentaire, car ça, ce n’est pas encore politiquement rentable. Si cela le devient, il brûlera son idole d'hier au nom de la nouvelle donne idéologique du moment. Mais que le capitalisme chinois s’assoit sur le principe de précaution, cela n’est pas pour nous étonner. Après tout, il n’y a aucune raison qu’un capitaliste chinois soit plus vertueux qu’un capitaliste européen, nord-américain, indien ou australien. Business is business, avec ou sans livre rouge.<br /></p>
<p>Ce qui a fait scandale récemment, c’est également la découverte que dans l’est de la Chine, certaines administrations publiques se sont constituées des filières spéciales d’approvisionnement en produits biologiques, en les finançant avec des fonds publics destinés au développement d’une agriculture plus saine. Tandis que le peuple doit se contenter de ce qu’il trouve sur les étals des marchés, les apparatchiks, eux, se gavent de produits sains.<br />
Louis XIV clamait, dit-on, « L'Etat, c'est moi ». Les bureaucrates répondent : « L'Etat, c'est nous » ! Et cela m'a rappelé ces mots de Milovan Djilas, communiste yougoslave envoyé par Tito en prison pour sa critique du système : « Les vices de la nouvelle classe <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2011/11/22/bureaucratique" title="bureaucratique">bureaucratique</a> : l'ambition déchaînée, la duplicité, l'art consommé de nager entre deux eaux, la jalousie féroce. Leur résultante, l'arrivisme et l'expansion illimitée de la bureaucratie, sont les maladies incurables du communisme (…) les communistes ont fait de l'ambition sans scrupule un des traits dominants de leurs moeurs et de leur méthode de recrutement, mais en même temps un des facteurs de leur dynamisme social. » Il a écrit cela en 1957 (<em>La nouvelle classe dirigeante</em>, Plon).</p>Luttes des classes dans la Chine des réformes (1978-2009)urn:md5:72b508e5eb34a2b7dfaad366760f6a522009-11-20T23:17:00+00:00PatsyNotes de lectureCapitalismeChineConditions de travailSyndicalisme<p><strong>Emission n°9 (novembre 2009)</strong><br /></p>
<p>Bruno Astarian<br />
<em>Luttes des classes dans la Chine des réformes (1978-2009)</em>, Acratie, 2009, 176p.<br /></p>
<p>La Chine fascine, inquiète, dérange, interroge depuis qu'elle s'est « réveillée » et qu'elle inonde de ses produits bas-de-gamme les marchés du monde entier. Elle fascine, inquiète, dérange et interroge d'autant plus que ce développement capitaliste accéléré se fait toujours sous la bannière du « communisme », avec parti unique, grand'messes qui fleurent bon le culte de la personnalité et répression de ceux qui osent trop relever la tête.
Le livre de Bruno Astarian, Luttes des classes dans la Chine des réformes (1978-2009), court et éclairant, est un outil précieux pour mieux comprendre ce qui se passe dans l'Empire du milieu.</p> <p>Dans une première partie, il revient sur la structure économique de cette Chine nouvelle marquée par « une grande variété de formes de la propriété des moyens de production ». Commençons par le secteur public : à côté des sociétés d’Etat qui sont parmi les plus importantes sociétés du pays, on y trouve des sociétés collectives qui « ne relèvent pas de l’Etat central, mais d’autorités locales », des sociétés mixtes, c’est-à-dire publiques mais dont les anciens propriétaires continuent à toucher des dividendes, et des entreprises rurales non agricoles, tenues par les oligarchies locales du PCC, dont la fonction est d’offrir un débouché salarial aux paysans sans emploi. Du côté du privé, il y a un réseau important de petite PME, des entreprises individuelles officielles qui ont un statut légal depuis 1981 et relèvent, selon l’auteur de « l’économie de survie », mais surtout des entreprises sino-étrangères qui sont au 2/3 des filiales contrôlées à 100% par les investisseurs étrangers. <br />
Le problème crucial auquel sont confrontées les entreprises privées chinoises est l’accès au crédit : car sans crédit, pas d’investissement possible !(1) Mais à y regarder de près, on peine à démêler ce qui est public et privé : des sociétés privées sont en fait sous la protection du secteur public, tandis que des sociétés publiques sont de facto gérées par leurs dirigeants et non par l’Etat… sans oublier les grandes sociétés du secteur d’Etat qui sont aux mains de « dynasties familiales au sommet desquelles se trouvent les plus hauts dignitaires du Parti ». La nomenklatura fait son beurre, se dispute des secteurs industriels et se forge une clientèle dans le cadre des règlements de comptes politique à venir. Comme le souligne Bruno Astarian, « le droit des affaires chinois est, comme le droit du travail, rédigé avec une grande précision et appliqué dans le plus grand flou ». Mais c’est un flou bien utile puisqu’il permet à la fraction dominante du moment du PCC de rappeler à l’ordre, le cas échéant, ceux qui prendraient trop de liberté ou mettraient en péril le régime par leurs agissements(2). <br /></p>
<p>Ensuite, l’auteur définit ce qu’est le hukou, ce « permis de résidence attaché à un lieu précis » dont est doté tout Chinois. Un permis de résidence très important car sa détention donne accès à des droits fondamentaux : droit au logement, à l’emploi, à la scolarité gratuite, à la santé ; mais aussi, pour les ruraux, droit à l’allocation d’une terre agricole. Le perdre équivaut à voir disparaître tous les filets sociaux de protection auxquels on était rattaché ; et on le perd dès que l’on déménage sans en avertir les autorités. Or, comme le but des autorités chinoises est d’empêcher l’exode rural, on comprend mieux pourquoi nombre de paysans chinois quittent sans crier gare cette misère rurale qui ne leur offre aucune perspective pour gagner l’eldorado industriel des grandes villes et de ce fait constituer un sous-prolétariat de « sans-papier de l'intérieur », taillable et corvéable à merci, dont « l'exploitation est l'assise même de ce qu'on appelle l'atelier du monde ».<br /></p>
<p>Les paysans chinois n'ont pas d'avenir et le développement si attendu de l'agriculture chinoise se fera sans la grande majorité d'entre eux. Pour l'heure, ils survivent sur des terres arables trop petites pour assurer leur bien-être et subissent les politiques des élites locales qui les accablent d'impôts ou les exproprient pour offrir leurs terrains aux promoteurs. Ils subissent mais parfois leur colère éclate et se transforme en jacqueries. Hu Jintao a bien compris que le pouvoir devait absolument regagner la confiance des masses paysannes, ces laissés-pour-compte du développement. La clique au pouvoir a donc fait le ménage et châtié les corrompus... du moins, ceux de la fraction adverse.<br /></p>
<p>Du côté des ouvriers, il faut distinguer la « vieille classe ouvrière », enfant chéri du régime, et la « nouvelle classe ouvrière » formée par ces migrants ruraux. De cette dernière, on en connaît la situation sociale : salaires misérables, temps de travail interminable, conditions de logement précaires, exploitation féroce... Son seul espoir : obtenir un hukou et les droits afférents.<br /></p>
<p>La « vieille classe ouvrière » voit quant à elle sa situation sociale se dégrader année après année. Elle a vu disparaître la « danwei » qui lui fournissait « un emploi à vie, un logement, la couverture sociale, l'éducation des enfants, et souvent leur emploi après leur scolarité ». Beaucoup d'entreprises publiques ont été fermées, privatisées depuis quinze ans, et cela a inévitablement affecté la situation sociale des salariés qui vivent une « régression sociale » sans précédent. Le meurtre en juillet dernier d'un industriel chinois par des ouvriers de l'entreprise Tonggang en passe d'être privatisée atteste que la « modernisation » de l'économie chinoise est vécue par les travailleurs comme la mise à mort d'un âge d'or et une promesse de dénuement.<br /></p>
<p>Qu'elle soit « vieille » ou « nouvelle », la classe ouvrière chinoise n'est pas pour autant accablée. Malgré la répression et l'encadrement politique ou syndical, des travailleurs s'exposent et luttent. Bruno Astarian cite un certain nombre de conflits révélateurs de cet état de tension : luttes contre la faiblesse des primes de licenciement ou des pensions de retraite, lutte contre les salaires impayés ou la suppression des indispensables heures supplémentaires... Beaucoup de ces conflits éclatent de façon spontanée et sont marqués par des actes violents. Parfois les grévistes réclament le droit de fonder un syndicat, mettent sur pied un comité de grève, font des pétitions et demandent réparation devant une justice que l'on sait de classe. Le pouvoir s'efforce de circonscrire ces mouvements sur les lieux d'exploitation, d'empêcher leur possible jonction.<br />
Le journal Caijing, suite à l'affaire de Tonggang, a pointé du doigt un problème fort épineux pour Hu Jintao en écrivant : « il faut aussi déterminer comment les organismes qui représentent les intérêts des ouvriers au sein des entreprises d'Etat (syndicats et associations représentatives du personnel) peuvent se dégager de l'emprise de la direction pour devenir des organisations autonomes, qui soient véritablement les porte-paroles des revendications ouvrières. Car là est le danger pour le pouvoir : que le syndicat unique ne soit plus en capacité de contrôler le prolétariat et de canaliser son mécontentement."<br /></p>
<p>En guise de longue conclusion, l'auteur nous livre son sentiment sur la place de la Chine dans la division internationale du travail et sur les perspectives révolutionnaires que cela ouvre. Il ne souscrit pas à la thèse qui fait de la Chine une puissance économique capable de rivaliser avec l'Europe ou le Japon : la Chine produit du bas-de-gamme en s'appuyant sur un prolétariat jeune, peu formée et surexploitée ; sa capacité à faire émerger des géants nationaux capables de concurrencer les mutinationales du monde dit libre est faible, car ces dernières veillent soigneusement à minimiser les transferts de technologie ; son marché intérieur est énorme, certes, mais comme l'est sa misère ouvrière et paysanne : et si l'Occident a connu son compromis fordiste, c'est-à-dire hausse de la productivité contre hausse des salaires et accession à la consommation de masse, il n'est pas évident que la Chine puisse faire de même aujourd'hui, puisqu'elle fait reposer sa compétitivité et son attractivité sur la surexploitation de ses prolétaires. <br /></p>
<p>Bruno Astarian ne croit pas plus, comme certains le pensent, que les travailleurs chinois, parce qu'ils vivent au quotidien la surexploitation, lèveront les premiers l'étendard du « vrai communisme ». Il pense au contraire que cela se passera « dans une zone où les méthodes de la subordination sont les plus perfectionnées, où l'esclavage ressemble le plus à la liberté », et parie sur les Etats-Unis. Pari audacieux qui m'a laissé sans voix, fort circonspect, mais nanti au moins d'une certitude : s'il a raison, ce moment-là, le quadragénaire sémillant que je suis ne le vivra pas.(3)</p>
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<p>(1) Je vous conseille en passant la lecture de Béatrice Hibou, <em>La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie</em>, Paris, La Découverte, 2006, 363 p. Elle analyse la place du contrôle politique du crédit dans l’arsenal répressif de l’Etat autoritaire tunisien.<br />
(2) Agnès Andrésy, <em>Who's Hu ? - Le président Hu Jintao, sa politique et ses réseaux</em>, L'Harmattan, 2008.<br />
(3) Vieux militant de ce que certains, par commodité, appellent « l'ultra-gauche », impliqué dans le bulletin<em> Echanges et mouvements</em> (mine de renseignements sur la lutte des classes à l'échelle mondiale), Bruno Astarian a produit un nombre important de textes théoriques que l'on peut retrouver sur le Net. J'avoue très humblement n'y avoir rien compris...</p>Le problème, c'est le pauvreurn:md5:1fb2df85356252545f793be2beb141422009-10-17T14:52:00+01:00PatsyQuestion socialeCapitalismeChineConditions de travailEtats-UnisPrisons<p>Emission n°4 (octobre 2009)<br /></p>
<p>Au 19e siècle, avec la révolution industrielle, la bourgeoisie fut confrontée à un fichu problème : comment faire pour sédentariser ce prolétariat tout neuf et si volatile ? Car voyez-vous, il fut un temps où le gueux avait tendance à disparaître des fabriques : il travaillait un temps puis ramassait son pécule et s’en retournait s’occuper de sa terre ; rétif à l’ordre usinier, il quittait sans crier gare son employeur la saison venue.</p> <p>Pour « attacher » le prolétaire au travail industriel, Etat et bourgeoisie développèrent nombre de stratégies. Il y avait la répression et le contrôle social évidemment, notamment les lois réprimant sévèrement le vagabondage ou imposant au prolétaire le livret ouvrier. Avant que n’émerge réellement une politique sociale d’Etat, les communes expulsaient également vers leur lieu de naissance les surnuméraires qui mendiaient entre ses murs, considérant que la charité publique ne devait concerner que les pauvres du cru. Il y avait aussi, du côté du patronat imprégné de catholicisme social, la volonté « d’offrir » un logement dans des cités patronales, des infrastructures sanitaires et sociales. Offrir n’est vraiment pas le bon mot : quand le logement est dépendant du travail, quand, en d’autres termes, perdre son emploi signifie que l’on perd le toit sous lequel vit sa famille, cela ne pousse guère le prolétaire à revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail.</p>
<p>En juillet dernier, de violentes émeutes ont éclaté en Chine dans la province du Xinjiang. Des Ouïgours, de confession musulmane, ont affronté des Hans, le groupe chinois majoritaire. Les relations entre les Ouïgours et l’Etat chinois sont extrêmement mauvaises. Pour ce dernier, les Ouïgours sont économiquement et culturellement des arriérés, incapables d’assimiler la pensée féconde du président Mao Zedong ; des arriérés qui vivent sur de grands espaces libres qu’il conviendrait de coloniser et de développer ; des arriérés qui ont également des accointances avec les fondamentalistes musulmans d'Asie centrale. Les Ouïgours dénoncent évidemment les discriminations dont ils sont victimes et le mépris des autorités pour leur religion, et bien sûr la politique coloniale agressive qui a fait passer la proportion de Hans au Xinjiang de 6% à 40% en l'espace d'une demi-siècle.</p>
<p>Soucieux de « gérer » au mieux la question ouïgoure, l’Etat chinois a développé différentes stratégies, notamment celle du déplacement des paysans ouïgours vers les grands centres industriels de la côte pacifique. On leur promet de bien meilleurs salaires que ceux qu’ils peuvent espérer en restant chez eux comme salariés agricoles saisonniers ; on leur promet une formation technique etc… En fait, il s’avère que cette offre de « migration volontaire » l’est bien peu. Les potentats locaux obligent bien souvent les familles, sous peine d’amende, à envoyer l’un des leurs travailler à l’usine.</p>
<p>Ce programme de déplacement de main d’œuvre, lancé en 2004, a mené à l’exil temporaire des centaines de milliers de jeunes Ouïgours. Le but de la manœuvre n’est pas de permettre à cette population d’améliorer ses conditions de vie ou de faciliter le rapprochement avec les Hans ; elle ne vise pas non plus à répondre aux besoins de main d’œuvre non couverts des entreprises de l’habillement, de la chaussure ou du jouet.</p>
<p>Cette politique d’Etat vise à contenir le séparatisme ouïgour qui se nourrit de la misère sociale autant que de la crise identitaire. Elle vise aussi à formater une population en la coupant de son environnement immédiat, de ses racines paysannes, de ses réseaux de solidarité.</p>
<p>Aux Etats-Unis, où la mobilité n’a pas besoin d’être planifiée par la puissance étatique, l’heure est à la criminalisation renforcée des pauvres. Jetés à la rue par la crise des subprimes, frappés par la crise économique et les vagues successives de licenciements, les 50 millions de pauvres subissent de plein fouet la politique de tolérance zéro et croulent sous les amendes diverses et variées, fruit de l’inflation pénale de nos sociétés modernes.</p>
<p>Comme l’écrit la journaliste Barbara Ehrenreich du New-York Times : Quel est « le principe de cette politique ? Réduire le financement des services pouvant aider les pauvres et renforcer parallèlement les mesures punitives : assécher les budgets des écoles et des transports publics, puis rendre l’absentéisme illégal ; fermer des logements sociaux, puis déclarer qu’être sans-abri est un crime ; harceler les vendeurs à la sauvette quand les emplois se font rares. Parmi les conséquences de ce phénomène, <a href="http://patsy.blog.free.fr/index.php?post/2009/10/17/le" title="le">le</a> taux d’incarcération vertigineux, le plus élevé du monde. Aujourd’hui, il y a autant d’Américains, à savoir 2.3 millions, qui vivent en prison que dans des logements sociaux. »</p>
<p>Aujourd'hui comme hier, l'ennemi demeure le pauvre : l'éternellement pauvre de la Chine rurale, le prolétaire déraciné soumis aux aléas de la conjoncture, le travailleur précarisé victime de la crise. Un pauvre qu'il faut contrôler, corseter, encadrer, museler, réprimer. Un pauvre qui doit apprendre à rester à sa place, quand bien même cette place n'en est plus une. Un pauvre qu'il faut rendre dépendant, humble, soumis. Ce qui fit dire à Lamennais en 1837, comparant la situation du pauvre à celle de l'esclave, « mieux eut valu pour lui un complet esclavage ; car le maître au moins nourrit, loge, vêt son esclave, le soigne dans ses maladies, à cause de l'intérêt qu'il a à le conserver ; mais celui qui n'appartient à personne, on s'en sert pendant qu'il y a quelque profit à en tirer, puis on le laisse là. A quoi est-il bon lorsque l'âge et le labeur ont usé ses forces ? A mourir de faim et de froid au coin de la rue. »</p>